RMC Sport

Tour de France: "Il économise 1h30 de protocole", pourquoi Pogacar tenait autant à perdre le maillot jaune

placeholder video
Pour une seconde, Tadej Pogacar a laissé filer le maillot jaune ce jeudi à l'issue de la 6e étape du Tour de France. Tout sauf un crève-cœur pour le Slovène, heureux d'échapper au moins un soir à un encombrant protocole.

Qui a dit que Tadej Pogacar n'aimait pas partager? Qu'il lui fallait tout écraser, partout et tout le temps? À ceux qui lui reprochent une gloutonnerie sans limite, l'omnipotent Slovène a répondu à sa manière, ce jeudi, à l'occasion de la 6e étape du Tour de France, en délaissant le costume d'ogre pour endosser celui de Père Noël. Avec une généreuse (et attendue) distribution de cadeaux en terres normandes. Le maillot vert? Laissé à Jonathan Milan, vainqueur du seul sprint intermédiaire au programme du jour. Le maillot à pois? Offert sur un plateau à son lieutenant Tim Wellens. Quant au maillot jaune, le voilà de retour sur les épaules de son grand copain Mathieu van der Poel.

Pogacar ravi pour son "bon ami" van der Poel

Assommé par la chaleur et totalement occis au moment de couper la ligne d'arrivée à Vire, quatre minutes après la mobylette irlandaise Ben Healy, le Néerlandais reprend la tête du général à la veille de l'arrivée à Mûr-de-Bretagne où il s'était imposé en 2021, preuve que l'histoire sait être belle. Pogacar, lui, pouvait savourer son coup au moment de rejoindre son bus et de débriefer ce drôle de scénario avec les caciques d'UAE Emirates. "Une seconde! Une seconde!", répétait le champion du monde, tout sourire sur son home-trainer de récupération. Car oui, le succès de l'opération "perdre le maillot jaune" s'est joué à une roue de vélo.

"Mathieu est l'un des meilleurs coureurs au monde. Nous sommes de bons amis et je suis heureux de le voir à nouveau en jaune. Attaquer et faire partie de l'échappée, dès le lendemain de la perte du maillot jaune... respect. Aujourd'hui, il était là où il devait être et il se battait probablement aussi pour la victoire d'étape. Mais je pense qu'il sera satisfait avec le maillot jaune et je suis heureux pour lui", racontait Pogacar devant une poignée de supporters, tout heureux de s'éviter l'interminable protocole post-étape auquel il échappe si rarement.

Un protocole usant mentalement

"On n'avait pas l'intention de garder le maillot (jaune) parce que le Tour est long. Je pense que Visma a roulé fort sur la fin pour faire en sorte qu'on garde le maillot. Finalement on l'a quand même perdu", savourait presque Mauro Gianetti, patron d'UAE Emirates. "On a un bel avantage sur Jonas Vingegaard (1'13" d'avance), probablement l'adversaire le plus costaud. C'est peut-être un peu mieux que ce qu'on avait prévu, mais ça ne veut rien dire. Chaque jour est une classique. Hier, Vingegaard n'a pas eu une bonne journée, mais il faut rester concentré", embrayait le dirigeant suisse.

Mais alors pourquoi Pogacar, qui a étonnamment réglé le sprint du peloton, tenait à ce point à se délester du jaune? "Déjà, c'est une façon de dire: 'ce n'est plus à nous d'assumer le poids de la course'. Ça marche comme ça dans le peloton: si tu as le maillot jaune, c'est à ton équipe de filtrer les échappées, de donner le tempo, et ça use de l'énergie. Van der Poel en jaune, c'est parfait pour UAE parce qu'il n'est pas du tout dangereux pour Pogacar mais il peut quand même avoir envie de se battre pour garder le maillot", expose Jérôme Coppel, ancien coureur et consultant pour RMC.

Deuxième motif de soulagement pour Pogacar: la récupération. Par le passé, l'homme aux 100 victoires s'est souvent plaint des contraintes propres aux porteurs de maillots distinctifs sur le Tour, et encore plus le maillot jaune, pour qui la course ne s'arrête pas une fois franchi la ligne d'arrivée. C'est au contraire le début d'un autre marathon pour le moins coûteux mentalement avec pêle-mêle: contrôle antidopage, enfilage de maillot, défilé sur le podium, interviews pour les télévisions, sourires devant les caméras et conférence de presse avant de pouvoir retrouver le confort de son bus. Un emploi du temps réglé à la minute devenu une routine parfois encombrante.

De retour en jaune dès... vendredi?

"En perdant le maillot jaune pour une seconde, il économise entre 1h et 1h30 de protocole. Ce n'est pas négligeable niveau récupération, même si je pense qu'UAE espérait laisser beaucoup plus de temps à van der Poel, surtout avec ce qui arrive demain…", observe Coppel. Car après cette journée aux allures de mini "Liège-Bastogne-Liège", le peloton prendra ce vendredi la route de la Bretagne, avec au menu la double ascension de Mûr-de-Bretagne (2km à 6,9%, dont des passages à 15%), où se situera l'arrivée de la 7e étape. En 2021, van der Poel y avait cueilli la victoire et le maillot jaune, qu'il avait conservé six jours.

"Si ça part en grosse bagarre, il y a de fortes chances que Pogacar reprenne son maillot", prophétise Coppel. "UAE va avoir tout intérêt à laisser filer une belle échappée de baroudeurs. Normalement ça n'arrive jamais à Mûr-de-Bretagne, mais cette fois ça pourrait faire les affaires d'un gars classé à deux ou trois minutes au général, à condition aussi qu'Alpecin-Deceuninck décide de ne pas le défendre à 100%."

Rodolphe Ryo, à Vire