UFC Paris: "Les champions sont plus complets", la légende Dan Severn raconte l’évolution de l’UFC

Quand vous avez débuté à l’UFC, en décembre 1994, auriez-vous pu imaginer que cette organisation puisse devenir le mastodonte qu’elle est aujourd’hui?
On m’a tellement posé cette question au fil des années. Et déjà à l’époque, je répondais toujours quelque chose: si ça peut survivre… A ce moment-là, ce sport était attaqué car ses principes étaient considérés comme vicieux. Il n’y avait que deux règles, pas de morsure et pas de doigt dans les yeux. Mais il n’y avait pas de catégorie de poids, pas de limite de temps. Beaucoup de gens voyaient ça comme un truc de barbares, comme des combats de chiens en cage. C’était le déclin de la civilisation ! Mais je venais d’un environnement sportif et tout ce qui comptait pour moi, c’était la compétition. Il y avait des règles très libres mais ça restait de la compétition. Je serrais la main de mon adversaire avant, je la serrais après et c’était sans rancune pour ce qui s’était passé dans la cage. Je savais que ça grandirait dans de grandes proportions mais on n’est toujours pas au moment où on a un événement comme le Super Bowl. Il y a encore beaucoup de place pour que ce sport continue à grandir.
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Médias, hommes politiques, les critiques venaient de partout dans les débuts de l’UFC. A l’époque, pensiez-vous que l’UFC allait mourir?
Je savais que ça survivrait. Mais à quel niveau ? L’instauration de règles a changé ce sport. Chaque fois que vous mettez en place de nouvelles règles, on se demande si c’est au bénéfice d’un sport ou à son déficit. Le sport a continué de se développer et a trouvé un modèle plus conforme pour les pay-per-views et ce genre de choses. Comme je l’ai dit, il y a encore la place pour que ce sport grandisse et qu’il devienne un encore plus grand spectacle.
Vous avez débuté à l’UFC lors de l’UFC 4. Aviez-vous regardé les trois événements précédents et comment avez-vous découvert l’UFC?
Non, je ne les avais pas vus. Le pay-per-view n’était pas un modèle aussi répandu à cette époque. Si vous vouliez en voir un, il fallait aller dans une grande ville près de chez vous pour trouver une salle qui le diffusait. Aujourd’hui, vous pouvez le regarder depuis votre téléphone portable. Le sport a évolué comme la technologie a évolué. Qui sait comment on le consommera dans cinq ou dix ans? Peut-être qu’on aura tous une puce dans la tête qu’on aura juste à actionner pour pouvoir regarder un événement.
Quand vous avez découvert des images de l’UFC pour la première fois, quel a été votre sentiment? L’envie d’essayer ça au plus vite?
Quand j’ai vu l’UFC pour la première fois, ça m’a presque choqué qu’une telle compétition soit permise! Mais à force de regarder, je l’ai vu comme un challenge. Est-ce que je peux t’atteindre avant que tu ne m’atteignes? Le tout avec seulement deux règles, pas de morsure et pas de doigt dans les yeux. J’ai un peu vu ça comme une partie d’échecs, où se faire mettre mat va vous faire un peu mal. (Rires.) J’ai été tenté de participer à l’UFC 3 mais la date était trop proche donc mon premier événement était l’UFC 4. Et le reste appartient à l’histoire. Pour l’UFC 4, je n’étais qu’un remplaçant de dernière minute. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour m’entraîner, à peine cinq jours, une heure et demie par jour, avant de monter dans la cage. Beaucoup des combattants actuels veulent des camps d’entraînement de six ou huit mois et veulent connaître leur adversaire très à l’avance. A l’époque, on ne savait pas qui on allait affronter. Il ne fallait pas combattre un seul adversaire sur une soirée mais trois pendant les deux heures du pay-per-view! Parfois, je me demande combien des combattants actuels seraient capables d’arriver pour une conférence de presse le vendredi et d’y découvrir quel sera leur adversaire du lendemain après un tirage au sort dans une grande boule à bingo… C’était une ère totalement différente et il serait impossible de reproduire la même chose aujourd’hui mais on pourrait encore faire des tournois à huit combattants en espaçant ça sur plusieurs mois car ils ne permettront plus plusieurs combats dans la même soirée. Avec des écarts de deux mois entre les combats, ils pourraient avoir des événements en mode tournois en plus des cartes traditionnelles.
Aviez-vous peur avant de monter pour la première fois dans la cage de l’UFC?
Non. Mon expérience américaine ne m’avait pas bien préparé. Mais mon expérience dans des compétitions à l’étranger m’avait bien mieux préparé. (Sourire.) Pourquoi? Car les Etats-Unis ne sont pas aimés par de nombreux autres pays, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Chaque pays crache sa propre propagande, qu’elle soit positive ou négative, et les Etats-Unis ont soutenu toutes les formes de liberté mais la Russie ou la Chine n’en étaient pas contents. Peu de gens nous aiment et cette expérience internationale en lutte, libre comme gréco-romaine, m’a vraiment mieux préparé pour l’octogone que tout ce que j’avais pu faire avant.

Vous étiez le premier lutteur de classe mondiale à l’UFC, vous avez ouvert la porte à une discipline qui fait aujourd’hui briller beaucoup de combattants. Réalisiez-vous à l’époque à quel point cette discipline allait faire une différence technique dans le MMA?
Ça a changé les choses mais il faut voir ça par rapport aux règles d’aujourd’hui. Personnellement, je n’avais qu’une seule arme dans mon arsenal : la lutte. Je n’allais pas gagner un combat avec mes mains, mes jambes, mes genoux ou mes coudes. Je n’étais pas un striker. Vous avez donc une chance de m’attraper en striking, avec vos jambes ou quoi que ce soit, mais au moment où j’arrive au corps-à-corps, quand je vous colle contre la cage ou si je vous amène au sol, j’ai annulé 99% de vos techniques. Tous les strikers ont besoin de place pour bouger et pour envoyer leurs coups de poing ou de pied. Tout ça s’éteint quand je vous coince au clinch, contre la cage ou au sol. Quand je fais une de ces trois choses, mes qualités techniques ne font que commencer. Quelqu’un comme Mark Coleman a été surnommé "le parrain du ground-and-pound", un truc barbare mais si efficace quand il vous fracassait au sol avec ses poings. Aujourd’hui encore, c’est très utilisé. On retrouve tous ces coups, par exemple ceux avec le coude, qui ont été introduits à l’époque.
La finale de l’UFC 4 oppose un lutteur, vous, à un spécialiste de jiu-jitsu brésilien, Royce Gracie, qui s’impose. Près de trente ans plus tard, le combat de l’année va opposer deux spécialistes de ces deux disciplines: Islam Makhachev et Charles Oliveira. La lutte et le jiu-jitsu sont-ils les deux outils les plus efficaces dans le MMA?
Tu dois toujours maîtriser des choses en striking car le combat commence debout et qu’il faut réduire la distance pour utiliser ces disciplines. Si vous êtes très fort sur le jiu-jitsu brésilien et/ou la lutte, il faut tout de même apprendre le striking pour pouvoir rentrer au clinch ou placer un takedown sans prendre de dommages au passage. Et tu peux aussi faire mal à ton adversaire. S’il est déjà touché quand vous l’amenez au sol, vous allez pouvoir trouver plus vite une meilleure position. Je vais paraître un peu biaisé vu mon profil de combattant mais si je peux amener quelqu’un au sol car je suis meilleur en grappling et j’ai assez de striking pour survivre au reste, je vais l’emporter plus que l’inverse.

L’instauration des règles unifiées du MMA, en 2001, a-t-il été un des points les plus importants pour la survie de la discipline quand elle était très critiquée?
C’est ce que j’appelle faire des compromis. Avoir une limite de temps ou des arbitres plus impliqués avec plus de règles a permis de rendre la chose plus civilisée. Quand on voit où ce sport a commencé et où il en est aujourd’hui, et qu’on se dit qu’il peut encore devenir dix fois plus grand… Ce sont les règles qui font ou défont un sport. Mais il faut avoir des gens plus éduqués à la discipline pour aider à faire ces règles. Vous parlez à un compétiteur, un athlète, et j’ai déjà en tête quelques règles qui pourraient rendre ce sport plus électrisant pour les fans.
Lesquelles?
Je ne vous le dirai pas. Mais pour tous ceux qui sont impliqués dans ce business, vous pouvez me contacter via mon site internet et je vous apporterai cette connaissance. (Sourire.)
Il n’y avait pas de catégories de poids à votre époque. Quel est l’adversaire avec le plus grand écart physique entre vous que vous avez affronté?
La plus grande différence de poids que j’ai connue était pendant ma carrière amateur en lutte. J’ai affronté des adversaires qui étaient plus gros de 90 kilos voire plus.
Et à l’UFC?
Je ne m’en souviens plus. Il n’y avait pas de limite à l’époque donc je pense qu’il y a au moins eu des écarts de 45-50 kilos.

Comment jugez-vous l’évolution technique des combattants UFC?
Les champions sont bien plus complets. Des strikers arrivent à tenir en grappling contre les meilleurs grappleurs, des grappleurs arrivent à tenir en striking contre les meilleurs strikers. Cela vous donne des athlètes beaucoup plus complets. Il y a aussi le fait qu’ils aient ajouté le MMA féminin. Elles ne sont pas arrivées à l’UFC avant le début des années 2010 et Dana White a même dû ravaler ses mots car il avait dit que ça n’arriverait jamais. Au moment où il avait prononcé ces mots, je m’étais dit qu’il allait avoir besoin d’un bain de bouche car il allait vite les ravaler. C’était pareil avec la boxe féminine. Cela n’existait pas pendant longtemps mais ça a fini par arriver. Et souvent, avec le MMA féminin, on voit des combats plus vicieux que ceux des hommes.
L’UFC arrive pour la première fois en France le 3 septembre. Comment jugez-vous le fait que ce sport ait autant réussi à se développer à travers la planète?
J’adore voir ça. On voit de plus en plus d’événements, et même des pay-per-views numérotés, en dehors des Etats-Unis. C’est très important de déplacer le show un peu partout car vous ne pouvez pas grandir si vous restez au même endroit. Il ne faut jamais rien prendre pour acquis mais quand vous pouvez bouger dans autant de pays, donner la chance aux fans qui regardent ça depuis des années de le voir de leurs propres yeux, et même parfois d’interagir avec des combattants actuels ou des anciens, c’est très important pour ces fans, ça veut dire beaucoup pour eux.
Le combat principal à Paris opposera Ciryl Gane à Tai Tuivasa chez les lourds. Que pensez-vous de Ciryl Gane?
Je vais être honnête. Je ne regardais pas beaucoup d’événements de l’UFC quand je combattais et c’est toujours le cas. Je ne regarde pas beaucoup la télévision. Je suis très actif, j’aime ce que je fais dans la vie, et comme je dis aux gens, quand je serai vraiment très vieux, genre 125 ans, je regarderai plus la télé. Mais pour l’instant, je suis trop occupé à vivre ma vie et à en profiter.
Vous êtes une légende de l’UFC. Qui est le GOAT (le plus grand de tous les temps) de cette organisation selon vous?
Tous les deux-trois ans, il y a une nouvelle moisson de champions qui arrive. Souvent, on me pose des questions en me disant: "Quand tu étais à ton meilleur à l’UFC…" J’arrête tout de suite ces gens. Vous ne m’avez pas vu à mon meilleur à l’UFC! Mon meilleur était entre 1984 et 1986, quand l’UFC n’existait pas encore, comme lutteur amateur, quand je détruisais tout le monde. Si j’avais pu combattre en plus dans une cage à ce moment-là… Oh mon Dieu! Ils auraient même dû me trouver un surnom plus fort que "The Beast". Ça aurait été trop bas pour moi à l’époque.
Pouvez-vous nous raconter ce que c’était d’être un combattant UFC dans les débuts de l’organisation? Des gens vous reconnaissaient-ils dans la rue grâce à vos combats dans l’octogone?
Cela fait à peine deux ans que j’ai arrêté de me teindre les cheveux. Je l’ai fait pendant toute ma carrière à l’UFC. Mes cheveux ont toujours été blancs donc je teintais mes cheveux, ma barbe et mes sourcils. C’était psychologique. Si tu montes dans la cage pour combattre et que tu vois de l’autre côté un type avec des cheveux blancs, tu ne seras pas aussi intimidé que si tu vois un gars avec des cheveux noirs. C’est de la psychologie de base et ça fait partie des sports de combat. Beaucoup de combattants ne comprennent pas l’art de la psychologie. Tu peux gagner un combat avant même de combattre avec la façon de te comporter, ce que tu dis, ce que tu fais. J’ai toujours pensé à ça. J’ai fait plus de 100 combats de MMA mais est-ce que vous voyez des coupures sur mon visage? Un nez cassé? Des dents cassées? Des oreilles en chou-fleur? Non. Car je me suis protégé. Je savais que ma carrière ne durerait qu’un temps et je voulais pouvoir faire autre chose après.
Pour revenir à ma question: étiez-vous célèbre à l’époque grâce à vos combats à l’UFC?
Quand on est dans un événement spécial UFC, comme l’International Fight Week à Las Vegas, je ne suis pas surpris qu’on me reconnaisse. A l’époque, ça m’arrivait plus qu’aujourd’hui car on me reconnaissait mieux avec la teinture sur mes cheveux et ma moustache. Mais dans les événements faits pour les fans de l’UFC, on m’arrête toujours beaucoup pour des photos ou des autographes car ce sont des gens qui adorent ce sport.
Lors de votre premier combat à l’UFC 4, vous aviez placé deux souplesses arrière. Aviez-vous envie de marquer votre territoire pour signer l'arrivée de la lutte dans le MMA?
Vous parlez du combat contre Anthony Macias, mon premier en MMA et à l’UFC. En fait, je n’ai pas réussi à faire ce que je voulais faire en premier, une souplesse belly-to-belly, car il était recouvert d’huile pour bébé, ce qui a fait glisser mes mains de sa taille à ses aisselles. Quand je l’ai jeté vers l’arrière, je me suis même fait mal à la tête en me cognant. Si j’avais réussi à le jeter comme je le voulais, le combat aurait été terminé sur le coup. Je sais comment jeter les gens et il était très léger. Je réussissais à jeter des gens de plus de 180 kilos donc ça aurait été du gâteau pour moi.