"Savourer ces moments rares": dans les coulisses de Bourgoin-Jallieu après l'exploit contre l'OL

Longtemps, les joueurs retardent l’instant de la douche. Dans les vestiaires, la musique résonne à fond, les chambrages fusent et les téléphones crépitent au son des notifications, mais aucun des héros n’a envie d’enlever son "habit de lumière d’un soir": ce maillot, désormais collector, dans cette épreuve qui rythme leur vie de footballeur amateur depuis… le 13 septembre 2024, date de leur entrée en lice en Coupe de France lors du 3e tour.
Car il y aura donc un neuvième match dans cette épreuve dans laquelle leurs prédécesseurs avaient toujours buté au 7e tour (1996) jusque là. En 2024-2025, ils poussent les portes avec fracas: victoire sans coup férir face au dernier de Ligue 2, Martigues (4-1), avant Noël et élimination aux tirs au but du voisin lyonnais (2-2, 4-2 tab), un peu plus de trois semaines plus tard.
Des premières en 32es, puis en 16es et désormais en 8es qui valent bien un geste de Djemal Kolver, le président, qui double la prime de match dans l’euphorie, sous le regard et le "parrainage" de Bafé Gomis. Le tout jeune retraité a donné le coup d’envoi de cette rencontre en répondant à l’appel de … ses cousins, Wilson et Joris Mendy, joueurs de Bourgoin et originaires du sud de la France comme l’ex-Stéphanois, Lyonnais ou encore Marseillais qui n’a, à part cette relation familiale avec ces deux joueurs, aucun "lien" avec ce club, si ce n’est la proximité géographique, lui le Toulonnais, installé à Lyon désormais.
Les dirigeants de Bourgoin-Jallieu puiseront sûrement, une partie de la somme nécessaire dans la recette laissée entièrement par le club vaincu mais partenaire technique depuis 2010: "Tu sais combien on a gagné ce soir?", demande le boss à son directeur général, Dylan Rahis. "Non", répond ce dernier. "Restons sur la passion, ne parlons pas argent", coupe-t-il.
Les dirigeants "miraculés" après un accident de la route
Les deux hommes qui auraient pu ne pas vivre cet instant magique après un spectaculaire accident de la route, samedi soir en se rendant à Espaly pour un match de championnat: "Oui, nous sommes des miraculés après nos six tonneaux", détaille le conducteur Dylan Rahis qui, pour éviter une voiture qui se déportait devant lui, a fini dans le bas-côté. Plus de peur que de mal, ils ont pu voir leur équipe faire match nul contre l’autre équipe du groupe de National 3 de Rhône-Alpes Auvergne et Coupe de France oblige, ils ont repoussé à ce jeudi matin, les examens médicaux: "Je crois qu’au minimum, une côte est touchée, c’est douloureux, mais ça passe", disent-ils en chœur, à la brasserie la "Berjallie" au pied de la tribune officielle du stade Pierre Rajon.
Il est bientôt minuit, soit plus de trois heures après que le match a livré son joli verdict. Les "rescapés" (il y avait aussi le vice-président Suat Atak dans cet accident), comme ils se présentent désormais, termineront la nuit dans un restaurant, histoire d’apprécier entre eux cette vie qui aurait pu s’arrêter nette sur un coup de volant contraint. Forcément, les trois hommes se repassent les images de ce drôle de début d’année, passée d’une mort possible un samedi soir en Haute-Loire à des souvenirs à vie en Isère, un mercredi, soit moins de cinq jours plus tard. À quoi ça tient, un exploit…
Mais retour aux immédiates minutes d’après à la sortie du vestiaire. Dans le couloir qui sert de zone mixte, règne un "petit bordel organisé", comme l’image un dirigeant berjallien, tout souriant. Il faut dire que malgré l’exiguïté du lieu, qui sert de sortie aussi, personne ne boude son plaisir, encore moins les héros décisifs. Dans l’ordre d’apparition en scène: Medhi Moujetzky (au doublé du bonheur), Ronan Jay (aux arrêts sur Lacazette et Tolisso) et Sofiane Atik (autour du tir au but décisif). Chacun a sa "petite histoire personnelle dans la grande histoire collective", résume Freddy Morel, l’entraîneur berjallien. Chacun passe à l’antenne sur RMC pour détailler: "Mon père avait disputé un 16e de finale de Coupe de France avec Vaulx-en-Velin face à Nantes, lui l’avait perdu (0-2 en 1994), moi, je l’ai gagné", rigole le double buteur, les yeux embués de larmes encore quand il répond aux journalistes. Il mettra du temps à s’endormir: "J’ai encore du mal à réaliser que nous avons éliminé 'mon' club, celui que je supporte chaque week-end…", s’excuse-t-il presque au réveil ce jeudi matin.
Le gardien, héros du soir, avait cours à 8h30 ce jeudi matin
Puis Ronan Jay raconte son parcours au centre de formation de Troyes avant de revenir chez lui dans le Nord Isère et dans son club, il y a quelques mois. Ses arrêts remontent à moins de 60 minutes, il porte encore sa tenue de gardien de but quand il s’exprime en direct, malgré le froid (-1°), juste devant la porte du vestiaire: "On s’est dit avec mon entraîneur, qui est aussi analyste vidéo, que c’était sur la sensation du moment. J’ai eu de bonnes sensations avec aussi les indications qu’on avait préparées sur les tireurs. Cette victoire va nous marquer à vie." Sitôt le casque enlevé, il a déjà tête à ses cours de ce jeudi matin, en alternance sur Lyon. Il y sera à 8h30, tout en répondant encore à quelques sollicitations sur la route, ce jeudi matin…
Et enfin, Sofiane Atik, l’autre joueur décisif, auteur du tir au but vainqueur qui, en même temps qu’il qualifie l’équipe, chasse ses propres démons: ceux nés d’une défaite en 32es de finale en 2013 (1-3) avec La Duchère, puis au même stade en 2020 avec Bourg-Péronnas (0-7) face à … l’OL! Cette fois-ci, il ne tremble pas et envoie son équipe en 8e en terrassant donc son club de cœur mais bourreau jusqu’à ce 15 janvier 2025: "Quand j’ai le tir au but, je me dis: à 38 ans, c’est ma dernière opportunité de battre l’OL. Soit tu le mets et tu continues, soit tu loupes et c’est fini. Y a de quoi être hyper heureux."
Heureux mais déjà tourné vers la "routine" du championnat, avec un rendez-vous face à un autre voisin, savoyard celui-là: Chambéry, ce dimanche (14h30) sur la pelouse de Chantereine, celle du centre de vie du club pour la 13e journée de National 3, cette poule qui, depuis quelques saisons, offrent des sensations XXL à ses pensionnaires: Chambéry (16e de finale de Coupe de France), La Duchère (32e), Feurs et St-Priest (8e) en 2024, Hauts Lyonnais (32e) et Bourgoin (8e) en 2025.
Freddy Morel est à Chantereine dès 7h30 ce jeudi matin. Il faut d’abord répondre aux sollicitations: un direct sur BMF TV à 8h, puis sur BFM Lyon à 8h15. "Il faut savourer ces moments rares de sportifs et d’entraîneur", répète-t-il. "Il ne faut pas tout aseptiser. Je veux laisser les joueurs avec des paillettes dans les yeux."
Puis, il épluche aussi son téléphone portable, où les messages écrits ou vocaux s’amoncellent: "Ah oui, cela 'clignote', je crois que j’en suis à 350 messages", décompte-t-il. "J’ai commencé à répondre jusqu’à ce que je m’endorme vers 2h30 quand j’ai coupé le téléphone. J’ai du dormir trois heures au total…" Puis quand ses adjoints arrivent, eux aussi dès potron-minet, ils préparent la séance du jour qu’il a décalée à 14h30. Non pas à cause de l’exploit de la veille (et de quelques agapes pour quelques cadres…), mais du froid et du gel. "Mais ça, faut pas le dire que c’était prévu d’avance, ils vont prendre cela comme un cadeau", rigole-t-il. "J’ai prévu un léger retour sur le match puis trois groupes de travail, les titulaires, eux, resteront au chaud."
"Et pourquoi encore une Ligue 1?"
Il pense déjà à la suite pour une neuvième étape dans l’épopée 24-25 de "Dame Coupe", programmée dans la première semaine de février, cinq mois après le premier acte face au FC Lauzes, une équipe de deuxième division de district, située dans la commune de Trept, à moins de 20 kilomètres de Bourgoin. Une entrée au forceps (1-3) malgré les cinq divisions d’écart qui lui fait repenser forcément à la déception de son vaincu du soir, Pierre Sage, qui lui a fait passer son diplôme d’entraîneur il y a quelques années: "Je sais qu’il va avoir les moyens de rebondir. En tout cas, je sais que le club va redevenir le supporter de l’OL."
La suite? Le tirage au sort des 8es de finale, ce jeudi soir. Avec un espoir: "Et pourquoi pas encore une Ligue 1, histoire de continuer à haute altitude?", conclut Freddy Morel avant de mettre en place l’entrainement de l’après-midi avec "des hommes heureux et des sourires", apprécie-t-il par avance.