Joshua-Ruiz: un stade éphémère en Arabie saoudite pour le combat… et pour impressionner le monde

C’est le combat le plus attendu de la fin d’année, un choc entre deux des quatre meilleurs poids lourds au monde, pour l’attribution des ceintures WBA, WBO, IBF, et IBO. Ce samedi soir (sur RMC Sport), Anthony Joshua et Andy Ruiz Jr se retrouveront pour la seconde fois en 2019 afin de régler définitivement leurs comptes. Pour le Britannique, l’objectif est simple: prendre sa revanche, récupérer ses titres et prouver que sa défaite de juin n’était qu’un accident de parcours. Pour l’Américain d'origine mexicaine, il s’agira de confirmer, de mettre un sérieux coup d’arrêt à la carrière de son adversaire pour entrer définitivement dans la cour des très grands.
En boxe, championnat du monde des poids lourds rime généralement avec salle mythique, à savoir Madison Square Garden de New York (comme pour le premier combat), MGM Grand de Las Vegas ou stade britannique, tel le Millennium Stadium de Cardiff et ses 75.000 sièges. Sauf que samedi, Joshua-Ruiz II ne se tiendra ni aux Etats-Unis ni en Angleterre mais en Arabie Saoudite, pour une grande première. Le "Clash of Dunes", son petit surnom – toute ressemblance avec le "Rumble in the Jungle" n’étant pas du tout fortuite – sera précisément organisé à Dariya, dans les faubourgs de la capitale Riyad, au sein… d’un étonnant stade éphémère.
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Deux mois pour faire sortir une arène de terre
"C’est incroyable mec. C’est hallucinant de voir ce qu’ils ont fait en un mois et demi. C’est incroyable, incroyable." Arrivé il y a quelques jours au Moyen-Orient, Andy Ruiz n’a pas caché sa stupéfaction en découvrant le théâtre de ses futurs exploits, une arène de 15.000 places bâtie entre des ruines antiques classées au patrimoine mondial de l’Unesco et un parc à thèmes ultra-luxueux. Et pour cause: il y a quelques semaines encore, la "Diriyah Arena" n’était qu’une sorte de parking, un terrain vide de 10.000 m2. Mais depuis le 7 octobre, 175 ouvriers – selon les chiffres communiqués – se sont relayés jour et nuit pour transformer en moins de deux mois 295 tonnes de poutres en acier en une enceinte digne d’un championnat du monde.
Le pari était osé, et de l’avis des premiers observateurs sur place, il est réussi. Si l’arène saoudienne ne dégage logiquement pas la même impression de grandeur qu’un stade de 75.000 places, les journalistes britanniques, réticents à l’annonce du projet, décrivent toutefois un endroit enchanteur, dépaysant, et de bien meilleure facture que toutes les précédentes enceintes éphémères construites, notamment pour l’UFC 242 à Abu Dabi début septembre. "Le stade et le site sont à couper le souffle, se réjouit le promoteur Eddie Hearn (Matchroom). Je meurs d'impatience." Le côté "recyclage" n’enlève rien, puisque, toujours selon les organisateurs, l’installation sera réutilisable à 95%, et démontable en moins d’un mois.
Dans le détail, l’arène est constituée de trois tribunes d’une capacité totale de 15.000 sièges, donc, avec un quatrième côté occupé par une sorte de petit immeuble (provisoire aussi) qui accueillera les médias, les vestiaires et, bien sûr, les loges VIP. Car impossible d’imaginer un combat de telle ampleur en Arabie saoudite sans une note de démesure: s’il a fallu 175 travailleurs pour bâtir le stade, ce sont 2.000 personnes qui accueilleront et serviront samedi soir les spectateurs. Spectateurs ayant déboursé de 120 à 12.500 euros pour obtenir leur sésame.
Un énorme enjeu pour l’Arabie saoudite
Comment en est-on arrivé là? "Nous avons été approchés par l’Arabie saoudite, Abu Dabi, Dubaï et le Qatar, expliquait Hearn en août. Nous voulions aller dans un pays qui a une vraie vision de ce qu’est la boxe. Nous devons réaliser qu’il y a aussi un monde en dehors de Cardiff et du Madison Square Garden…" Voilà pour la réponse de communiquant. La vraie raison, c’est évidemment l’argent. Selon le Telegraph, l’Arabie saoudite aurait ainsi mis 100 millions de dollars sur la table (90 millions d’euros) pour faire venir Joshua et Ruiz, alors que le Millennium semblait tenir la corde.
Inutile de dire que si le montant est avéré, les Saoudiens ne rentreront pas dans leurs frais. Mais l’essentiel n’est pas là. Pour le pays de 34 millions d’habitants, il s’agit plutôt de renvoyer l’image d’une nation moderne et accueillante, aussi bien pour le public que les athlètes. Du "soft power", en somme. "Avec l’Arabie Saoudite, on est typiquement dans un cas de sport-washing, nous expliquait il y a quelques semaines Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique dans le sport, avant un match de foot Brésil-Argentine à Riyad. On va se servir du sport pour moderniser l’image voire même la reconstruire complètement. Le sport sert de levier de développement. A tout point de vue, le développement du Royaume, son unité et sa modernisation passent par là."
D’ailleurs, le combat Joshua-Ruiz II n’est que l’événement principal du "Diriyah Season", sorte de festival organisé du 22 novembre au 21 décembre. En plus de la boxe, le public - venu en bonne partie de l’étranger - a déjà eu droit à un Grand Prix de Formule E. Et il pourra assister après le "Clash of Dunes" à un tournoi de tennis (dans la même enceinte) où sont annoncés huit des vingt premiers joueurs au classement ATP, à un grand concours équestre, ainsi qu’une série de concerts de Marshmello, Lil Wayne, Future, Usher ou Chris Brown… Vous avez compris l’idée.
La délocalisation n’a pas fait l’unanimité
La délocalisation du combat au Moyen-Orient ne s’est pas faite sans accroc non plus. Début septembre, après l’annonce de la destination, Amnesty International était monté au créneau. "Malgré le battage médiatique autour des supposées réformes, l'Arabie saoudite est en train de subir une vaste répression des droits de l’homme, ciblant des militantes des droits des femmes, mais aussi des avocats et des membres de la minorité chiite, expliquait l’un des représentants de l’ONG au Guardian. Tous ceux qui critiquent le régime ont été exilés, arrêtés ou menacés."
Réponse de Joshua "Un seul homme ne peut pas enfiler une cape et sauver le monde". Re-réponse d’Amnesty: "Il ne s’agissait pas de demander à Anthony Joshua d’être un super-héros des droits de l’homme. Simplement qu’il se serve de sa notoriété pour évoquer publiquement ce sujet. Depuis des années, les autorités saoudiennes essaient de laver leur image par le sport. C’est pourquoi, lorsque les grandes stars du sport acceptent de s’y rendre, c’est une excellente occasion de rétablir l’équilibre…" Demande restée sans suite.
Les défenseurs des droits de l’homme n’ont pas été les seuls à grogner. Les diffuseurs TV ont aussi protesté. DAZN, qui retransmet les combats de Joshua aux Etats-Unis, aurait largement préféré un combat à New York. Au lieu de ça, la plateforme va se retrouver avec une affiche en milieu d’après-midi (à l’heure US), créneau normalement utilisé pour du football américain. En Grande-Bretagne, c’est Sky Sports qui a fait part de son mécontentement. "Ce n’était pas notre choix d’aller là-bas, nous allons juste diffuser le combat", a réagi l’un de ses boss, qui privilégiait de son côté Cardiff. Cela n’a toutefois pas empêché la chaîne de surfer sur l’attente autour du combat, et de revoir à la hausse le tarif de son pay-per-view (24,95 livres au lieu de 19,99). Business is business.