RMC Sport Sports de combat

UFC 280: Charles Oliveira, une revanche permanente sur la vie

placeholder video
Il est resté deux ans à l’hôpital dans son enfance. Il a pris une correction par une fille moins âgée lors de ses débuts. Il a beaucoup perdu dans son début de parcours à l’UFC. Mais il a su surmonter les obstacles pour devenir champion dans la plus grande organisation de MMA. Privé de sa ceinture des légers pour une pesée ratée, le Brésilien Charles Oliveira va tenter de la reconquérir ce samedi soir à Abu Dhabi face à Islam Makhachev dans le combat principal d’un bouillant UFC 280 (en direct à partir de 20h sur RMC Sport 2). Portrait.

Diego Lima ne s’y attendait pas. Mais il a vite compris la force du symbole. En mai 2019, le coach et manager de Charles Oliveira voit son protégé lui tendre une pierre juste avant de marcher vers l’octogone de Rochester, dans l’Etat de New York, et lui demander de la garder pendant son combat (victorieux) contre Nik Lentz, qu’il avait déjà battu quatre ans plus tôt. Avant de s’expliquer: son père, Francisco, en avait donné une à chacun de ses fils plusieurs années auparavant pour représenter la pierre utilisée par David pour vaincre Goliath. Un porte-bonheur qui le suit chaque fois qu’il doit monter dans la cage. Un clin d’œil à son destin, aussi.

>> Suivez l'explosif UFC 280 et l'exceptionnel film sur l'UFC Paris avec le Pass Combat de RMC Sport

Dans notre métaphore, Charles Oliveira est David. Et les épreuves de la vie prennent la forme de Goliath. Opposé ce samedi soir à Abu Dhabi au Daghestanais Islam Makhachev dans le combat principal du très attendu UFC 280 pour la ceinture des légers, vacante depuis qu’il a raté la pesée pour quelques grammes en mai avant sa défense de titre contre Justin Gaethje, le Brésilien qui vient de fêter ses 33 ans il y a quelques jours tentera de réparer l’injustice ressentie avec la perte de son titre. C’est l’histoire de sa vie. Une revanche permanente.

Champion le plus "tardif" de l’histoire de la plus grande organisation de MMA, avec une ceinture remportée pour son vingt-huitième combat à l’UFC, "Do Bronx" (son surnom) n’aurait jamais dû être là si la promesse d’un médecin était devenue réalité. Avant même d’avoir dix ans, le gamin qui s’éclate à jouer au foot dans les rues de Guaruja, à quelques encablures de Santos et de son légendaire club qui a vu passer (liste non exhaustive) Pelé, Coldoaldo, Zito, Dunga ou Neymar, voit sa vie basculer: on lui diagnostique un souffle au cœur anormal et une polyarthrite rhumatoïde qui lui attaque les chevilles. Les conséquences tournent vite au terrible.

Rester debout? Impossible ou presque. Oliveira va devoir passer deux ans à l’hôpital. Le traitement est lourd et coûte cher mais le patron de sa mère, Ozana, femme de ménage d’une école et de la maison du principal, aide la famille à l’assumer (papa travaillait dans un abattoir et vendait des œufs sur le marché local). Après le travail, Ozana vient dormir à l’hôpital, sur le sol à côté de son lit, et passe parfois un mois sans rentrer à la maison pour s’occuper de lui. Les médecins vont lui faire une prédiction qui fait froid dans le dos. "Ils ont dit à ma mère que je ne pourrais plus faire de sport", racontait-il pour le site MMA Fighting.

L’un d’eux explique même à ses parents qu’il y a "une chance" de ne plus jamais le voir marcher. Mais Francisco et Ozana gardent la foi. Et Charles va leur donner raison. Sorti de l’hôpital à onze ans, il n’est pas encore complètement guéri et doit subir deux injections de benzathine benzylpénicilline par semaine et une injection par mois de médicaments antiinflammatoires. Les médecins lui déconseillent toute activité physique trop prenante, à commencer par le foot. Mais deux mois plus tard, contre leur avis, il reprend le sport. Ce ne sera plus avec le ballon rond, trop dangereux pour ses chevilles, mais en jiu-jitsu brésilien, surnommé "l’art doux" au Brésil tant il utilise plus la souplesse et la technique que la force.

"Deux mois plus tard, il a gagné une compétition locale, raconte son père. Quand on est retourné voir le docteur et qu’il nous a dit qu’il ne pouvait pas le faire, Charles avait déjà remporté deux médailles d’or." Avec son frère Hermison, Oliveira a poussé la porte de la salle Bronx’s Gold Team (dont il a tiré son surnom), où coach Ericson Cardoso leur offre des cours gratuits à la demande d’un ami proche. Où il va prendre une bonne leçon dès le premier jour. Trop "vert" techniquement, il fait mal à quelques filles dans des exercices. Une autre, Joyce Matias, une année plus jeune mais qui s’entraîne à la discipline depuis un an, va se charger de lui faire payer. "Je lui ai mis une bonne correction pour qu’il ne fasse plus mal à personne, se souvient-elle dans un sourire. Je ne lui ai laissé aucune chance."

Cardoso pense que l’épisode va le dégoûter. Mais Charles revient à la salle, motivée à l’idée de s’entraîner pour… battre Matias, qui deviendra son amie et un peu plus et qu’il affrontera même dans des combats intersexe dans des tournois locaux. Il finira par "(lui) botter le cul", dixit Matias elle-même. Oliveira est ambitieux. Il veut "faire carrière" dans les sports de combat et "devenir un champion". Mais le MMA n’est pas encore dans son viseur, occupé par le jiu-jitsu. Il va apparaître à seize ans, quand il suit à Curitiba un Cardoso invité par Jorge "Macaco" Patino à venir s’entraîner avec les stars (Wanderlei Silva, Mauricio Rua, etc) de la salle Chute Boxe. S’il doit s’entraîner loin du groupe d’élite de coach Rafael Cordeiro, le garçon impressionne. Il finit par être convaincu de se lancer en MMA.

Le premier combat amateur, en novembre 2007, juste après ses dix-huit ans, se termine par une soumission – clin d’œil à sa formation et à son futur – via clé de bras en quelques secondes. Seul souci? Pas au courant avant leur retour du combat, maman Ozana pique une colère et ne parle plus à Charles et à son père pendant quelques jours. Quelques passages à la salle pour le voir s’entraîner vont la convaincre que le chemin choisi par son fils est le bon. A dix-huit ans, il prend aussi une décision forte : arrêter les injections qu’il subissait depuis petit. Et de lancer à ses parents: "Je préfère mourir que de continuer comme ça et de ne pas faire les choses que j’aime". Quelques mois plus tard, en mars 2008, il remplace un coéquipier au pied levé et effectue ses débuts pro au Predator FC, un tournoi welter – alors qu’il pèse beaucoup moins que la limite de la catégorie – raflé avec trois victoires en une soirée.

Il remportera deux autres tournois du même genre avec plusieurs combats le même soir dans un début de carrière parfait qui le mène à l’UFC en un peu plus de deux ans avec un bilan de 12-0. Son amour pour le MMA s’est affirmé et Oliveira vise le sommet. Il mettra longtemps à l’atteindre. Alors dixième plus jeune combattant à rejoindre l’UFC du haut de ses vingt ans et deux cent quatre-vingt-huit jours pour ses débuts dans l’organisation en août 2010, le Brésilien commence encore par une soumission, via une clé de bras, comme un symbole de la suite. Quinze autres suivront à l’UFC en douze ans pour en faire l’homme avec le plus de soumissions dans l’histoire de l’organisation. Il trône aussi en tête du classement du plus grand nombre de "performances la soirée", avec douze, et du plus grand nombre de "finishes" (soumission ou KO/TKO) à égalité avec Donald Cerrone avec dix-huit.

Mais son parcours est jalonné de hauts et de bas, débuté dans la catégorie des plumes où il rate quatre fois le poids. Sur ses dix-huit premiers combats UFC, huit sont des défaites (33-8, et 1 NC en carrière). Pas le profil d’un futur champion dominateur. Mais son passage définitif chez les légers, en avril 2017, va changer la donne. Oliveira affiche depuis un bilan de 12-1, dont une série en cours de onze succès de rang parmi lesquels on trouve dix "finishes". Après avoir battu Tony Ferguson en décembre 2020, il prend la ceinture des légers laissée vacante par la retraite de Khabib Nurmagomedov en mettant TKO Michael Chandler. Avant de soumettre Dustin Poirier puis Justin Gaethje. Loin, très loin des prédictions des médecins.

S’il bat Makhachev à l’UFC 280, "Do Bronx" aura nettoyé le top 5 actuel de la catégorie en un an et demi ! Cette fois, ce sera avec une vue parfaite. Touché par une myopie, obligé de porter des lunettes, Oliveira avait expliqué "voir à seulement 50%" sans elles mais que ça ne l’avait "jamais gêné en combat". Bonne nouvelle tout de même : une chirurgie réparatrice lui permet désormais d’avoir des yeux "à 100%". Devenu ultra populaire avec le temps, il affirme que le succès ne l’a pas changé, qu’il reste cet homme "simple et humble". Mais il lui a permis de changer des choses.

Dès que possible, il a demandé à ses parents de quitter leurs jobs pour leur acheter une ferme à Vale do Ribeira, à quatre heures de Sao Paulo, et la remplir d’animaux: lamas, bovins, poulets, cochons, dindes, canards, oies, bovins, autruches, émeus, poneys et chevaux. Avec ces derniers, la relation va plus loin: Oliveira dispute des courses de trot avec son cheval Nelson, passion née auprès de son ami Gia Santos qui l’a souvent accompagné dans son coin pour combattre alors qu’il n’a pas d’expérience des sports de combat à haut niveau. Un hobby qui coûte mais qui fait du bien à celui qui est trop "gros" pour être un vrai jockey mais réussit tout de même à gagner quelques courses locales.

Il a aussi ouvert sa propre salle d’entraînement à Guaruja, Centro de Treinamento Charles Oliveira Gold Team, où sa femme pratiquant de jiu-jitsu brésilien Talita Roberta Pereira (ils ont une fille, Tayla, née en 2017) sert également de coach. La réussite par le sport, quoi. Et ce n’est pas fini. En cas de victoire sur Makhachev, favori des bookmakers malgré le chemin parcouru par son adversaire, comme un symbole d’un Oliveira qui a toujours dû renverser l’adversité sur sa route et qui devra faire face à une salle en faveur du Daghestanais à Abu Dhabi, il a déjà annoncé vouloir défendre sa ceinture contre Alexander Volkanovski, le champion des plumes numéro 1 du classement pound-for-pound (toutes catégories confondues) de l’UFC, en janvier au Brésil lors de l’UFC 283. Avant d’aller défier Volkanovski chez lui, en Australie, lors de l’UFC 284 en février pour la ceinture des plumes!

"C’est culotté mais on peut le faire", répond son possible futur rival. Futur double champion? On n’en est pas là. Mais le garçon n’aura jamais rien à regretter. Ce qu’il a réalisé est déjà exceptionnel. Loin, très loin de ce qu’on lui promettait. "Je suis un gamin d’un quartier très pauvre à qui les docteurs ont dit qu’il ne pourrait plus faire de sport, et regardez où j’en suis désormais, lance-t-il. Regardez tout ce qui est arrivé dans ma vie. Comment puis-je ne pas dire que la favela a gagné?"

Et de conclure comme un message à ceux qui partent de loin comme lui: "Je me souviens quand je marchais des heures pour rentrer après des tournois de jiu-jitsu car on n’avait pas d’argent pour prendre le bus. Je me souviens de partager un sandwich à midi pour pouvoir prendre le bus. Si votre vie est facile, vous êtes trop ramolli. Si votre vie est dure, ça paie à la fin. Je veux montrer à tout le monde qu’on peut obtenir des choses si on travaille dur, même si on vient d’une favela. Tu n’as pas à voler, à trafiquer de la drogue ou à faire de mauvaises choses. Je veux montrer aux enfants qu’ils peuvent gagner dans la vie. Revenir au Brésil avec la ceinture et permettre aux gamins de la favela de la toucher n’a pas de prix." Sa pierre de David en poche, il peut aussi rendre visite à ses anciens médecins. Pour leur rappeler qu’il ne faut jamais dire jamais.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport