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Coupe du monde 2022: pourquoi le match Iran-Etats-Unis s'annonce plus tendu et plus politique que jamais

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Ce mardi soir (20h), l’Iran et les Etats-Unis s’affrontent à l’occasion de la troisième journée de la Coupe du monde dans une rencontre ô combien symbolique. Les tensions géopolitiques entre les deux pays sont exacerbées par les protestations d’une partie des Iraniens contre le pouvoir en place, "l’affaire du drapeau" publié par la fédération américaine de football sur les réseaux sociaux… et un très fort enjeu sportif.

Une rencontre capitale sur le plan sportif associée à un contexte politique brûlant. Dès le tirage au sort de la phase de groupe de la Coupe du monde, cette affiche entre les Etats-Unis et l’Iran avait déjà retenu l’attention de tous les observateurs au regard des tensions géopolitiques entre les deux pays. Avec le scénario des deux premières journées dans ce groupe B, elle revêt désormais un caractère crucial pour la suite de la compétition.

Ce mardi, à 20h, les Etats-Unis et l’Iran vont s’affronter dans le cadre de la dernière journée de la première phase. Et la donne est simple: le vainqueur est assuré d’être qualifié pour les huitièmes de finale. De quoi donner encore un peu plus de sel à une rencontre qui n’en avait pas vraiment besoin.

Plus aucune relation diplomatique depuis 1980

Les Etats-Unis et l’Iran sont des ennemis jurés et n’ont plus aucune relation diplomatique depuis 1980 et la prise en otage (débutée en novembre 1979) d’une cinquantaine de diplomates américains par des étudiants iraniens à Téhéran. Pour se venger, Washington a alors décidé de mettre en place des sanctions contre l’Iran. Des dizaines d’autres suivront pendant 40 ans. "Les deux pays sont dos à dos depuis longtemps. Les USA ont commis un coup d'État en 1953 en Iran, détaille Milad Javanmardy, journaliste iranien pour BeIn Sports, pour expliquer le ressentiment iranien envers les Etats-Unis. Beaucoup d'Iraniens ont de la rancune envers les Américains. On ressent une interférence des Américains dans la politique intérieure de l'Iran."

L’atmosphère de la conférence de presse d’avant-match de Gregg Berhalter et Tyler Adams, respectivement sélectionneur et milieu de terrain des Etats-Unis, suffit à comprendre le caractère hors norme de cette affiche. Ce lundi, à la veille de la rencontre, des journalistes iraniens ont notamment demandé aux deux hommes ce qu’ils pensaient de "représenter un pays raciste". Ambiance.

L'affaire du drapeau iranien

Dans ce contexte, la publication par la Fédération américaine de football (USSF) sur les réseaux sociaux d'un drapeau iranien sans l'emblème représentant le mot Allah n'a pas manqué de provoquer la colère de son homologue iranienne, qui a dénoncé "un acte non professionnel" et demandé à la Fifa "qu'elle adresse un sérieux avertissement" à l'USSF. "C’est un manque de respect énorme. Imaginez que nous retirions des étoiles du drapeau américain car les populations afro-américaines sont discriminées aux Etats-Unis", a déploré Milad Javanmardy. Le drapeau en question a ensuite été retiré, pour remettre celui de la République islamique. Un responsable de la communication de la Fédération américaine a expliqué qu'il s'agissait d'un geste "ponctuel pour montrer (leur) solidarité avec les femmes en Iran".

Car ce match a lieu alors que l’Iran traverse une période de tension extrême. Le pays du Golfe est en effet le théâtre d'un mouvement de contestation à la suite de la mort le 16 septembre de la jeune Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs à Téhéran pour, d'après celle-ci, ne pas avoir respecté le code vestimentaire strict imposé par le régime. Alors que des milliers de personnes se révoltent depuis plus de deux mois, faisant face à une violente répression de la part du régime, les joueurs iraniens ont refusé de chanter l’hymne lors de leur entrée en lice dans le tournoi, lundi 21 novembre face à l’Angleterre (6-2).

24 ans après le "match de la paix" en 1998

Au Mondial 1998, lors de la seule et unique confrontation de leur histoire, les joueurs des deux sélections avaient montré des scènes de fraternisation au coup d’envoi d’une rencontre finalement remportée par les Iraniens (2-1). Les deux équipes avaient exceptionnellement posé ensemble pour une photo restée dans l’histoire, image censée apaiser des relations très tendues. En 1995, trois ans avant ce match de Coupe du monde en France, les sanctions américaines, en place depuis 1979 et la fameuse prise d’otage de Téhéran, s’étaient pourtant encore alourdies, les Etats-Unis reprochant aux Iraniens leur programme nucléaire.

Selon Milad Javanmardy, ce match de la paix n’a cependant pas arrangé. "Les peuples n'ont pas de problèmes entre eux. Mais il y a de la rancune. Les décisions politiques américaines affectent les vies des Iraniens. Les enfants ont des difficultés d'accès à la médecine. Dans le sport, l’Iran ne peut pas toucher l'argent de la FIFA, des gains que nous avons gagnés lors des précédentes Coupes du monde. Et c'est pareil dans tous les domaines", assure le journaliste iranien.

Carlos Queiroz, le trait d'union

Le meilleur trait d’union entre les deux équipes - peut-être même entre les deux pays - n’est ni iranien, ni américain. Il est portugais, en la personne de Carlos Queiroz, le sélectionneur de la Team Melli. "Carlos Queiroz est un très bon diplomate. Il connaît très bien les Etats-Unis, il a aidé la MLS à ses débuts, il était même souvent dans les discussions pour prendre les rênes de la sélection nationale et il a écrit une étude sur le développement du football US. C'est un match compliqué pour lui et il essaie d'enlever un peu de tension politique autour du match", a indiqué Paul Kennedy, journaliste américain rédacteur en chef de Soccer America.

"C’est un match très spécial pour moi, a confirmé le principal intéressé. Je joue une troisième Coupe du monde avec l’Iran et j’ai aussi travaillé aux Etats-Unis lors des débuts de la MLS, le championnat local. Je veux féliciter les Etats-Unis pour leur deux excellents premiers matchs." Ce discours d’apaisement a également été choisi par Gregg Berhalter, son homologue américain: "Le sport est le meilleur moyen d’unifier les peuples. Nous devons nous affronter sur le terrain comme des frères. Carlos Queiroz est un grand entraîneur, il a travaillé pour les Etats-Unis et il a été très utile au développement du football chez nous. Je crois que c’est une source d’inspiration pour moi." Ne comptez pas sur les deux sélectionneurs pour jeter de l’huile sur le feu avant une rencontre qui a déjà tout pour être brûlante.

Aurélien Tiercin et Félix Gabory