
Retraite, Tour de France, après-carrière... l'interview intégrale de Pinot dans "Bartoli Time"
Quand avez-vous réellement pris votre décision d'arrêter en fin de saison ?
"Ça me trottait dans la tête depuis quelques mois. On va dire un an, un an et demi mais ma décision finale, je l’ai prise au mois d’octobre l’an dernier."
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On peut se demander pourquoi vous l'annoncez aussi tôt, c’est pour être vraiment soulagé avant cette dernière saison ?
Oui, pour être soulagé. Le dire en début de saison pour être plus tranquille après, ça c’est sûr parce que ça rappelle quand même des souvenirs. Il y a beaucoup de nostalgie, de messages donc ça peut perturber aussi. C’est pour ça que je voulais le faire aussi tôt. C’est également pour que les gens qui me supportent – pour ma première course, sur l’Etoile de Bessèges par exemple – sachent que ce sera la dernière fois que je serai sur cette course. C’est important pour moi de remercier tout le monde qui était là pour me soutenir et c’est aussi pour ça que je l’annonce aussi tôt.
Vous êtes aimé, vous le savez, avez-vous réfléchi à tous les déçus avant de prendre cette décision ?
Oui, bien sûr. Après les gens qui me connaissent et qui me supportent savaient que je ne ferais pas vingt ans de carrière. Ce n’est pas une décision simple, c’est une décision difficile mais ma vie ne se limite pas qu’au vélo pour l’instant. J’ai beaucoup de projets pour l’après-carrière et je pense que j’avais fait le tour de la question. Une année de plus n’aurait pas eu de grand intérêt pour moi.
Est-ce qu’il y a une chance de revenir sur cette décision ? Ou pas du tout ?
Alors pour l’anecdote, j’ai fait un petit pari avec quelques copains de l’équipe. La seule possibilité pour que je continue six mois, ce serait d’être champion de France pour porter le maillot bleu-blanc-rouge pendant un an. On va dire que ce serait la seule condition pour que je puisse peut-être continuer en 2024.
Donc il y a une possibilité pour vous voir encore quelques mois mais il faut remporter cette course…
Il faut être champion de France oui. Le championnat de France a lieu en juin, donc faire un an avec le maillot bleu-blanc-rouge ça a toujours été un rêve pour moi.
Qui a pris les paris dans l’équipe ? Est-ce que vous êtes soutenu ?
Il y en a certains. Il y a Valentin Madouas, David Gaudu, Rudy Molard qui étaient au courant. Il y a pas mal de coureurs qui ont pris les paris donc ça va être un petit fil rouge tout au long de la saison.
Nul doute que la France du vélo va pousser avec vous lors de ces championnats de France. Quand vous regardez votre carrière, est-ce que vous êtes fier de vous ?
Oui. J’ai du mal à me faire des compliments mais je peux être fier de ma carrière, de ce que j’ai fait. C’est sûr que ça aurait pu être mieux mais j’ai toujours donné le maximum de ce que j’avais dans les jambes sur chaque jour de course et c’est pour ça que je n’ai pas vraiment de regrets sur ma carrière. J’ai toujours tout donné.
Vous avez déclaré : "Je suis un grand coureur mais pas un champion". On a l’impression que c’est facile pour vous de dire ça, comme un détachement.
Oui c’est un détachement parce que je pense que c’est aussi une vérité. La catégorie de champion est limitée à très peu de coureurs. Ça se limite à quatre ou cinq coureurs par décennie. Des coureurs qui ont mon palmarès sur cette décennie il y en a beaucoup donc je ne me considère pas vraiment comme un champion et ça me va très bien comme ça.
Vous avez beaucoup gagné mais on a constamment le sentiment que vous auriez pu faire mieux, vous finissez par le croire le "j’aurais pu faire mieux" ?
Oui, ça j’en suis conscient, j’aurais pu faire mieux. J’avais le potentiel pour faire beaucoup mieux mais malheureusement dans le vélo il n’y a pas que ça qui compte. J’ai eu un système immunitaire qui était très mauvais pour faire la carrière que j’aurais peut-être pu faire. Il m’a souvent trahi dans les moments importants mais c’est comme ça, ça fait partie de ma fragilité et j’ai su vivre avec. Je savais que du jour au lendemain une grippe ou une bronchite pouvait m’arriver et mettre fin à mes espoirs de victoire sur une course donc ça a été compliqué pour moi mais au fil des années j’ai appris à vivre comme ça.
Ce "j’aurais pu faire mieux" fait référence évidemment au Tour de France 2019 où vous étiez très proche du sacre. On a l’impression que la France du vélo rêvait encore plus que vous d’une victoire. C’est vrai ou c’est exagéré ?
Je pense que c’est vrai quand même. Parce que je ne m’en rendais pas trop compte. J’avais sy très vite que j’avais de très bonnes sensations, que j’étais l’homme le plus fort du Tour à la sortie des Pyrénées. Mais il restait encore deux bonnes étapes de montagne dans les Alpes et malheureusement je n’ai pas pu les faire à cause de cette blessure donc au final on ne saura jamais. Ça restera un mystère pour toujours maintenant.
Vous avez déclaré : "Une victoire sur le Tour aurait changé ma vie donc c’est peut-être mieux comme ça". Vous le pensez vraiment ?
Ah oui complètement, parce que je sais qu’il y a tellement de pression sur les coureurs français pour gagner ce Tour de France qu’on rentre dans une catégorie de champion et de superstar en France (si on le remporte). Ce que j’aime dans ma vie c’est ma tranquillité, dans ma petite campagne et je pense que tout ça je l’aurais perdu et ça aurait été dur pour moi de vivre avec ça.
Il y a tellement de gens qui vous aiment, qui vous soutiennent, vous pensez vraiment pouvoir retrouver l’anonymat ?
Je ne sais pas mais ce sera quand même différent. Je sais que la vie passe vite, ce n’est pas qu’on est vite oublié mais il y aura d’autres coureurs. Ça va aller très vite au final. Je pense qu’une fois qu’on quitte le milieu du sport, ce n’est plus pareil. Après moi je resterai où je suis, peut-être qu’il y aura toujours cette notoriété mais ce sera quand même différent après.
On sait que vous aimez être dans votre maison, avec vos animaux. C’est ça le mot, enfin retrouver la liberté ? C’est comme ça que vous jugez cette fin de saison ?
Je ne sais pas si c’est vraiment une envie de retrouver la liberté mais de retrouver quelque chose de plus calme et de plus posé. C’est vrai que quand on est coureur cycliste ou même sportif de haut niveau on est quand même à droite à gauche, toutes les semaines on est parti, ça devient quand même épuisant. C’est vrai que parfois même se poser huit jours à la maison ça fait du bien mais c’est quand même assez rare dans une saison. J’ai aussi envie de me poser et de profiter parce que depuis l’âge de 15 ans je suis sur la route et dans les aéroports presque toutes les semaines. C’est aussi quelque chose qui peut être usant pour une personne comme moi qui aime la tranquillité.
Il reste encore une saison à disputer, le premier objectif c’est le Giro. Vous êtes au courant, que tout le monde veut vous voir gagner maintenant ?
Oui, je me doute, il y aura de la pression comme j’ai pu en avoir durant ma carrière mais je la prends avec plaisir. Comme d’habitude, je vais donner tout ce que j’ai, faire le maximum et si je peux gagner au moins une étape pour donner du plaisir une dernière fois à tous mes supporters, à tous mes fans, c’est vraiment le truc qui me tient à cœur.
Il y a quand même une incertitude, c’est votre présence sur le Tour de France pour votre dernier Tour de France. Là c’est entre nous, je connais bien Marc Madiot parce qu’il est avec moi dans Les Grandes Gueules du Sport, vous aussi évidemment vous le connaissez bien, le manager de la Groupama-FDJ. Vous allez tout faire, et vous l’avez dit pour être sur ce Tour mais il faut être évidemment compétitif. Vous voulez qu’on mette en place un petit lobbying autour de Marc ou pas ?
Non parce que ça se fera naturellement si je suis en condition, si je suis en pleine possession de mes moyens, il n’y a pas de raison que je n'y sois pas, je pense donc que c’est à moi de tout faire pour y arriver. Le Tour de France ça ne se fait pas à 95% ni 90%. Avec le Giro dans les jambes, il y aura sûrement un risque mais c’est mon but de la saison, c’est d’être au départ du Tour, pour vivre une dernière fois la fête du Tour.
Marc Madiot aura une pression dingue parce que tout le monde veut vous voir sur le Tour de France…
Oui peut-être mais après je pense que c’est une décision qu’on prendra ensemble. Je n’ai pas envie de prendre la place de quelqu’un juste parce que ce sera ma dernière année et mon dernier Tour. Je n’ai pas envie de prendre la place de quelqu’un qui sera plus fort ou mieux que moi. J’ai vraiment envie d’y aller en étant sûr de mon niveau. Là-dessus je ne me fais pas de souci, en tout cas je vais tout faire pour et on verra mais il n’y aura pas besoin de mettre de pression à mettre à qui que ce soit.
Thibaut, c’est quoi la fin rêvée ?
La fin rêvée pour moi c’est de profiter de cette saison, gagner des courses. Je vais finir sur la course qui m’a toujours fait rêver, le Tour de Lombardie. Je ne dis pas que j’aimerais regagner le Lombardie mais finir sur le podium du Lombardie pour le dernier jour de ma carrière, ça serait vraiment beau.
Qu’avez-vous envie de dire aux auditeurs qui nous écoutent, tous ceux qui sont tombés amoureux de vous ?
Juste leur dire merci. Je ne suis pas un adepte des grands discours ou des grandes phrases. Le meilleur moyen pour moi de m’exprimer, c’est sur le vélo. Si je peux gagner des courses pour eux, ce serait les remercier pour toutes ces années durant lesquelles ils m’ont soutenu.
On se retrouvera donc peut-être en 2024 avec le maillot de champion de France, qui sait…
Qui sait, on verra !