Cyclisme: pourquoi les vélos Van Rysel de Decathlon sont des machines à gagner

Les vélos Decathlon ne font plus rire grand monde. Depuis début 2024, les maillots bleu et vert de la formation Decathlon-AG2R flamboient sur les routes avec quinze victoires, dont cinq en World Tour après celle de Valentin Paret-Peintre, mardi lors de la 10e étape du Giro. C’est déjà six de plus qu’en 2023. Et vu l’état de forme et de confiance des troupes, cela n’est certainement pas terminé. L’annonce du partenariat entre l’équipe dauphinoise et la célèbre entreprise de la famille Mulliez avait provoqué son lot de surprises. D’autant que Decathlon, qui destine davantage ses produits sportifs à la grande distribution, est arrivé avec les vélos de sa marque haut de gamme, Van Rysel, pour équiper les coureurs en remplacement des machines BMC. Un ovni pour le peloton, assez sceptique dans un premier temps. Tout comme les coureurs de l’équipe.
"Beaucoup d’équipes posaient des questions sur les vélos. On a très rapidement prouvé qu’ils allaient très vite."
"On s’était préparé à ça, c’était une réaction qui nous paraissait logique et humaine", confie Nicolas Pierron, créateur et patron de Van Rysel il y a seulement cinq ans. Pour convaincre le staff et les coureurs de faire confiance à ses équipements, il est venu avec des chiffres. Beaucoup de chiffres. "J’ai dit aux coureurs: ‘mettez de côté la marque, concentrez-vous sur la façon dont nous avons construit et créé ces produits’. On est arrivé avec un maximum de datas en disant ‘nos produits sont compétitifs et au niveau des autres grandes marques du marché’."

Les premiers échanges oscillaient entre une certaine fraicheur mais surtout une grande curiosité. "Dans le peloton, il y avait ce côté mystérieux: ‘les produits sont-ils au niveau?’ et lors des premiers stages en Espagne, beaucoup d’équipes posaient des questions sur les vélos. On a très rapidement prouvé qu’ils allaient très vite."
Benoît Cosnefroy (6 victoires), Paul Lapeira (3), Ben O’Connor (2) et les frères Aurélien et Valentin Paret-Peintre (une chacun) l’ont prouvé en course. Dorian Godon aussi avec ses deux victoires sur le Tour de Romandie. Récemment invité du podcast de RMC Grand Plateau, il accordait une belle part de son succès à sa machine.
"On a un des meilleurs vélos du marché, qui va super vite"
"Quand on est sportif de haut niveau, le mental est hyper important et s’il a confiance dans son matériel, il prend peut-être un peu plus de risques" embraie Nicolas Pierron. "Ce sont ces quelques centièmes de secondes qui font que les frères Paret-Peintre prennent l’initiative d’attaquer que Dorian (Godon) lance un sprint incroyable au Tour de Romandie."
Mais comment expliquer un succès aussi instantané? D’abord par l’obligation de présenter "des produits ultra performants" pour une question de crédibilité. "Quand on est une jeune marque comme Van Rysel, lancée en 2019, c’est assez rare d’arriver à ce niveau aussi rapidement", remarque son créateur. "Mais c’est aussi un risque parce que si nous arrivons à ce niveau-là, le World Tour, et que nos produits ne sont pas au niveau, ça se sait tout de suite et c’est pire que mieux." Pour cela, Van Rysel a collaboré avec "les meilleurs dans leur industrie": la marque Swiss Side, entreprise spécialiste de l’aéro, mais aussi l’Onera (centre français de recherche aérospatiale). "Ils construisent des fusées et on leur a demandé de construire un vélo et ils ont trouvé le challenge hyper intéressant", sourit Nicolas Pierron.

Ces résultats sont aussi le fruit d’un travail en profondeur et d’une relation très forte avec les coureurs. "Avec l’équipe Décathlon-AG2R, on a eu cette volonté de collaborer et ne pas être uniquement un fournisseur de produits", explique le patron de la marque. Cette démarche ferme la porte, pour le moment, à l’idée d’équiper d’autres équipes dans un avenir proche malgré les "sollicitations" ces derniers mois.
"C’est hyper intéressant d’inclure les coureurs, d’avoir leur feedback, de permettre à nos ingénieurs de se déplacer sur les courses, dans les stages", poursuit-il. "On est sur des nouveaux développements et la semaine prochaine, on va tester avec l’équipe des nouveaux vélos. Je préfère avoir cette approche-là plutôt qu’une relation purement commerciale où on dit: ‘on fournit X vélos, rendez-vous dans un an pour faire le débrief’. On a volontairement limité." Avec AG2R, Decathlon est aussi partenaire de l’équipe Van Rysel-Roubaix (Continental, D3 mondiale) située à "quelques kilomètres du bureau" (à Lille). "Ils ne sont pas du même niveau donc on va tester d’autres choses avec eux. Mais on ne souhaite pas pour l’instant ouvrir le jeu parce qu’on préfère faire moins mais mieux."
La marque est aussi très sensible aux "gains marginaux" à travers les autres produits qu’elle fournit à l’équipe: casque, lunettes et des contrats chaussures pour certains coureurs. Et comme Decathlon est avant tout connu pour ses magasins de sport, tout cela y est vendu. Avec un succès retentissant.
Des vélos à 9.000 euros en rupture de stocks
"L’effet booster du World Tour a été plus rapide que prévu, certainement lié aux victoires", note Nicolas Pierron. "Nous sommes confrontés à une certaine pénurie qui n’est pas voulue. On ne crée absolument pas la rareté. On ne veut surtout pas accélérer trop vite au niveau des quantités pour garder la qualité des produits. Quand on essaie de produire plus, on met en péril la qualité des produits. On essaie de satisfaire un maximum de clients. Mais le regard sur la marque a complètement changé grâce à nos partenaires et leurs victoires." Sur Internet, il reste en effet très peu de modèles moyen et haut de gamme, et pas à toutes les tailles.
Pour le Van Rysel RCR, exactement le même que celui des pros, comptez 9.000 euros, une somme en-deçà des vélos haut de gamme de la majorité des autres marques. "On essaie de vendre nos produits au juste prix. On souhaite aujourd’hui rendre la très haute technologie accessible. 9.000 euros, j’ai bien conscience que c’est encore très cher pour nos clients mais c’est quand même plus accessible que 17.000 ou 18.000 euros." Van Rysel veut désormais frapper fort à l’export. Elle cartonne déjà au Japon et en Chine. "Pour nous l’Asie, c’est un territoire prioritaire de conquête avec les Etats-Unis. On a des magasins Decathlon en Chine, ça aide à développer la marque. On vit une expérience incroyable avec nos équipes, nos partenaires. On est sur notre petit nuage et on essaie d’y rester le plus longtemps possible." Les coureurs aussi.