Tourist Trophy: "Il n’y a pas de suicidaires ici", la mise au point d’un pilote français sur la course la plus meurtrière du monde

Julien, les médias français ont beaucoup parlé des accidents qui ont endeuillé cette édition 2022 du Tourist Trophy. En tant que pilote, comment l'avez-vous vécu ?
C’est toujours délicat... On parle déjà rarement de moto en France et quand on parle de cette course, on traite seulement les accidents. Ce n’est pas terrible. Généralement, le traitement est uniquement à charge. C’est dommageable pour les pilotes, pour les partenaires et les partenaires potentiels. Ça nuit à l’image de cette course et à l’écosystème du Tourist Trophy. Ça nuit tout simplement à la pérennité de la course. C’est une course dangereuse, on le sait. Mais il y a eu moins de morts au Tourist Trophy que sur l’Everest.
"Dans les pays anglo-saxons, ils ont une culture qu’on n’a pas: celle de la course sur route. Pour eux, c’est quelque chose de normal. Nous, en France, ça fait peur."
Comme expliquez-vous qu’on mette plus en avant la dangerosité du Tourist Trophy que celle d’autres disciplines à risque ?
Bonne question… Sur l’Ile de Man, et plus généralement dans les pays anglo-saxons, ils ont une culture qu’on n’a pas: celle de la course sur route. Pour eux, c’est quelque chose de normal. Nous, en France, ça fait peur. On est dans une société où tout est cadré, sécurisé. Donc on ne comprend pas qu’il y ait autant de morts sur une course. Mais l’Everest, il y a 300 morts, est-ce pour ça qu’il faut arrêter de monter l’Everest ? Les pilotes qui y vont le font en connaissance de cause, il n’y a pas de suicidaire ici. Ce sont juste des pilotes qui vont jusqu’à la limite, mais comme un pilote de chasse, un skipper en solitaire ou un alpiniste.
Quand vous parlez à des pilotes étrangers, vous sentez cette différence de culture entre la France et d’autres pays dans le traitement médiatique ?
Il y a une énorme différence, évidemment. En France, on essaye tout le temps de tout contrôler. Dans les pays anglo-saxons, ils ont une autre vision des choses. Sur l'Île de Man par exemple, il y a des limitations de vitesse en agglomération mais quand on sort de l’agglomération, il y a beaucoup d’endroits où il n’y a pas de limitation de vitesse. Les gens prennent leurs responsabilités et ce n’est pas pour ça que tout le monde fait n’importe quoi. J’aime bien cette philosophie et cette mentalité parce qu’on te fait confiance et on te donne des responsabilités.
"Mourir en héros, ça ne nous intéresse pas."
Vous, personnellement, vous mettez beaucoup l’accent sur la nécessité de contrôler les risques pris quand vous participez à cette course…
Bien sûr. Encore une fois, on n’est pas des suicidaires. Quand je prépare cette course, je connais les risques et je les assume. Mais je fais tout ce qu’il faut pour rentrer chez moi et serrer mon fils dans mes bras. Je me prépare physiquement, techniquement, mentalement… Cette course permet juste de se sentir encore plus vivant. Mourir en héros, ça ne nous intéresse pas.
Quand certains pilotes parlent de drogue en évoquant cette course, ça vous agace qu’ils aient cette vision ?
Oui, car on est tout sauf des drogués. J’ai fait 30 ans de ma vie sans Tourist Trophy, je peux m’en passer. Le Tourist Trophy donne goût à la vie. Mais c’est comme du sucre dans un yaourt en fait: si un jour je dois m’en passer, je saurais le faire. Un drogué, il est dans un canapé, il va en bas de son immeuble et il va acheter de la drogue: c’est à la portée de tout le monde. Le Tourist Trophy, ce n’est pas à la portée de tout le monde.