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Route du Rhum: le nouveau défi d'Ivica Kostelic de Kitzbühel à Saint Malo

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Ivica Kostelic figurait parmi les meilleurs skieurs du monde dans son ancienne vie. Son palmarès: quatre médailles d'argent olympique, un titre de champion du monde, 26 succès en Coupe du monde et un gros globe de cristal en 2011. Désormais, à 42 ans, le Croate est passé de la montagne à la navigation sur les mers et océans sur un Class 40, ces monocoques de 40 pieds. Dimanche, Ivica Kostelic prendra en solitaire pour la première fois, le départ de la Route du Rhum depuis Saint-Malo en Bretagne. Sans appréhension et avec toujours une mentalité de champion.

Ivica, quand avez-vous pensé à devenir un marin de haut niveau? Vous y pensiez déjà durant votre carrière de skieur?

Oui durant mes deux dernières saisons. Je me disais déjà qu'il fallait que j'essaie la course au large. J'ai toujours un fan de voile. J'ai toujours suivi toutes les courses en classe mini, les transatlantiques et le Vendée Globe bien sûr. J'ai toujours vu ces courses comme un challenge incroyable. A la fin de ma carrière, j'ai acheté un class 40 et je me suis dit que j'allais voir pendant un an si je pouvais naviguer. Si je savais naviguer et si j'allais aimer ça. Ça m'a plu et j'ai eu envie de faire de la compétition.

Vous avez débuté le voile de compétition en 2018 seulement. Avec déjà la Route du Rhum en tête?

Absolument. Depuis le début, mon but c'est la route du Rhum. J'ai tout concentré mon énergie, ma préparation pour ça.

Et comment vous vous sentez à quelques jours du départ? Etes-vous prêt? Stressé?

Non je ne suis pas stressé. Je suis plutôt prêt et le bateau aussi. J'ai ma base depuis deux ans à Cherbourg. Je viens tous les mois pour dix à quinze jours pour m'entrainer, faire des courses. Maintenant, c'est le moment.

Vous avez fait la Transat Jacques Vabre en double avec Antoine Calliste l'an dernier avec un bon classement 17ème?

Oui totalement. Pourtant, j'ai un vieux bateau de 2013 avec un design assez vieux. Le but était d'être dans les vingt premiers. On était même surpris d'être dans le top 5 jusqu'au Cap-Vert. C'était vraiment une très bonne course de notre part.

Mais la Route du Rhum ce sera en solo. Pour la 1ère fois?

Oui ce sera la première fois sur une transatlantique. Je pense que je me suis bien préparé pour ça. Le projet a été mené étape par étape. Cette saison, j'ai fait plus de courses en solo et plus d'entrainement en solo. Je pense que je suis prêt et excité pour réussir cette grande étape.

Comment avez-vous construit votre projet financièrement?

C'est un projet très petit. Le problème, ce sont les finances, les sponsors. Bien sûr, j'ai des connexions avec les sponsors dans mon ancien sport mais la voile ce n'est pas le même monde. On a fait un petit budget et on doit toujours garder un oeil sur le budget. Je ne peux pas avoir une grosse équipe mais j'ai autour de moi de bonnes personnes pour m'aider. Ce sont deux trois amis. J'espère après la route du Rhum que je pourrais continuer avec un meilleur budget et une équipe plus professionnelle.

Quel budget avez-vous?

J'ai un budget de 50 000 euros pour cette saison. C'est assez modeste peut-être l'un des plus faibles budgets de la flotte On n'a pas des équipements dernier cri mais on doit être plus malin et on fait plutôt du bon boulot jusque-là.

Vous êtiez l'un des plus grands champions de ski. Votre palmarès ne vous aide pas pour trouver des fonds?

Si bien sûr ça m'aide mais il faut comprendre qu'il n'y a pas du tout de course au large en Croatie. Nous avons un domaine maritime, une côte magnifique en Adriatique mais tous les efforts sont mis sur les épreuves olympiques de voile. Je suis le seul projet de course au large du pays. Ce n'est pas facile de convaincre les sponsors. Cela demande des efforts et je ne suis pas un très bon commercial. Je dois être plus malin pour trouver des opportunités aussi en France. Il le faut car j'ai envie de continuer. Les finances c'est la moitié du travail et ça prend de l'énergie.

Qu'est-ce que vous aimez dans le monde de la voile? Est-ce très différent du monde du ski que vous connaissez parfaitement?

C'est très différent. Le ski alpin c'est un monde germanique. Très compétitif et la mentalité est différente. La course au large est un monde français. Les relations humaines sont meilleures dans la voile notamment parce-que la course au large est un sport où vous êtes dépendant de vos adversaires pour votre sécurité en mer. J'ai passé du temps avec les autres skippers et je vois qu'ils sont très solidaires car affronter les océans est un challenge suffisamment grand pour tous. Cela dépasse l'adversité. La première aide que tu peux avoir en mer est celle de tes concurrents. C'est une situation unique dans le sport. Dans le ski en revanche, la compétition est beaucoup plus intense et dense que dans la voile.

Quelle part de votre ancienne carrière vous aide aujourd'hui à être un bon marin?

D'abord, je pense qu'en voile comme en ski, il est important de planifier une bonne préparation. On se concentre sur un objectif. Après tactiquement, stratégiquement c'est très différent et je dois beaucoup apprendre. Ce sont des courses longue distance en voile. Le ski c'est de la vitesse. Un rush d'une ou deux minutes. Vous prenez des risques tout le temps. En voile, vous devez préserver vos forces. Etre plus malin, prendre soin de votre bateau et avoir une connaissance très large en météo, mécanique etc.

Mais vous qui aimez la vitesse, la très haute vitesse même en ski, est-ce difficile d'apprendre à avancer doucement?

Ah (rires)! Je n'ai jamais pensé ça comme ça. Pour moi, l'important est d'avancer le plus rapidement que tu peux. Oui la voile est plus lente mais les principes sont les mêmes. Le ski c'est de l'adrénaline intense mais en voile, si vous êtes dans les bonnes conditions météo, il y a aussi de l'adrénaline. J'aime me trouver dans ces situations et quand les choses sont dures les pousser encore plus loin. Je prends beaucoup de plaisir.

Est-ce que vous avez des modèles dans la voile?

Non pas vraiment. Je vois la course au large comme une partie du puzzle de mon amour pour la mer en général. Depuis que je suis enfant, on a passé des vacances sur les îles en Croatie trois quatre mois sans électricité en pleine nature. C'était une vie très méditerranéenne avec beaucoup de plongée, de pêche. J'aime tout ce qui parle de la mer. J'ai lu beaucoup de livres. Mes premiers modèles ou héros étaient le biologiste Bombard ou Bernard Moitessier. Plus pour le côté aventurier que skipper. Plus tard, j'ai beaucoup aimé les duels du Vendée Globe. J'apprends de tous les skippers avec leurs différentes mentalités. Le côté téméraire fonceur d'un Alex Thompson, l'analyse d'un Vincent Riou, la détermination d'une Ellen Mac Arthur.

D'autres grands champions se sont mis à la voile comme vous. Avez-vous parlé de ça avec Jean Galfione par exemple ou Aurélien Ducroz un skieur comme vous? Les deux seront au départ dimanche avec vous?

Absolument! Aurélien est l'un de mes meilleurs amis. Comme un frère. On est pareil avec la passion de la montagne et de la mer. Jean Galfione je l'ai rencontré récemment. C'est génial de voir qu'on peut continuer en haut niveau dans un autre sport. C'est une source d'inspiration pour moi.

Quelles sont vos forces et vos faiblesses avant le grand départ?

Mes forces, je dirais ma détermination et ma concentration. Mes faiblesses, je pense que je n'ai pas d'expérience. J'ai essayé de naviguer le plus possible mais je n'ai pas connu toutes les situations possibles en mer. Je dois apprendre et progresser en terme tactique. Beaucoup de progrès. Ma plus grosse lacune reste aussi mon manque de connaissances technologiques du bateau où comment réparer les petits dégâts mécaniques. J'espère que je n'aurai pas de soucis.

Vous avez déjà connu des mésaventures en pleine mer?

Oui bien sûr. Au début, vous faites toutes les erreurs possibles. Vous vous cognez sans cesse votre tête sur le bateau (sourires). Petit à petit, vous éliminez ça et les problèmes de tactique et de stratégie arrivent. Je suis encore en difficulté là-dessus mais je vois mes progrès et ça me plait beaucoup. Je me sens de plus en plus en confiance. Mais parfois, vous faites des erreurs bêtes avec les voiles et vous vous retrouvez à devoir monter au mât en pleine mer ce qui n'est pas la chose la plus sympa à faire.

Et les tempêtes?

Oui on a eu des conditions très dures en convoyage retour de la Transat Jacques Vabre. Ce n'est pas agréable mais l'un de mes objectifs, c'est d'être plus à l'aise dans ces conditions. Une fois que vous comprenez que vous pouvez vous en sortir, que vous savez quoi faire, ça va mieux. Le pire ce sont les tempêtes pendant la nuit. Vous ne voyez rien. Vous n'avez aucun contrôle et vous devez mettre toute votre foi dans le pilote automatique avec un bateau qui fonce. Vous êtes sous les vagues tout le temps. C'est le plus effrayant que j'ai eu à vivre.

Mais qu'est-ce qui est le plus fou selon vous? Descendre Kitzbühel à toute vitesse ou faire le tour du monde?

(Rires) Ah les deux sont fous à leur manière! Ca dépend quand même si tu joues la victoire et jusqu'où tu dois pousser la performance pour atteindre ton objectif. Les deux nécessitent d'accepter de se mettre en danger. Je pense aussi qu'à Kitzbühel, la différence c'est qu'à tout moment tu peux dire stop et t'arrêter. En pleine mer, au milieu d'une tempête, tu ne peux pas choisir d'arrêter. Également, sur le Vendée Globe ou les grandes transatlantiques, tu dois négocier le temps long, accepter d'être seul à régler tes problèmes. Le soir, tu ne peux pas rentrer à ton hôtel. C'est ce qui fait que le Vendée Globe est un très gros challenge qui inspire le respect.

Et est-ce que vous rêvez d'un projet Vendée Globe?

La question revient souvent et je réponds toujours oui et non. Je suis un compétiteur. J'aime ça et si on veut être compétitif en Imoca, il faut un bateau récent. Je ne voudrais pas faire un Vendée Globe avec un bateau le plus lent de la flotte. Donc pour faire cette course, il faut des fondations financières solides. Ca se travaille mais c'est bien sûr le rêve je pense de tous les marins.

Sur cette Route du Rhum, quels sont vos objectifs?

Ce qui est sûr c'est que je ne fais pas la course juste pour voir la Guadeloupe. J'ai plusieurs bateaux en class 40 avec moi qui sont des sisterships du mien. Donc je veux voir ce que je peux faire face à eux et si je fais du bon boulot. Mon but est bien sûr de finir mais en poussant à 100% mes capacités. Je veux me battre pour une bonne position. Je pense que je peux finir au milieu de la flotte.

Le ski, la voile. Et il y aussi a musique? Vous êtes également musicien? Vous avez toujours votre groupe de rock?

(Rires) Oui je joue de la guitare depuis des années. On a joué avec notre groupe et des amis skieurs lors des derniers championnats du monde. On s'est vraiment éclaté. C'est un super partage et ça m'apporte beaucoup de joie. J'essaie de jouer le plus souvent possible.

Et vous emmenez des chansons sur cette Route du Rhum? Peut-être même guitare?

Je joue de la musique tout le temps. En mer, vous jouez une chanson calme quand les conditions sont bonnes. Une chanson avec plus d'énergie quand on est dans la tempête. La musique peut aider à se sentir mieux en mer. Emmener ma guitare non. Elle est trop grosse mais j'ai pensé peut-être à un ukulélé. Je vais voir (sourires).

Xavier Grimault