Blessé depuis près d’un an, reverra-t-on Kevin Mayer en compétition au plus haut-niveau?

C’était sur la piste du stade Charléty, le 7 juillet 2024. A trois semaines des Jeux olympiques de Paris, le rêve de gosse de Kevin Mayer. Il a fini en pleurs sur le tartan, après s’être écroulé sur le 110m haies en se tenant la cuisse. Son tendon du semi-membraneux de la cuisse gauche venait de céder à 95%. Ce vendredi a lieu l’édition 2025 du meeting parisien et le recordman du monde du décathlon est absent. Mayer n’a plus disputé une seule compétition depuis ce fameux 7 juillet. Il ne s’est pas fait opérer pour tenter le tout pour le tout et disputer les JO à domicile. "Je suis vaincu par mon corps", nous confiait-il l’été dernier, désespéré de manquer le rendez-vous d’une vie.
"Une désinsertion, c’est obligatoirement un geste chirurgical"
Depuis, Kevin Mayer récupère mais refuse l’opération. Chez nos confrères de France TV lors de Roland-Garros, il assurait s’entraîner et chercher une solution avec ses médecins sans être certain du résultat en trouvant "une alternative à l’opération". Le docteur Éric Noël, rhumatologue et spécialiste des blessures tendineuses, a été contacté par le clan Mayer à l’été 2024, avant que celui-ci ne choisisse une autre voie. "Il faut raisonner en éléments cliniques et avec l’IRM, que je n’ai pas vu. Mais une chose est sure, une désinsertion haute du tendon chez un sportif de haut niveau, c’est obligatoirement un geste chirurgical. Quand le tendon lâche, le muscle se rétracte, plus ou moins loin. Juste à côté, il y a le nerf sciatique et souvent ça colle dessus. Dans ce cas, il y a des douleurs au niveau de la fesse, dans le bas du dos et une perte de puissance dans la cuisse."
Pierre-Ambroise Bosse, opéré en 2022, n’est jamais revenu à 100%
Kevin Mayer se dit gêné par son nerf sciatique depuis deux ans et concède des appréhensions notamment sur les passages de haies. Pierre-Ambroise Bosse, champion du monde du 800m en 2017, a connu ces blessures à répétition aux tendons des ischios et a refusé l’opération pendant plusieurs années. "J’avais mal tous les jours et ce sont des douleurs qui évoluent, on compense à gauche, à droite. Mon avantage, c’est que je faisais beaucoup d’aérobie, du rythme tranquille. Mais dès que tu accélères, avec la vitesse et les grandes amplitudes, c’est problématique. Avant mon opération, parfois ça tenait mais parfois tu fais la séance de trop et ça pète." Bosse a finalement accepté l’opération en 2022. "Je comprends que ça fasse peur, il y a l’anesthésie générale, les béquilles, la rééducation pendant des mois. Moi je suis revenu probablement trop vite. Cinq mois après l’opération, je faisais des séances spécifiques. Ça a repété. Je peux faire du running mais si je sprinte, ça relâche, sûr et certain."
"Si on abîme le nerf sciatique, la vie quotidienne est affectée"
C’est l’exemple qui fait peur à Kevin Mayer. Et le docteur Noël abonde en ce sens. "Si tu ne te fais pas opérer dans les trois-quatre semaines après la blessure, c’est trop tard… Le diagnostic n’est pas classique, il doit être connu. Dans son cas, je pense qu’ils ne prendront pas le risque de l’opérer après plusieurs mois. Ou il faut être couillu car si on abîme le nerf sciatique, c’est le sportif mais aussi la vie quotidienne qui est affectée." Le contre-exemple d’opération qui s’est bien passée est celle de Renaud Lavillenie. Le champion olympique de la perche est toujours en forme à 39 ans malgré cette intervention chirurgicale et cette interruption de neuf mois entre septembre 2023 à mai 2024. Mais le perchiste s’est fait opérer au bon moment et a respecté la rééducation à la lettre.
Quelles autres solutions que l’opération pour soigner le tendon de Mayer?
L’opération étant devenue risquée pour la carrière sportive de Kevin Mayer, la solution est de traiter ses douleurs au cas par cas. Une technique utilisée par Pierre-Ambroise Bosse était par exemple le dryneedling. Le docteur Noël explique: "c’est une perforation de la zone avec des aiguilles pour faire saigner et cicatriser". Cela élimine les contractures mais "ce sont des soins palliatifs". "Sinon, on fait des étirements, on soigne les compensations mais on garde des douleurs et il y a moins de puissance". Bosse embraye: "Tu passes plus de temps à gérer tes problèmes qu’à t’entraîner. Tu dois miser sur ton talent et tes acquis, mais ça ne suffit pas."
Du tennis de table, du basket, du padel pour Kevin Mayer
A 33 ans, Kevin Mayer avance donc dans l’inconnu et sait qu’il pourrait vivre à minima une saison blanche en 2025. S’il veut participer aux mondiaux de Tokyo en septembre prochain, il devra participer à un décathlon cet été pour accrocher les minima. Pour l’instant, rien n’est prévu. Déjà en 2023-2024, les blessures à répétition l’avaient contraint à faire plusieurs tentatives avortées (Australie, San Diego) avant de composter son billet olympique aux Europe de Rome en juin 2024. Aujourd’hui, Mayer peut faire du sport. On l’a vu participer à un événement de tennis de table aux côtés des frères Lebrun, il peut jouer au basket, au padel. Mais sans pouvoir utiliser son corps à 100% et pour un décathlonien, c’est évidemment un problème.
"Même pour un lancer du disque, on se dit ce n’est pas grand-chose. Mais les torsions, les accélérations c’est monstrueux", assure Bosse. "Et le pire, c’est pour les passages de haies." A L’Equipe, Mayer assurait malgré tout il y a quelques semaines: "Je suis un battant, je sais que je reviendrai. Je ne sais pas quand mais je sais que je reviendrai." Tout l’athlétisme français espère revoir sur la piste un de ses plus grands représentants, double champion du monde, double vice-champion olympique et recordman du monde du décathlon. Dont PAB: "J’y crois et c’est complètement possible d’être champion olympique en 2028 pour un gars comme lui!"