UFC 281: Pereira, la menace venue du passé pour le roi Adesanya

Juillet 2022. Dans les entrailles de la T-Mobile Arena de Las Vegas, Alex Pereira et Israel Adesanya s’arrêtent tour à tour au micro de RMC Sport après leurs victoires respectives sur Sean Strickland et Jared Cannonier lors de l’UFC 276. "Ce sera le même résultat, comme en kickboxing", annonce le premier. "C’est du MMA, mon monde, et il verra que le résultat sera différent", lâche le second. En deux phrases, "Poatan" et "The Last Stylebender" ont résumé le storytelling autour de leur affrontement de ce week-end dans le combat principal de l’UFC 281.
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Roi des moyens, catégorie dont il détient la ceinture incontestée depuis octobre 2019, Adesanya (23-1 en carrière; trente-trois ans) remet sa couronne en jeu pour la sixième fois – plus très loin du record dans cette division détenu par la légende brésilienne Anderson Silva avec dix – face à un adversaire qui ne compte que sept combats en MMA (6-1; trente-cinq ans) dont seulement trois à l’UFC, où il a débuté il y a un an lors de l’UFC 268… au Madison Square Garden.
Trop précoce pour avoir sa chance pour le titre? D’habitude, oui. Mais Pereira n’est pas un adversaire comme les autres pour le Nigérian/Néo-Zélandais. Le Brésilien est le seul homme à avoir mis "Izzy" KO dans sa carrière. La chose remonte à leur époque commune dans le kickboxing. Pereira l’a même battu deux fois. La première en avril 2016 sur décision unanime lors de l’événement Glory of Heroes en Chine. La seconde en juillet 2017, au Glory of Heroes 7 au Brésil, pour un KO au troisième round sur un crochet gauche dévastateur, le même que celui avec lequel "Poatan" a éteint Strickland.
Derrière, Pereira deviendra double champion du GLORY, la grande organisation de kickboxing, chez les moyens et les mi-lourds. Adesanya, lui, dira adieu au pieds-poings derrière ce KO et basculera pour de bon vers le MMA – où il combattait en pro en parallèle depuis mars 2012 – pour aller remporter le titre de l’Australian Fighting Championship quelques jours plus tard avant d’entamer son parcours à l’UFC début 2018. Avec un Pereira enfin tourné à fond dans le MMA depuis 2021, alors qu’il avait disputé son premier combat pro dans la discipline en octobre 2015, la route était tracée pour des retrouvailles dans la cage.
L’UFC a vite flairé le bon coup et n’a pas hésité à propulser le Brésilien vers les sommets, avec deux combats avant de le placer face à un top 5 (Strickland) qui lui a ouvert les portes d’un choc ultra intriguant et vendeur. "Je savais que ça irait vite à cause de notre histoire en commun, confirme Pereira. Je me disais que ça allait prendre trois-quatre combats." "L’UFC sait ce qu’elle fait, sourit Adesanya, et ils lui ont donné les bons combats pour le mener à moi. Je m’attendais à ça." "J’ai affronté trois adversaires difficiles donc je pense mériter cette chance", rétorque son rival.
Le champion s’en amuse: "Alex ne serait pas là sans moi. J’ai nettoyé ma catégorie, détruit tout le monde en face, et créé le chemin pour qu’il arrive à moi. Sans ça, il aurait été exposé pour ses faiblesses depuis longtemps. Mais je vais m’en charger." "Izzy" ne se cache pas. Ce combat a "un petit goût en plus". "Tous les combats sont importants mais c’est celui que je dois gagner à cause de notre histoire, lance Adesanya. J’ai tourné la page de ces défaites il y a longtemps mais la vie me donne une opportunité de corriger ça. Même s’il n’y a pas d’émotions dans tout ça, c’est personnel. Il a le droit de se vanter avec ses victoires, il peut dire de la merde tant qu’il veut. Mais quand on sera dans la cage, ce sera une autre histoire."
Cinq ans après, la rivalité passe du ring à la cage. Ravivée par les déclarations devant les médias et quelques vidéos de Pereira qui chambrent Adesanya sur ses méthodes d’entraînement. "C’était juste pour rigoler et faire monter la sauce sans les insultes habituelles, explique le Brésilien. Ce n’est pas personnel pour moi. Je fais mon travail comme contre n’importe qui." Une question entoure le choc : le passé pèsera-t-il sur le présent? "Il y pense toujours, c’est sûr, estime Pereira. Il ne peut pas l’effacer de sa tête."
Adesanya préfère renverser l’obsession: "Je ne regardais pas ses combats après avoir quitté le kickboxing. J’ai appris qu’il avait été double champion au GLORY il y a quelques jours seulement. Mais chaque fois que je combattais, il regardait." Reste à savoir quel cliché prendra vie au Madison Square Garden. Jamais deux sans trois ou comparaison n’est pas raison? Tenter de répondre pousse à pointer un trompe-l’œil. Quand on regarde leurs deux combats en kickboxing, il n’est pas fou d’affirmer que le champion des moyens de l’UFC a pris l’avantage lors de cinq des six rounds. La décision du premier combat est controversée et le crochet gauche du KO l’a surpris. Mais il n’était pas dominé, loin de là.
"Sur le premier, il suffit de voir nos visages quand son bras est levé, pointe Adesanya. C’était un combat serré mais si on note selon les critères du kickboxing, je suis le vainqueur. Pour son KO, je n’ai jamais dit que c’était un coup chanceux. Il a travaillé pour mettre ce coup et je lui ai toujours donné du respect pour ça. Mais cette fois, il sera forcé à me donner le sien." Critiqué pour ses dernières prestations, où on lui a reproché de trop gérer à l’image de sa victoire par décision sur Cannonier en juillet, le champion semble réveillé par cette possible revanche. Son dernier TKO remonte à l’UFC 253 en septembre 2020 contre Paulo Costa. Le dernier combat, aussi, où son adversaire avait rendu les choses personnelles par ses paroles.
"Il y a une énergie sombre autour de ce combat, lance Adesanya, qui a joué sur les réseaux sociaux avec l’imagerie de Jigsaw, personnage fictif qui punit les gens pour leurs mauvaises actions du passé. J’ai l’impression de revivre Costa et j’aime ce genre d’énergie. J’aime que la pression soit sur moi. Je me demande même pourquoi je suis favori des bookmakers vu notre passé. Les gens devraient parier sur lui et voir ce qui arrive. Si tu laisses de la vie à ton adversaire, il va revenir pour une revanche. Il aurait dû me tuer au Brésil. Maintenant, c’est mon heure et je vais le défoncer. Les gens essaient de vivre sur mon nom. Mais c’est mon jeu."
Alors, aura-t-on droit à un pur combat de kickboxing ou "Izzy" tentera-t-il de mixer les armes du MMA, sol compris, pour donner une leçon à "Poatan"? "Les gens disent que c’est différent car c’est du MMA, répond le Brésilien, qui a travaillé son jeu et son grappling avec son compatriote Glover Teixeira, ancien champion des mi-lourds qui tentera de récupérer la ceinture en décembre à l’UFC 282 face à Jiri Prochazka. Mais beaucoup pensent que ce sera un combat de kickboxing dans une cage. Dans ce cas, qui aura l’avantage? Celui qui a continué le kick, moi, ou celui qui a arrêté? On a évolué tous les deux depuis mais j’aurai l’avantage sur ce domaine. Après, il sera peut-être celui qui m’amènera au sol. Tout peut arriver en MMA. Mais s’il le fait, c’est qu’il sera désespéré plutôt que dans une stratégie."
Adesanya, qui avait montré des limites au sol quand il était monté de catégorie pour défier celui qui était alors champion des mi-lourds Jan Blachowicz mais s’était fait dominer physiquement (Pereira, qui reprend une quinzaine de kilos après la pesée, est lui aussi bien plus impressionnant sur ce plan quand on croise les deux), en sourit: "C’est du MMA, non? C’est peut-être lui qui amènera le combat au sol. S’il le fait, je lui prendrai son cou. Il n’essaiera pas de s’enfuir. Il va essayer de se battre. Et j’adore les mecs qui aiment se battre car j’aime ça aussi. En kickboxing, il encaissait bien mes coups car j’étais un gamin maigre mais je peux retrouver les mêmes angles. Mon striking a toujours été mieux adapté au MMA, je le répète depuis le début. Je lui mettrai peut-être juste des jabs et des coups de pied."
Le champion charismatique, qui a comme d’habitude prévu une entrée vers la cage sous le signe du show, avait dit à TMZ vouloir faire de ce combat "un film d’horreur " où Pereira verrait son visage en se réveillant d’un KO. Celui qui a récemment refusé de jouer dans Creed III – "Hollywood sera toujours là plus tard" – a même trouvé un titre: "Un endroit silencieux". Il annonce vouloir un gros KO, preuve de ses envies de revanche. Avec le risque mental de se pousser à trop en faire et à ouvrir la porte à l’adversaire via des erreurs. L’intéressé l’assume. "Parfois, les énergies se mélangent mal, rappelle-t-il. On ne s’aime pas et on ne s’aimera pas après. C’est comme ça."
L’animosité n’empêche pas le respect. Pereira juge Adesanya comme "le meilleur striker de l’UFC derrière (lui)". Le champion estime que son rival est "très bon dans ce qu’il fait": "C’est un gars qui apprend vite et il amène de bonnes caractéristiques en MMA. Mais ce que j’ai réalisé à l’UFC est beaucoup plus fort que ce qu’il a fait en kickboxing." Adesanya compte battre Pereira, dernier membre du top 6 des challengers pas encore à son palmarès, et "nettoyer une nouvelle fois la catégorie", "continuer de battre les meilleurs et tous ceux sur mon chemin", sans oublier de remonter à terme chez les mi-lourds pour se tester, même sans ceinture en jeu comme Anderson Silva l’avait fait.
En attendant, le champion a un message pour son challenger: "Cette ceinture ne va nulle part!" Son adversaire imagine l’inverse et ne voit pas "Izzy" lui demander une revanche après l’avoir battu: "Il le mériterait vu ce qu'il a accompli mais je pense que si on lui demande s’il veut une revanche après ma victoire, il n’en voudra pas. Je vais montrer aux gens que je m’entraîne au MMA depuis longtemps et que je suis dangereux dans ce sport."