"Des gars finissent en regardant leurs watts, leurs records, mais ne s’intéressent pas à ce qui s’est passé en course": le regard tranché d'Alaphilippe sur l'évolution du peloton

Julian, vous étiez très courtisé. Pourquoi avoir fait ce choix d'une Pro team plutôt que d'une équipe World Tour?
Je n’ai pas pensé à "World Tour ou pas World Tour". C’était juste au feeling et ça correspondait à ce que je voulais: être content de courir dans une bonne structure. Le projet m’a plu et je suis content et motivé de le rejoindre. Où ils ont commencé et où ils sont maintenant... C’est un challenge et je suis très fier d’être là.
Êtes-vous optimiste sur le fait de disputer le Tour de France, pour lequel Tudor a besoin d'une invitation?
Je suis toujours optimiste. Je suis très motivé de cette nouvelle saison. C’est un rêve d’être au Tour avec une équipe, mais là on se concentre sur l’entraînement. Et on sera content de pouvoir courir partout où on le pourra. Normalement, je serai sur Paris-Nice, ça fait quelques années... Je serai content de revenir sur cette course.
Mais retrouver les routes du Tour, ça vous anime?
Oui bien sûr. Comme d'être au départ des classiques. On attend et on est optimiste. Le Tour, quand on n'y est pas, forcément ça manque. Mais l'an passé, j'avais pris très tôt la décision de faire le Giro. Je voulais aussi faire les JO donc ça aurait été beaucoup de faire le Tour en plus.
Vu de l'extérieur, on a l'impression que vous êtes la meilleure carte de Tudor pour espérer être invité. C'est le cas?
Non, c’est un tout. L’an passé il y a eu un beau boulot et là on s’est bien renforcé, on a des bases solides avec des coureurs d'expérience pour l'ensemble de la saison. Mais non, je ne veux pas tout remettre sur moi. Tout ne vas pas reposer sur moi. Hirschi, Trentin, ça repose aussi sur eux. On a une belle équipe, il y a de quoi faire. Si je peux contribuer au fait qu'on y soit, je serai content et je donnerai le maximum, comme d'habitude.
Quid de la concurrence avec Marc Hirschi, autre recrue de Tudor au profil très similaire au vôtre?
C’est une super chose d’avoir deux options comme Marc et moi pour des courses. On n'est pas dans le combat et je serai très content de le voir atteindre ses objectifs. Moi je veux que l’équipe aille bien. C’est notre but. Je le connais bien depuis des années. Il est très fort, on a eu pas mal de batailles en course, mais on a bien discuté du projet. On est contents d’être là tous les deux. La priorité, c’est l’équipe.
Mais vous aimez quand même être le leader?
J’aime ça, mais j’aime aussi aider mes équipiers à réussir. Je n’ai jamais été frustré de voir mes équipiers être meilleurs que moi. C’est la vie, il faut faire avec. Je sens que j’ai ici l’espace pour être un leader. Mais je travaillerai pour les autres quand il le faudra.
Quelles sont les différences de travail que vous avez pu constater déjà par rapport à votre aventure chez Quick-Step?
Je ne suis pas là pour comparer. J'étais très content là-bas et aujourd’hui je suis là et c’est top. Tout est nouveau: le staff, les coéquipiers, le matériel et j’adore ça. Le staff travaille très dur pour nous permettre de préparer au mieux la saison, c’est aussi la raison pour laquelle je suis ici. Je me sens bien. Tout est différent de Quick-Step mais je ne veux pas comparer. C’était le bon moment pour partir. J’ai eu beaucoup d’émotions, et j’ai senti que c’était le moment de vivre quelque chose de nouveau. Et c’est un gros challenge de faire partie d’une jeune équipe.
En 11 ans de vélo chez les pros, quel est pour vous le plus gros changement?
Dans le peloton, il y a moins de place pour la joie, le bonheur et l’instinct. Il n’est plus question que de calculs et de données de puissance. Il y a des gars qui finissent la course en regardant leurs watts, leurs records, mais ne s’intéressent pas à la course, à ce qui s’est passé en course. Pour moi, c’est pas ça le vélo.
Mais vous êtes toujours content de courir?
Le plus important pour moi, c'est de rester moi-même. Beaucoup de choses ont changé parfois en bien, mais il faut évoluer avec son temps. Je ne suis pas en colère contre le cyclisme d’aujourd’hui, je me contente de profiter. Les datas ont pris beaucoup d'importance, mais moi, j’aime continuer à courir à l’instinct. Je ne regarde pas les datas. Parfois oui, mais j’écoute beaucoup mes sensations.
Vous vous sentez plus sage qu'à vos débuts?
Non, mais au fil des années qui passent, on sent que c’est plus dangereux et les coureurs prennent de plus en plus de risques. Je ne me sens pas en insécurité, mais c’est vrai qu’on prend trop de risques. Il y a beaucoup de choses à faire sur la sécurité. On veut aider à ce que le cyclisme soit moins dangereux car on veut le meilleur pour notre sport. C’est un énorme problème et on ne peut pas le solder juste avec une discussion. J’espère que ça ira de mieux en mieux.
Cette aventure chez Tudor, c'est le chapitre final de votre carrière?
Je ne pense pas à ça. Je reste concentré sur les saisons qui arrivent. Je suis là pour 3 ans, ils ont confiance en moi et veulent travailler avec moi. C’est un projet à long terme mais c’est sûr que j’aurai 35 ans à la fin de mon contrat. Je serai content déjà si je continue à être performant à cet âge-là.