Roland-Garros: "Nadal a toujours été sa référence", la surprise Loïs Boisson racontée par son préparateur physique

Quel est votre ressenti sur ce que Loïs est en train de réaliser sur ce début de Roland-Garros ?
Oui, ça, c'est sûr. Je suis extrêmement ravi. Toute l'équipe est ravie. Tout son environnement est ravi, après des mois, évidemment, compliqués. À la fois, c'est formidable et en même temps, ce n'est presque pas une surprise, parce qu'on sait tout ce qu'elle était capable de faire à l'entraînement, au-delà de sa blessure, mais même depuis des années, et on savait qu'elle avait le potentiel pour accomplir de grandes choses. Donc, à la fois, heureux, mais pas surpris.
Et justement, cette blessure, on parle des croisés. Est-ce qu'on pourrait revenir sur tout le travail qui a été effectué à cette période-là ?
Oui, en fait, au départ, évidemment, il y a le trauma. Le trauma physique, parce que c'est sur un mouvement. Et puis, il y a le trauma psychologique, évidemment, parce que c'est une des blessures qui met le plus de temps à revenir. Et donc, au départ, tout simplement, il y a des étapes à valider dans cette blessure qui est bien connue dans pas mal d'autres sports, que ce soit au foot, à ski ou dans d'autres disciplines. Et donc, du coup, il y a différentes étapes à valider les unes après les autres. Et la première des étapes, c'est surtout un accompagnement psychologique, tout simplement, c'est-à-dire que son environnement, qu'on montre qu'on est malgré tout présent, qu'on est là pour la soutenir, que c'est très compliqué, que c'est difficile. C'est intervenu dans une période en plus, évidemment, qui était d'excellent niveau. Et puis après, c'est valider ces étapes-là, l'opération.
Puis après l'opération, qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qu'on met en place ? J'apparente ça un peu à "je veux aller au sommet de l'Everest" et je ne vais pas me dire "ok, je vais à l'Everest". Non, je vais au camp de base 1. Puis quand je me suis adapté au camp de base 1, je vais au camp de base 2. Et donc, c'est ça. Et on a essayé de lui faire voir qu'il fallait valider des étapes les unes après les autres et qu'il ne fallait pas penser à trop long terme. Et que comme elle est extrêmement disciplinée et rigoureuse pour faire tout ce qui était protocole, qu'elle était à l'écoute des kinés, des médecins et que tout était rigoureusement fait, du coup, elle a validé toutes les étapes les unes après les autres dans un schéma quasi parfait. Il n'y a eu aucun accroc dans sa réathlétisation, dans sa récupération. Donc, ça a été neuf mois complexes, mais qu'elle a très bien su gérer.
On vous parlait justement un peu de sa personnalité, du fait qu'elle soit extrêmement rigoureuse, pointilleuse, etc. Est-ce que travailler avec elle quand on est un préparateur physique, c'est linéaire, c'est facile d'être avec elle ?
Alors, à la fois, c'est facile, évidemment. 90% du temps, c'est facile, mais il y a toujours ce petit 10% où en fait, ce qui est très bien parce que c'est challengeant pour moi aussi, c'est qu'il faut être extrêmement précis dans ce qu'on propose. Donc, oui, c'est facile parce qu'on sait qu'à partir du moment où on va lui donner un conseil, on va lui envoyer une séance, on va lui demander de faire des exercices. On n'a aucun doute sur le moteur, c'est-à-dire qu'on sait qu'il n'y aura pas de problème, ça va être fait. Et en même temps, c'est challengeant pour moi parce qu'il y a cet aspect où je dois être extrêmement précis aussi parce qu'elle est très précise et c'est du très, très haut niveau. Et donc, du coup, moi aussi, je me dois d'être précis, c'est très challengeant.
Et l'autre défi aussi que j'ai envers Lois, c'est de toujours avoir ce frein à main, moins maintenant, mais c'était plus le cas avant, de se dire, il y a des fois où il faut savoir aussi se poser, c'est important. La récupération fait partie intégrante du processus d'entraînement. Et ça, c'est des choses auxquelles il faut être extrêmement vigilant avec Loïs parce qu'en fait, elle absorbe, elle absorbe, elle absorbe, elle prend, elle fait, elle fait, elle fait, et à un moment donné, il faut aussi moi être capable d'avoir le recul nécessaire et prendre le temps pour bien faire les choses.
Par rapport aux autres joueuses que vous avez pu connaître, a-t-elle "un temps d'avance" sur sa façon de penser et sa façon d'être par rapport à d'autres joueuses ?
Alors par rapport à son classement, oui, c'est sûr que quand on regarde le classement qu'elle a et si on regarde que le chiffre par rapport à son état d'esprit et ce qu'elle met en place, c'est sûr qu'elle n'est pas aujourd'hui là où elle devrait être en termes de classement. Maintenant, ce sont des caractéristiques que j'ai retrouvées chez des joueuses que j'ai eu l'occasion d'entraîner qui sont dans le top 50, top 30, top 20, c'est-à-dire cette précision, cette rigueur, c'est l'aspect méticuleux de l'entraînement que je pouvais retrouver à certains moments chez Serena aussi, par exemple. Et c'est des choses comme ça qu'on retrouve, c'est des éléments qu'on retrouve et qui sont déterminants de toute façon pour atteindre la haute performance. C'est obligatoire.
Et quand on voit son physique aussi, on n’en voit pas beaucoup sur le circuit…
Oui, alors ce n'est pas contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas forcément parce que je lui dis de prendre des charges lourdes et qu'on est sur un objectif de développement de volume ou de masse musculaire absolument. C'est qu'en fait, elle met tellement d'intensité, ne serait-ce que de jouer au tennis, elle met tellement de concentration et d'intensité dans le moindre exercice qu'elle va faire qu'en fait automatiquement, elle va mettre un engagement musculaire important. Et puis, elle est comme ça, elle a toujours aussi été comme ça. Donc, elle a un physique où elle est grande, elle est puissante et c'est un vrai point fort aujourd'hui et il faut qu'elle l'utilise clairement.
Est-ce que vous avez aussi vu des similitudes par rapport à Rafael Nadal ?
Je n'ai pas eu l'occasion d'entraîner Rafael Nadal, mais je sais que de toute façon, elle a agi volontairement ou involontairement, je ne sais pas, mais un peu par mimétisme parce qu'elle le dit elle-même. Nadal a toujours été un peu son idole et sa référence et même sa manière de jouer, elle ne joue pas comme une joueuse de tennis classique, elle joue un peu différemment. Et du coup, c'est vrai qu'elle s'en est très certainement inspirée volontairement ou involontairement encore une fois, mais oui, elle s'en est inspirée à la fois sur les attitudes, à la fois sur les attitudes en dehors et sur le terrain. Bien sûr, de toute façon, Nadal reste pour tout le monde quelqu'un d'inspirant.
Et pour revenir un peu en arrière, votre première rencontre avec elle, qu'est-ce qui est ressorti ?
C'était une jeune fille à l'époque, c'était il y a trois ans et demi. La première rencontre, c'était avec Loïs et puis ses parents. J'ai tout de suite vu quelqu'un qui était extrêmement motivé et déterminé, qui avait envie de bien faire. Mais à cette époque-là, quelqu'un qui était un petit peu en détresse parce qu'elle venait d'avoir pas mal de blessures, notamment au niveau de l'épaule à l'époque. Et qu'en fait, elle était dans un processus, alors qui était différent que le genou, mais elle était dans des processus inflammatoires au niveau de l'épaule. Et elle avait fait plusieurs traitements, elle avait fait plein d'examens. Elle s'arrêtait trois mois, elle s'arrêtait deux mois, elle recommençait, ça durait 15 jours et puis ça revenait. Ils étaient à la fois en recherche de quelqu'un qui puisse accompagner physiquement et puis en recherche de solutions pour que déjà dans un premier temps, elle puisse jouer au tennis.
C'était déjà l'objectif numéro un, jouer sans douleur, qu'il y ait de la continuité pour pouvoir progresser et pour se donner la chance de pouvoir aller en tournoi. C'était l'objectif numéro un. Et moi, le projet m'a tout de suite plu parce que dès les premiers entraînements, j'ai vu que c'était l'autoroute. Et donc qu'elle faisait et surtout qu'elle écoutait. Et ça, c'était quelque chose d'important. Elle écoutait les conseils, elle avait envie de bien faire et elle demandait qu'une seule chose, c'était pouvoir jouer, vivre de sa passion sans douleur, aller en tournoi, s'exprimer, jouer tout simplement. On a réussi au fur et à mesure des mois à trouver cette solution par rapport à l'épaule, ce qui lui a permis d'enclencher le processus d'entraînement, aller en tournoi et ainsi de suite.
Et là, maintenant qu'elle est sortie de ses blessures, vos axes de travail avec elle ce sont lesquels concrètement ?
Déjà, même si on ne peut jamais garantir, c'est prévenir au maximum la blessure, quelle qu'elle soit, déjà, pour qu'il y ait vraiment une continuité dans son entraînement, qu'elle puisse continuer à progresser le plus sereinement possible, en bonne santé. Après, moi, c'est aussi tout un travail qu'on fait en équipe, bien sûr, avec son entraîneur et puis aussi son ressenti, c'est tout le travail de programmation des entraînements, à quel moment on s'entraîne, à quel moment on se repose, à quel moment on va en tournoi, donc il y a tout ce travail-là.
Après, en termes de performance, moi, quand je l'ai récupéré, j'avais une joueuse de tennis qui était plus une athlète avec des qualités physiques générales, et au fur et à mesure, avec tout le travail sur le terrain, le travail spécifique, c'était de comment je vais passer de Loïs Boisson athlète à Loïs Boisson joueuse de tennis, comment est-ce qu'elle va adapter ses qualités de puissance, de force, de vitesse, de réactivité, d'endurance, tout ce qu'on veut, mes raquettes en main au cours d'un match de tennis sur des déplacements spécifiques.
Et c'était ça le vrai challenge, et c'est toujours le challenge parce qu'on peut toujours s'améliorer de toute façon, c'est au fur et à mesure, comment est-ce qu'on va affiner, comment on va être sur des détails en fonction de son jeu, en fonction de sa tactique, en fonction de son développement physique aussi, mais c'est sûr qu'aujourd'hui, elle valide énormément de cases d'un point de vue physique, performance, mais comment est-ce que concrètement, on va aussi le mettre sur le terrain, donc il y a un peu ces deux aspects santé et puis intelligence physique par rapport à son jeu.
Et justement là, quand on voit ces résultats, ces premiers matchs, il y a un petit peu tout qui s'est aligné…
Voilà, alors il y a les résultats, mais on voyait qu'à l'entraînement, elle était capable de faire des séquences de jeu incroyables, qu'elle était sur des sets d'entraînement, ce genre de choses. Et puis, il fallait prendre le temps aussi que psychologiquement, elle arrive à intégrer les choses, qu'elle arrive à maturer un peu tout ça, et puis que ça arrive à se concrétiser au plus haut niveau, tout simplement. Donc là, c'est en train de prendre forme. Bien sûr, le tournoi n'est pas fini, ce n'est pas une fin en soi et il faut continuer à améliorer les choses. C'est évident, mais c'est sûr qu'il y avait des éléments du puzzle et puis là, c'est en train clairement de s'en cliquer de la bonne manière. C'est sûr, c'est indéniable.
Vous avez débriefé jeudi justement, après sa victoire ?
Alors moi, je suis juste simplement dans l'accompagnement, donc c'est juste des félicitations. Elle sait que 24 sur 24, 7 sur 7, je suis dispo. C'est le service après-vente. Et que s'il y a la moindre question ou quoi que ce soit, je serai toujours présent. Maintenant, je suis juste dans l'encouragement, dans les félicitations. Pour l'instant, elle est dans son moment, il faut qu'elle vive son moment, qu'elle reste extrêmement concentrée, efficace, performante. Il y a son entraîneur de tennis qui est là, il y a sa famille qui est présente, donc elle est bien entourée. Donc moi, je suis dans l'ombre et s'il y a besoin de quoi que ce soit, je serai présent pour elle. Mais on ne s'étale pas plus que ça.