
UFC – Ngannou: "J’avais envie de fermer les bouches des gens qui parlaient"
Francis, beaucoup se sont dits surpris de la façon dont vous avez retourné la situation avec la lutte sur les trois derniers rounds pour aller chercher une victoire par décision contre Ciryl Gane. Mais vous, qui n’aviez jamais pu montrer vos progrès en lutte car vos combats étaient trop vite pliés, saviez-vous que vous pouviez l’emporter comme ça?
Je n’étais pas surpris, non. Je savais que je pouvais faire ça. Et s’ils ont été surpris, c’est leur fierté qui a provoqué ça. Ils n’ont juste pas voulu croire que j’avais d’autres astuces. Je pense qu’ils se sont trop écoutés parler et au bout d’un moment, ça leur a joué des tours. C’est la seule explication du fait qu’ils soient surpris.
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Vous avez ensuite révélé avoir fait ce combat avec une grosse blessure au genou, pour laquelle vous allez être opéré ce 18 mars aux Etats-Unis. Est-ce cette blessure qui vous a obligé à changer votre jeu contre Ciryl ou le scénario du combat avec ce qu’il proposait dans les deux premiers rounds?
C’est un truc que je ne peux pas trop expliquer avec précision. Dans les deux premiers rounds, j’étais très mal en point. Déjà, je me combattais moi-même psychologiquement. Cette semaine-là, quand je suis arrivé à l’hôtel le mardi, un dernier docteur m’a réexaminé et m’a demandé d’annuler le combat car je pouvais prendre des coups qui auraient été irréversibles pour ma santé. Mais je me suis entêté. C’était la semaine du combat et je me suis dit que je ne pouvais plus faire machine arrière, que le train était déjà en marche. J’engage le combat, je me dis que c’est bon, que je peux le faire, mais je ne cesse de penser à mon genou. Sur tout ce que je fais, je pense à mon genou. Quand je dois faire tel ou tel déplacement, je me dis que ça peut me faire mal. C’est pour ça que je combattais contre moi-même dans ces deux premiers rounds. Mais à la fin du deuxième, je me dis: "Mais non, ce n’est pas possible, je suis en train de perdre ce combat… Pas aussi facilement, quand même!" Ce n’était pas imaginable pour moi. Au troisième round, je m’engage donc avec un état d’esprit beaucoup plus costaud, plus rebelle. Rien à foutre de mon genou, ce qui doit arriver n’a qu’à arriver, on ramassera les morceaux plus tard mais là il faut y aller.
Sur ces trois derniers rounds, vous dominez votre adversaire en lutte par le contrôle, en mettant la pression au sol par votre physique. Sans cette blessure au genou, auriez-vous pu tenter d’aller chercher plus de choses au sol? Aller plus chercher une soumission, par exemple.
Oui, justement. A partir de trois semaines et demi avant le combat, je n’ai pratiqué aucune lutte alors que j’en faisais deux-trois fois par semaine avec du travail au sol. Je n’ai travaillé ni la lutte ni le sol, j’ai juste un peu fait les pattes d’ours et des exercices sur la partie supérieure du corps. Mon cardio en termes de lutte n’était plus au même niveau, je savais que je ne pouvais pas tenir la lutte pendant cinq minutes. Il fallait donc plus faire jouer mon expérience, jouer sur la position pour dominer et juste marquer des points aux yeux des juges. Je n’étais pas très agressif car je pouvais très vite me fatiguer. J’étais déjà un peu fatigué à ce point du combat mais je ne voulais pas épuiser toute mon énergie donc j’ai joué sur cette position, contrôler, rester actif, et c’est comme ça que j’ai pu mener le combat jusqu’au dernier round. Mais si j’avais été plus en forme, plus préparé, j’aurais tenté beaucoup plus de choses, peut-être un ground-and-pound un peu plus agressif, et surtout une soumission. J’aurais bien voulu mettre une soumission dans cette position. Au fond de moi, j’avais quand même envie de fermer les bouches des gens qui parlaient, qui bavardaient beaucoup. Ça me faisait bien plaisir de me dire: "C’est la lutte ça, faites-moi voir vos techniques. Et votre cardio."
Avant, beaucoup de spécialistes ou de médias, notamment en France, expliquaient que vous ne pourriez pas gagner si le combat dépassait deux rounds et si vous ne lui infligiez pas un KO pendant ces premières reprises. Au final, c’est le scénario inverse qui a eu lieu puisque vous perdez ces deux premiers rounds avant de retourner la situation. Etait-ce un plaisir en plus de "fermer des bouches" à ce niveau?
Ah oui, oui, oui! Ce n’est pas ce que j’aurais choisi, honnêtement, car un combat de cinq rounds n’est pas facile, même si c’est pour fermer la bouche aux gens. Mais tel que ça s’est passé, à la fin, j’étais plutôt satisfait. Je me suis dit: "Continuez de parler de votre cardio, vos techniques, votre révolution… Peut-être qu’il y a tout ça mais comprenez une chose, je suis juste au-dessus de ça, je suis meilleur quoi!" C’est ce que j’ai prouvé et il n’y avait pas meilleur moyen de répondre. Même si ces discours étaient un peu pro-Ciryl, ce n’est pas grave, j’ai eu l’occasion de m’exprimer et je me suis exprimé plus haut et plus fort que tout le monde.
Ciryl remporte les deux premiers rounds avant que vous inversiez la donne. Vous êtes-vous vraiment senti en danger à un moment pendant ce combat?
Je ne me sens pas en danger, non, mais je sais que je perds le combat aux points. Dans ma tête, je sais car j’étais très lucide pendant ce combat et c’est un truc qui m’a beaucoup impressionné sur moi-même, que j’ai découvert sur moi-même. J’étais très posé pendant tous les rounds. Au fur et à mesure que le combat évoluait, j’étais très conscient des choses, de chaque mouvement, chaque étape. A la fin du troisième round, par exemple, j’ai regardé Ciryl et j’ai eu le sentiment que son âme avait quitté son corps.
Vous en aviez parlé après le combat. Avez-vous vraiment ressenti ça dans ses yeux?
Oui. Je l’ai regardé et je me suis vu quand j’avais combattu Stipe Miocic la première fois. C’est là que j’ai su que j’allais gagner ce combat. Je me suis dit: "Bienvenue au club". Car je connais ça, je sais ce qu’il est en train de ressentir, quand le doute commence à se semer dans ta tête et que tu te dis: "Ohlalala". Après le deuxième round, il pensait que le combat était pour lui. Il avait dominé ces deux reprises et c’était évident que la suite, le troisième, le quatrième, allait juste être la cerise sur le gâteau. Mais les choses ont complétement changé et ça devait être un choc pour lui car on a tellement parlé qu’à un moment il a fini par y croire, ce qui était une erreur.

Avez-vous revu le combat depuis votre victoire?
Non.
Vous n’avez donc pas vu les inter-rounds. Avant le dernier round, Fernand Lopez dit à Ciryl Gane: "On ne peut pas perdre le combat pour un problème de cardio"…
C’est parce qu’ils étaient convaincus qu’ils avaient le cardio.
Est-ce que ça vous rappelle un peu ce que vous aviez vécu lors de votre défaite dans le premier combat contre Miocic, où vous aviez encore Fernand dans votre coin?
Ce n’est pas la même chose, non. C’est juste que pendant les trois-quatre mois de la préparation, on vantait son cardio. Je pense que c’était donc un peu une pilule amère pour eux de voir qu’il n’y avait plus ce cardio et que celui qui était censé ne pas l’avoir avait l’ascendant à ce niveau. Que celui qui était censé ne pas avoir la technique, ni lutte ni rien, comme s’il avait été élu champion alors que ce n’est pas le cas car il a gagné ce titre avec tous ses atouts et qu’on n’est pas champion par hasard, avait ces armes.
C’est différent d’être le champion?
C’est une autre mentalité, ça change. Ça demande encore un peu plus d’engagement que d’être un challenger ou un combattant classique qui remplit l’effectif de l’UFC.
Dans l’approche de ce combat, on en a fait des tonnes sur votre ancienne relation avec Fernand Lopez, ce qui est logique pour le storytelling, mais vous étiez déjà à Las Vegas depuis quatre ans et demi. En avez-vous eu marre de voir ces anciennes histoires être ressassées?
Je me suis plutôt désintéressé de ça. J’ai essayé de ne pas me connecter à ça, de me dissocier de ça, et ça a bien marché. J’ai ignoré, en fait, parce que je savais. Avec l’expérience, j’ai aussi appris une chose: le seul truc qui compte dans un combat, c’est le combat en lui-même. Le jour où on ferme la cage et que l’arbitre vous dit de combattre, il n’y a plus personne avec toi, plus personne qui parle. Tout ce qu’on a dit dehors ne sert plus à rien. C’est là-dedans que ça se joue. Et je savais que peu importe ce qu’on pouvait dire, ce serait terminé après le combat car ce serait autre chose dans la cage, c’est là que ça allait se résoudre.
Avant le combat, vous avez eu beaucoup de questions sur votre ancienne relation de travail avec Fernand Lopez. On aimerait plutôt vous poser une question sur un autre entraîneur : qu’est-ce que vous a apporté votre relation avec Eric Nicksick, votre coach chez Xtreme Couture MMA à Las Vegas? Avant le cinquième round, il vous dit: "Je crois en toi, on a traversé tellement de choses ensemble, c’est pour toi". On a l’impression que votre relation est très forte.
Pendant cette préparation, on sait que ça a été très difficile. Il y avait des challenges de gauche à droite, les médias d’un côté, les négociations avec l’UFC d’un autre, le combat en lui-même, et, comme si ça ne suffisait pas, ma blessure. Il faut quand même noter que quand je quitte la France et que j’arrive aux Etats-Unis, n’ayant pas eu une bonne expérience des salles, je décide de ne pas m’engager dans une salle mais de créer mon propre camp d’entraînement. Eric Nicksick n’était pas loin, on se rencontrait de temps en temps et il me disait: "Mon pote, je suis là pour toi si tu as besoin de quoi que ce soit". Quand je combats Junior dos Santos à Minneapolis (victoire par TKO au premier round en juin 2019, ndlr), il manquait une personne dans mon coin cette semaine-là et je demande à Marquel Martin, mon manager, s’il pouvait demander à Eric de m’épauler car il était ami avec lui. Il vient, je l’approche un peu doucement mais il approche une ambiance qui était juste naturelle, quelque chose que je n’avais pas trop connu. Je me sentais à l’aise avec lui, je me suis dit que j’aimais bien ce mec et sa présence. Après le combat, je l’appelle et je lui dis: "Pourquoi ne pas travailler ensemble? J’aime l’énergie que tu apportes." Pour moi, ça, c’est le plus important. Le combat est un sport qui se joue plus sur le mental que sur le physique. Tu as beau être bien entraîné, si tu n’es pas stable ou équilibré mentalement, tu peux très mal combattre. Mais quelqu’un qui est mal entraîné, voire pas du tout entraîné, mais qui est bien dans sa tête, il a ses chances. Je voulais juste quelqu’un qui ne polluait pas l’air à côté de moi, l’environnement, qui pouvait m’apporter son énergie positive et j’ai vu ça en Eric. Ensuite, on s’est mis à travailler sur des techniques, des lacunes que j’avais.

Vous êtes rentré au Cameroun après cette victoire mais on a l’impression, sur ce qu’on voit sur les réseaux sociaux, que c’était moins une grande célébration qu’après votre deuxième combat contre Miocic où vous aviez pris la ceinture. Avez-vous voulu la jouer plus calme cette fois?
Oui, oui, oui. La première fois, c’était épuisant. Ça faisait trop. Du coup, je me suis un peu plus retiré. Déjà, je suis arrivé au Cameroun par surprise, sans annoncer mon arrivée, même si des gens m’ont vu à l’aéroport Charles-de-Gaulle et ont annoncé au Cameroun que j’arrivais, ce qui fait que j’ai eu des bouquets à l’arrivée, des groupes qui m’attendaient, des envoyés spéciaux qui étaient là. Mais je leur ai dit: "Les gars, s’il-vous-plaît, laissez-moi, je vais aller passer un peu de temps avec ma famille et me reposer. Peut-être plus tard mais pas maintenant." C’était un peu dur car ils étaient dans une ambiance festive et je les ai un peu refroidis, ce qui n’était pas facile pour eux mais j’étais vraiment fatigué. Psychologiquement, après tout ce qui s’est passé autour de ce combat, j’étais épuisé.
Abordons votre situation avec l’UFC. Ce combat était le dernier de votre contrat et votre manager avait à l’époque évoqué des négociations "au point mort" pour un nouvel engagement. Mais votre victoire a activé la "clause du champion" et une prolongation automatique, pour un an ou trois combats, de ce contrat sur lequel vous ne voulez plus combattre en raison notamment de bourses par combat trop basses. Près de deux mois plus tard, des discussions ont-elles repris avec l’UFC?
Il n’y a pas eu de discussions, non. Mais il y a quand même eu des tentatives de l’UFC. D’autres voix, des amis proches, m’ont abordé et ont essayé de me convaincre. Et je pense que l’UFC était derrière ça. Ils ont essayé de me convaincre de signer un contrat et de prendre ce que l’UFC me donnait. On m’a dit: "Qu’est-ce qui se passerait si tu perdais ce combat?" J’ai juste répondu: "Même si j’apprécie votre intérêt pour moi, si je perds ce combat, je serai en accord avec moi-même, en paix avec ma décision". Si c’est la fin, que ça se termine à ma manière, mais ça ne va pas continuer sur les règles de quelqu’un d’autre. C’est ma carrière, ma vie, la seule chose où j’ai vraiment un droit de décision. Si je ne peux pas décider pour ma vie, de quoi je peux décider? Rien.
C’était un risque car l’UFC fait souvent signer à ses combattants un nouvel engagement avant la fin de leur contrat pour les garder engagés. Mais avec cette victoire, vous vous retrouvez en position de force pour négocier…
Ça fait plus de deux ans que je refuse un nouveau contrat de l’UFC car je voulais déjà me libérer de ce contrat pour pouvoir faire un nouveau contrat en étant libre. Tu ne négocies pas avec quelqu’un qui t’a enfermé dans une cage. Ce ne sont pas des négociations, ils te font juste croire que tu négocies car que tu dises oui ou non, tu es obligé de combattre. Ce n’est pas ce que j’appelle une négociation, ce n’est pas équilibré. Il faut être tous les deux sur un même pied d’égalité pour pouvoir négocier un nouveau contrat à sa juste valeur.
Un peu de fiction maintenant: votre prochain combat, vous l’imaginez dans la cage de l’UFC pour défendre votre ceinture ou dans un ring de boxe, peut-être contre un Tyson Fury qui a évoqué un combat avec vous pour début 2023?
Honnêtement, je ne sais pas. Ce que je peux répondre, c’est que tout est possible. Une fois de plus, je suis en paix avec moi-même. Ce qui doit arriver arrivera mais selon mes termes et mes conditions, et je serai en paix avec ce qui peut arriver. J’aimerais que les choses se passent bien avec l’UFC, qu’on puisse s’entendre, mais pour ça il va falloir qu’ils fassent beaucoup plus d’efforts que ce qu’ils ont fait, sur les termes du contrat, le salaire et pas mal de choses que je réclame, la liberté éventuellement, le statut…
La liberté d’aller faire de la boxe en parallèle, votre rêve depuis longtemps?
La liberté de choix, en tout cas. Peut-être pas d’aller faire de la boxe mais de pouvoir choisir. De faire du MMA par choix et non par contrainte, comme si je n’avais pas le choix. C’est surtout ça le problème.
L’UFC avait mis une ceinture intérimaire des lourds, remportée par Ciryl, à peine quelques mois après votre sacre. Êtes-vous conscient que la même chose pourrait se reproduire dans les mois à venir, d’autant plus avec votre opération au genou qui arrive?
Pour information, j’étais prêt à ça car ça faisait longtemps que je mettais en place ma stratégie et je savais que ce genre de choses pouvait éventuellement arriver. D’ailleurs, pour tout vous dire, j’étais même prêt à qu’ils me destituent, qu’ils me prennent la ceinture.
Vous dites-vous que c’est encore une possibilité aujourd’hui?
Ils peuvent faire ce qu’ils veulent, je resterai champion tant que quelqu’un d’autre ne me battra pas pour me prendre cette ceinture.
Encore un peu de fiction: si on imagine que vous trouvez un terrain d’entente avec l’UFC, que préférez-vous comme prochain combat? La trilogie contre l’ancien champion Stipe Miocic pour tenter de mener 2-1 dans vos duels ou le challenge de Jon Jones, légende de l’UFC et ancien roi des lourds-légers qui veut monter conquérir les lourds?
Jon Jones! Jon Jones en premier car c’est le combat que je convoite depuis longtemps. Pour différentes raisons, le fait que je n’ai pas signé de nouveau contrat avec l’UFC et que Jon Jones n’était pas facile dans les négociations, ce combat n’a jamais eu lieu. L’UFC s’est même chargée d’éteindre ce combat…
Dans votre esprit, comment se termine ce combat contre Jon Jones?
Avec la victoire de mon côté. Peu importe la manière. La victoire est la victoire, ça a le même goût.