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UFC: comment le sulfureux dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov a "réglé" le clash entre Chimaev et le cousin de Khabib

A l’issue de la victoire d’Islam Makhachev sur Charles Oliveira ce samedi à l’UFC 280, Khamzat Chimaev en est venu aux mains avec le cousin de Khabib Nurmagomedov. Une brouille vite résolue par… Ramzan Kadyrov, autoritaire et despotique dirigeant tchétchène. L’occasion de revenir sur les relations controversées entre ce dernier et certaines superstars de l’UFC.

La scène a vite fait le tour des réseaux sociaux. Juste après la victoire d’Islam Makhachev sur Charles Oliveira pour la ceinture des légers, ce samedi soir à Abu Dhabi dans le combat principal de l’UFC 280, Khamzat Chimaev et Abubakar Nurmagomedov, cousin de Khabib, ancien champion des légers et coach du nouveau champion Makhachev, en viennent aux mains pas loin de la cage et obligent la sécurité à intervenir pour les séparer.

Quelques heures plus tard, la hache de guerre semble pourtant enterrée. Visiblement par l'intermédiaire d'un puissant homme: Ramzan Kadyrov. Sur son compte Instagram, le très décrié dirigeant thetchène - soutien de Vladimir Poutine dans l'invasion de l'Ukraine - publie une capture d’écran d’un appel en visio avec Chimaev et Nurmagomedov qui se tiennent par l’épaule.

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Pas de ça entre représentants du Caucase, en somme. "Il n’y a pas de problème, je m’en suis assuré personnellement", commente le despotique dirigeant. Quelques heures plus tard, une photo de Chimaev à table avec le clan Nurmagomedov est également publiée. Khabib prend même la parole, avec tout ce beau monde autour de lui, dans un message diffusé en vidéo: "Ce qui s’est passé ne montre pas une bonne image. (…) On s’est parlé et on s’est excusé l’un et l’autre. J’espère que nous nous rassemblerons à l’avenir et que nous nous battrons uniquement pour de bonnes raisons. J’espère que ce triste moment n’arrivera plus jamais."

Le bras droit de Kadyrov était à Abu Dhabi

L’homme à la gauche de Khabib, qui était également à leur table, prend alors la parole : "Pour que les gens ne parlent pas mal de nous, nous serons toujours ensemble comme des frères". Identité de cette personne? Abuzaid Vismarudov, bras droit de Kadyrov sous le coup de sanctions américaines pour "crimes de guerre" et "purge contre les homosexuels" en Tchétchénie. A l’heure actuelle, il serait aussi le responsable du déploiement des troupes daghestanaises en Ukraine. Lunaire? Pas quand on s’intéresse aux relations entre Kadyrov et certains combattants UFC.

Connu pour utiliser les sportifs pour sa propagande politique, à l’image des invitations (acceptées) à Grozny de Diego Maradona, Ronaldinho ou encore Floyd Mayweather, le despote tchétchène a créé en 2015 une salle de MMA dans sa capitale, Akhmat MMA (il y en a aujourd’hui plusieurs), une organisation de combats, le World Fighting Championship of Akhmat (WFCA), depuis devenu Absolute Championship Akhmat (ACA), structures dont sont originaires plusieurs combattants UFC passés et actuels toutes deux nommées (tout comme le club de foot de Grozny et son stade) en hommage à son père et ancien "président" Akhmad Kadyrov, assassiné dans un attentat en mai 2004.

Des vétérans et des stars de l'UFC, Fabricio Werdum, Chris Weidman, Frank Mir ou encore Frankie Edgar, sont invités en spectateurs dès le premier show. L’intérêt de Kadyrov se porte vite sur la star voisine du Daghestan. "Khabib est un cas un peu spécial pour Kadyrov, décryptait pour nous Karim Zidan, journaliste spécialisé sur la question, il y a quatre ans. La plupart des sportifs invités viennent seulement assister à un show pour un coup de relations publiques, pour être filmés et photographiés avec lui. Khabib a été invité car il parle la langue et que les gens le respectent beaucoup dans le Caucase. Kadyrov l’a donc fait venir en mai 2016 pour un séminaire, une masterclass qu’il a dispensée dans son club de combat à Grozny. Et il est venu plusieurs fois pour assister à des événements de l'organisation de Kadyrov."

Le despote tchétchène avait même profité du séminaire pour démontrer ses talents de lutteur sur le tapis devant l'assemblée de combattants réunis… A l’époque, Khabib Nurmagomedov va même jouer une sorte de rôle de porte-parole de Kadyrov. "A chaque fois que Khabib parlait aux médias d’Etat locaux, il disait: 'J’espère que Kadyrov réussira à faire venir l’UFC en Tchétchénie'. Ça suffisait à Kadyrov qui veut juste que son peuple pense qu’il a tellement de succès dans sa gestion du pays que l’UFC va y venir. Mais dès que Khabib sortait de Tchétchénie, il ne répétait pas cela." Avant le combat du Daghestanais avec Conor McGregor en octobre 2018, l’Irlandais accusera le père du Daghestanais d’être un "lâche" pour avoir posé avec Kadyrov. Mais la question est bien plus complexe. Et fait froid dans le dos.

"Kadyrov peut mettre la pression sur Khabib et sa famille et leur rendre la vie difficile"

"Quelqu’un comme Khabib, qui a toute sa famille dans la région, dont certains s’entraînent dans le club de combat de Kadyrov, que peut-il faire? Kadyrov peut mettre la pression sur Khabib et sa famille et leur rendre la vie difficile, expliquait Karim Zidan à cette époque. Doit-il répondre à l’invitation de Kadyrov et dire les quelques trucs qu’il attend, assurant la sécurité de tout le monde, ou entamer un clash avec lui? On peut comprendre sa position même s’il essaie de prendre ses distances avec lui en évoquant Kadyrov le moins possible. Le Daghestan et la Tchétchénie sont très proches et Khabib n’a pas vraiment le choix. Si les gens pensent que le père de Khabib avait le choix, ils ne connaissent pas le sujet."

Avec le temps, Kadyrov s’éloigne peu à peu de Khabib (où plutôt l’inverse). Le dirigeant irait jusqu’à soutenir un rappeur russe, Timati, dans un clash verbal avec le combattant. Sa propagande va surtout se porter vers une autre star de l’UFC. L’arrivée du Tchétchène d’origine Khamzat Chimaev à l’UFC, à l’été 2000, est une opportunité en or de se rapprocher d’un athlète encore plus proche de son peuple que Khabib. Kadyrov ira jusqu’à "convaincre" Chimaev de revenir sur sa décision quand il annonce sur un coup de tête sa retraite après un Covid dévastateur. Quand il est à Grozny, Chimaev passe dans la salle de Kadyrov et partage même les gants avec les héritiers du despote.

A son retour au pays fin septembre, après sa victoire express sur Kevin Holland à l’UFC 279, le combattant avait ainsi posté une photo de lui s’entraînement à Akhmat MMA et avant d’autres clichés quelques jours plus tard d’une séance de sparring avec les fils de Kadyrov. Idem il y a quelques jours. Lors du clash avec Abubakar Nurmagomedov à Abu Dhabi, embrouille partie d’un petit coup sur le ventre donné par Chimaev pour lui dire bonjour, Khamzat était ainsi accompagné par un des fils de Kadyrov, Ali, qu’on a pu voir prendre la pose durant cette soirée avec Dana White (patron exécutif de l’UFC) ou encore Daniel Cormier (ancien champion des lourds et des lourds-légers).

Un accompagnant possible à Abu Dhabi mais pas aux Etats-Unis, où la famille Kadyrov ne peut plus venir sans faire face à la justice. La suite logique, aussi, d’une stratégie expliquée par Karim Zidan dans un article datant de mai 2021: la volonté de Kadyrov de remplacer Khabib par Chimaev comme tête de gondole des combattants UFC utilisés pour sa propagande. Depuis, Chimaev ne perd pas une occasion de lancer des piques au clan Nurmagomedov. Jusqu’à l’explosion publique de samedi qui a obligé Kadyrov à intervenir. Et les questions, légitimes, de se poser: mais jusqu’où va le contrôle du très autoritaire despote tchétchène sur certaines stars de l’UFC? Et comment cette dernière peut-elle fermer les yeux sur un entourage si problématique?

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport