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Une disparition probable et d'autres redoutées: le cyclisme français en alerte pour ses équipes professionnelles

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Avec la disparition désormais quasi-certaine d’Arkea B&B Hôtels, une équipe TotalEnergies délaissée par son sponsor-titre à la fin de la saison prochaine, et Cofidis à la lutte pour son maintien dans la catégorie élite World Tour, le cyclisme français s’alarme de la situation de ses formations professionnelles.

Thibault Guernalec a pu oublier sa situation personnelle le temps d’une journée jeudi. Titré en contre-la-montre par équipe mixte avec l’équipe de France aux Championnats d’Europe, le coureur d’Arkea B&B Hôtels n’a pas trouvé de contrat pour la saison à venir, alors que son équipe est en passe de disparaître. "Je n’ai rien de signé, j’espère que cela ne va pas tarder parce que je marche encore fort, je suis passé à deux doigts de faire le Tour de France cette année et ça reste un rêve donc j’espère encore avoir ma chance", a-t-il confié. Le Finistérien, aujourd’hui âgé de 28 ans, a fait toute sa carrière dans la structure bretonne. "Il y a des jours à la maison où c’est un peu long, on attend des coups de fil de l’agent, il y a des portes qui se ferment... Je pense avoir encore beaucoup à apporter à une équipe, que ce soit une World Tour ou une belle ProTeam. Il y a encore beaucoup de choses qui vont bouger dans les équipes. C’est long, mais j’y crois", affirme Thibault Guernalec, en gardant le sourire.

"On commence à récolter les fruits, et puis ça s'arrête"

La date butoir est fixée au 15 octobre pour Arkea-B&B Hôtels, dont le manager Emmanuel Hubert est toujours en quête d’un partenaire de dernière minute. Dans une interview au journal Ouest-France ce jeudi, le manager de la formation bretonne explique avoir eu 25 pistes sérieuses, y avoir cru à six reprises, mais se retrouve dans l’impasse à moins de deux semaines de l’échéance fixée par l’Union cycliste internationale (UCI). Le directeur sportif de l’équipe, Didier Rous, reconnait lui "une forme de déni parce qu'on se dit que ça ne peut pas s'arrêter". "On a bossé, on a fait tout ça, on commence à récolter les fruits, et puis ça s'arrête. Il faut toujours avoir espoir, mais il ne faut pas que ça devienne l'espoir du désespoir", ajoute-t-il.

150 salariés au total, 3 équipes avec la Continentale pour la formation, et les féminines, sont en sursis. Selon Didier Rous, une vingtaine de coureurs auraient déjà trouvé une porte de sortie sur les 27 du groupe World Tour d’Arkea B&B Hôtels, dont la tête d’affiche Kévin Vauquelin, 7e du dernier Tour de France. Une majorité des coureurs de l’équipe Continentale et la moitié des féminines serait également assurée d’un contrat pour la saison prochaine.

TotalEnergies a un an pour éviter la disparition

Pour l’équipe TotalEnergies, il reste un an pour trouver une solution et éviter de se retrouver dans la même situation. Comme attendu depuis plusieurs mois, la firme pétrolière a annoncé la semaine dernière qu’elle ne serait plus sponsor-titre de la formation vendéenne à la fin de la saison prochaine. Un horizon encore lointain, qui laisse à son manager Jean-René Bernaudeau le temps de prospecter. D’autant qu’il a senti le vent tourner depuis déjà quelques mois, avec le partenariat signé par Total pour apparaître également sur le maillot de l’équipe INEOS Grenadiers.

"Dès qu’une équipe est menacée, c’est le sommet de la pyramide donc ça rejaillit sur le reste, cela inquiète et ça me contrarie", reconnaît le sélectionneur de l’équipe de France masculine Thomas Voeckler. "J’ai moi-même connu ça dans l’équipe Bouygues Telecom qui était à 24 heures de disparaître avant qu’Europcar n’arrive. Ce n’est pas facile à vivre comme situation. Malgré tout, le vélo français est en bonne santé et c’est assez paradoxal comme situation."

Cofidis dans une course aux points UCI

Même si l’équipe Decathlon va prendre une envergure plus importante avec l’arrivée la saison prochaine de CMA-CGM (groupe par ailleurs propriétaire de RMC Sport) comme nouveau co-sponsor, et que Groupama-FDJ n’est pas menacée, le tableau global reste morose pour les équipes françaises.

Cofidis a bien un contrat avec son sponsor-titre jusqu’en 2028, mais la formation nordiste est en difficulté sportivement et risque d’être reléguée de niveau et ainsi de quitter l’échelon suprême du World Tour. Cofidis pointe actuellement à la 20e place du ranking, démarré en 2023 et qui s’achèvera cette année. Or, seules les 18 premières équipes gardant leur statut World Tour pour les trois prochaines années. "C’est important de garder le statut World Tour, parce que c’est un moyen de conserver certains coureurs et d’en attirer d’autres. Cela garantit aussi la participation aux meilleures épreuves du monde, c’est là qu’on attend nos équipes professionnelles, qu’elles soient présentes et surtout qu’elles permettent aux coureurs français de progresser à ce niveau-là pour ensuite viser des victoires", rappelle Michel Callot, le président de la Fédération française de cyclisme.

Captain Cessieux prend le brassard : La fin d'Arkéa B&B Hôtels, il faut s'alarmer de la disparition d'une équipe française ! - 28/09
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Thomas Voeckler nuance: "Le plus important, c’est d’avoir une équipe structurée, qui a un projet. Je ne vais pas dire que le statut World Tour est secondaire parce que cela rassure sur un programme de course, mais cela impose aussi énormément de participations et peut parfois être un cadeau empoisonné, sans parler spécifiquement là de Cofidis." Le manager de TotalEnergies Jean-René Bernaudeau assumait ainsi par le passé sa stratégie de ne pas viser absolument la montée en catégorie WorldTour, s’estimant à sa place en deuxième division, même si sa participation au Tour de France doit dépendre chaque année d’une invitation des organisateurs. Mais du côté de Cofidis, du changement a été décidé pour enrayer le déclin avec l’éviction de Cédric Vasseur et l’arrivée de Raphaël Jeune comme manager général.

L’alarme du président de la FFC

Le président de la Fédération française est bien conscient de ce contexte compliqué pour le cyclisme professionnel tricolore. "C’est un point de préoccupation et cela doit être entendu aussi comme une alarme", dit Michel Callot. "Il est grand temps de se mettre au travail pour réfléchir à une organisation du cyclisme professionnel prenant en compte toutes ces composantes coureurs, équipes, et organisateurs de compétitions. On doit se demander comment conserver toute la dynamique de notre cyclisme professionnel et comment on s’assure que notre système permette d’amener nos meilleurs jeunes au niveau international dans une période moins faste d’un point de vue économique."

La France n’est pas la seule concernée: l’Italie n’a plus d’équipe en World Tour, et en Belgique une fusion est annoncée entre Intermarché-Wanty et Lotto. "Il y a une transition entre un modèle de sponsoring qui était le même dans la vieille Europe avec des entreprises de portée nationale et européenne, et de l’autre côté l’émergence de super-équipes qui sont presque des équipes-Etats ou associées à des milliardaires. Leur rapport au retour sur investissement n’est pas du tout le même", constate Michel Callot, le président de la FFC. "Il faut tenir compte de cette dimension pour se demander comment le cyclisme professionnel européen peut continuer à tenir sa place." La course aux moyens risque de laisser nombre de coureurs et staffs sur le carreau.

Kévin Morand