Porto-OL: entraînements la nuit, régime "militaire" et coups de gueule, quand Conceição révolutionnait tout à Nantes

Inévitablement, les souvenirs vont ressurgir. Des flashbacks de séances d'entraînement sans fin, de coups de pression mémorables et de grandes joies, surtout. Au moment d'entrer dans le bouillonnant stade du Dragon et de jeter un coup d'œil au banc adverse, Léo Dubois replongera au moins un instant cinq ans en arrière. Mercredi, pour le huitième de finale aller de Ligue Europa entre le FC Porto et l'OL (18h45 sur RMC Sport), le capitaine des Gones va retrouver un certain Sergio Conceição. Un coach qui l'a marqué comme peu l'ont fait au cours de sa carrière. Lui et d'une certaine façon la Ligue 1. Car avant de collectionner les trophées dans son pays (champion en 2018 et 2020, Coupe du Portugal en 2020, Supercoupe du Portugal en 2018 et 2020), le coach des Dragões s'est fait remarquer du côté du FC Nantes. Même si elle n'a duré que six mois, son aventure sur les bords de l'Erdre est restée dans les mémoires.
Lorsque le versatile Waldemar Kita vient le chercher en décembre 2016, les Canaris ont encore les fesses rougies d'un 6-0 encaissé à la Beaujoire face à l'OL de Bruno Genesio. Et la gueule de bois n'est pas nouvelle. En chute libre depuis de longues semaines, Diego Carlos et sa bande pointent à la 19e place au soir de la 16e journée. Sans âme, sans imagination, sans ressort. Avec en prime l'une des pires attaques d'Europe (seulement neuf buts marqués). Tout indique que ce monument du football français va reprendre l'ascenseur direction la Ligue 2. Comme toujours dans pareille situation, la direction nantaise relance la lessiveuse à entraîneurs et montre la sortie à René Girard. Sur son bureau, Kita reçoit des dizaines de CV. Son premier choix se nomme Vitor Pereira mais la piste se révèle trop onéreuse. Des rumeurs évoquent aussi le nom de Marco Silva. Mais c'est finalement un autre Portugais qui est choisi.
La fin des 35 heures à Nantes
"On se présente un jour à l'entraînement et on nous dit que notre nouveau coach s'appelle Conceição, c'est une grosse surprise pour nous, se souvient le milieu de terrain belge Guillaume Gillet, recruté un an plus tôt. On ne sait pas du tout à quoi s'attendre." Ils vont vite être fixés. Dès sa première conférence de presse, Conceição use de la rhétorique guerrière. Avec un message clair : "Je ne suis pas un ange. Je vis les choses avec intensité, passion. Je ne vais pas changer mon caractère." Traduction : il va falloir oublier les 35 heures et éviter de trop titiller un volcan prêt à exploser à tout moment. Le quotidien des Nantais est immédiatement bousculé par l'ancien milieu offensif de la Lazio et l'Inter Milan, reconverti comme entraîneur en 2010 avec des débuts comme adjoint au Standard de Liège, avant des expériences en tant que numéro un à Coimbra, Braga ou encore au Vitória Guimarães.
Dans la cité des Ducs, rien n'est laissé au hasard. Petits déjeuners pris en commun, repas obligatoires le midi au club, double ration d'entraînement, séquences vidéo à la chaîne, vacances écourtées... Le 49-3 à la sauce portugaise ne plaisante pas. "C'est un régime quasi militaire qu'il impose à l’ensemble du groupe, raconte Gillet, qui se voit alors confier le brassard de capitaine. Au début, ça paraît dur et très spécial. Parfois, on se pointe dans le vestiaire pour l'entraînement, le coach nous fait attendre 1h30 ou 2h et d'un seul coup il siffle pour qu'on comprenne que ça commence. C'est comme ça pendant deux-trois semaines. Entre nous, on se dit : "Ce n’est pas possible, on ne va pas pouvoir continuer, c’est trop strict." Mais au final on comprend ce qu'il cherche à faire. Il sait que la situation du club est catastrophique et qu'il y a besoin de remettre de la discipline." Marqué par son passage en Italie où on lui avait gentiment demandé de perdre du poids à son arrivée, Conceição met en place des pesées régulières pour les joueurs. Pour parer à tout excès.
Des crispations en interne
"A ce moment-là, je fais partie de ceux qui ont plusieurs kilos à perdre, se remémore le défenseur central Anthony Walongwa, formé au club et aujourd'hui à Fontenay (N3). Le coach le sait et m'explique : "'Ta situation est compliquée, tu es remplaçant, mais je ne vais pas te lâcher.' Il se met à courir avec moi 20-25 minutes en plus à la fin de chaque entraînement. Son objectif est simple : avoir des soldats et ne négliger personne. Avant la trêve de Noël, il me demande si j'ai prévu de partir en vacances. Je lui réponds que j'ai juste envie de profiter quelques jours en famille. Il me répond : 'Ah bon ? Je pense plutôt que tu vas rester ici avec mes adjoints pour bosser.' Je me dis qu'il plaisante. Mais pas du tout..." Le douzième coach de l'ère Kita emploie les grands moyens et ça fonctionne. Sous ses ordres, Nantes se paie tour à tour Angers, Montpellier, Toulouse et Caen en championnat. Douze points pris sur douze possibles, cinq buts marqués, pas un seul encaissé. C’est la patte Conceição. Détermination, rigueur et efficacité.
Jusqu’à quand cet effet peut durer ? Certains observateurs sont sceptiques, convaincus que le Portugais n'est qu'un meneur d'hommes et une grande gueule, à même de secouer un groupe endormi mais pas beaucoup plus. En interne, ses méthodes drastiques et son côté bourru ne plaisent pas à tout le monde. Son manque de tact lui est reproché. Comme l'absence de contre-pouvoir et sa volonté de "sanctuariser" le vestiaire, de fonctionner en vase clos. Le genre de critique qu'il vaut mieux ne pas lui faire. "Ici, je vois bien que quelque chose ne marche pas bien. Je l’ai senti. J’arrive à 8h le matin, je repars à 20h le soir. Peut-être que je ne vois personne. Je suis dans mon bureau ou sur le terrain d’entraînement. Et si on n’est pas content, on s’en va, on ne va pas chercher la merde", lâche-t-il en guise de réponse. Car Conceição reste un impulsif, un type capable de cracher sur un adversaire et de jeter son maillot au visage d'un arbitre. Un épisode qui lui vaut quatre mois de suspension avec le Standard en 2006.
Une vie de combat
Un an auparavant, c'est sur un journaliste belge qu'il passe ses nerfs en lui collant une gifle, vexé par un de ses papiers. A Nantes, il claque la porte d'une conférence de presse après 30 secondes après avoir engueulé à sa façon les journalistes, coupables à ses yeux d'avoir posé trop de questions à un de ses joueurs sur son avenir. Depuis son banc, il se chauffe également avec le Parisien Unai Emery et le Toulousain Pascal Dupraz. Lui-même assume ce caractère sanguin, nourri par son histoire personnelle. Son enfance a été un combat. Il sort à peine de l'adolescence lorsque son père meurt dans un accident de scooter. Quelques mois plus tard, il doit affronter le décès de sa mère alors qu’il effectue ses premiers pas à Porto. Ces drames auraient pu le pousser à tout arrêter. Au contraire, sa rage de vaincre en ressort renforcée. Le football devient sa planche de salut et cette motivation ne le quitte jamais.
"Je suis né dans un village où il n'y avait pas beaucoup d'argent. J'ai eu beaucoup de difficultés quand j'étais petit. Mon père et ma mère sont partis, mais ils nous ont laissé des principes basiques de la vie, comme le respect de l'autre. C'est impossible pour moi d'arriver ici et de ne pas dire bonjour, comme certains l'ont laissé entendre. Ce sont des mensonges", insiste-t-il quand il apprend qu'il est loin de faire l'unanimité à la Jonelière. Ce shérif sûr de lui ne prend pas non plus de pincettes avec ses joueurs. Il peut à la fois les défendre publiquement, comme Yacine Bammou, pris en grippe par certains fans, faire l'effort d'assister aux matchs de la réserve pour voir les jeunes, mais aussi se montrer piquant. Sans concession.
"On termine la séance dans le noir total"
"Pour moi, ça s’est d’abord mal passé avec Conceição, nous confie le portier Maxime Dupé, resté au FCN jusqu'à son départ définitif pour Toulouse il y a deux ans. Quand il est nommé, je suis numéro deux derrière Rémy Riou. Sans véritable raison, il me sort de l’équipe pour son premier match. Je ne suis même pas sur le banc. Même chose pour le match suivant en championnat. Je ne suis pas dans le groupe. Mais Riou se blesse et il ne peut pas tenir sa place le week-end d'après. Jusqu’à deux heures avant le coup d’envoi, on ne sait pas qui va jouer, si c’est moi alors que je suis quasiment à la cave ou si c’est le jeune Quentin Braat. Au final, je joue et ça se passe super bien. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne fait pas de cadeaux." Et c'est un euphémisme. D'une exigence féroce, il peut envoyer des notes vocales à 3h du matin aux membres du staff pour faire passer des consignes. Avec lui, les entraînements peuvent durer encore plus longtemps qu'un épisode de Top Chef.

"Un jour, on s’entraîne en fin d’après-midi et à la Jonelière il n’y a pas d’éclairage à cette époque-là. L’entraînement commence à 15h mais à 17h30 il commence à faire très, très noir alors qu'on est toujours sur le terrain. Le coach n'a pas ce qu'il veut donc on continue à bosser. Sauf que c'est de pire en pire. On voit de moins en moins, et lui s'énerve de plus en plus. Finalement, on termine la séance dans le noir total. Conceição, c'est une certaine folie", se marre Gillet, bluffé à la fois par le souci du détail du Portugais et ses compétences tactiques. Car Conceição n'est pas qu'un général doué pour instaurer des règles et recadrer ses joueurs. La Ligue 1 découvre un chef d'orchestre. S'il s'attache d'abord à construire un projet défensif clair, sa formation devient au fil des semaines offensive et séduisante. Avec un 4-4-2 très agressif sans le ballon et une stratégie rappelant, toutes proportions gardées, le schéma cher à l'Atlético de Diego Simeone.
Un petit Atlético
Pressing, harcèlement et projections rapides vers le but sont les ingrédients de ce FCN. L'idée est de ne laisser aucun répit, aucune respiration. En attaque, Emiliano Sala et le plus souvent Préjuce Nakoulma sont chargés de chasser les défenseurs centraux pour limiter les passes à l'intérieur du jeu, amener l'équipe adverse à jouer sur ses latéraux et ainsi faciliter la récupération du ballon. Pour leur capacité à défendre et à répéter les efforts, des éléments comme Gillet, Valentin Rongier et Adrien Thomasson deviennent essentiels au milieu. Pour bonifier l'expression collective et maîtriser le jeu de position. "A force de répéter des circuits à l'entraînement, ça devient naturel en match, souligne Gillet. Conceição veut qu'on soit surtout efficaces au contre-pressing. Pour lui, la clé c'est de savoir reprendre le ballon cinq secondes après l'avoir perdu. C'est capital pour prendre l'adversaire à la gorge et avoir un bloc haut. Même contre des grosses équipes, on joue notre jeu et ça marche bien. On bat même l'OM lors d'un match fou (3-2)."
"En quelques jours, chaque joueur sait parfaitement ce qu'il doit faire selon telle ou telle situation de jeu, développe Dupé. C'est le fruit d'un énorme boulot, notamment à la vidéo. Prenons l'exemple des coups de pied arrêtés : habituellement, ce n'est pas forcément ce qui est le plus travaillé, alors que pour Conceição c'est quelque chose de super sérieux, on ne rigole pas avec ça." Sous le charme, la Beaujoire assiste à la renaissance spectaculaire d'une équipe qu'elle pensait condamnée. L'expression "le groupe vit bien" n'est pour une fois pas galvaudée. La fusion est totale entre cet écorché vif et des joueurs convaincus par sa méthode. "J’ai l’impression qu’il donnerait sa vie pour protéger chaque joueur, insiste Gillet. Il s’est toujours mis en tête de nous défendre quoi qu’il arrive à partir du moment où on donne tout. Ses discours à l’entraînement ou les jours de matchs nous transcendent. Je me souviens qu’on a des frissons lors de certaines causeries. Conceição c'est ça : il peut péter les plombs s’il estime que le travail est bâclé, mais il est en même temps protecteur. Et je pense que des garçons comme Dubois, Thomasson, Rongier et Harit ont énormément progressé grâce à lui."
Une fin gâchée
Avec son grand brun, toujours bien coiffé mais jamais calme sur son banc, Nantes s'invite dans la première partie de tableau et se prend même à rêver d'une qualification européenne. Avant de boucler la saison à la septième place, sans Ligue Europa au bout mais avec son meilleur classement dans l'élite depuis 2004. Sans surprise, Conceição et son président décident de poursuivre leur collaboration en signant une prolongation jusqu'en 2020. Séduit par la ferveur locale, le premier y voit l'opportunité à 42 ans d'avoir enfin un peu de stabilité et de décoller l'étiquette de "mercenaire" qui lui colle à la peau depuis qu'il a commencé à entraîner. D'ordinaire interventionniste, Kita semble prêt à lui laisser les clés du secteur sportif et a multiplié son salaire par deux. Conceição veut changer encore plus de choses au club ? Aucun problème pour l'homme d'affaires franco-polonais. Investir dans du matériel pour le centre de formation, installer des caméras pour faire de l'analyse vidéo et changer le synthétique utilisé par les pros, tout ça à la demande de son coach ? Visiblement pas un souci.
Mais à Nantes, l'histoire ne pouvait pas être si belle. A peine un mois plus tard, tout vole en éclats. Porto vient de virer Nuno Espirito Santo et n'a qu'une idée en tête pour le remplacer : Conceição. Dragué par son premier amour, le coach nantais n'hésite pas bien longtemps. Ce projet lui tient trop à cœur. Il fait en plus comprendre à ses dirigeants que l'état de santé de son épouse ne lui permet pas de rester éloigné d'elle et que le poste qui l'attend à Porto lui permettra de poursuivre son métier au plus haut niveau tout en restant à ses côtés. Kita résiste un temps, puis abdique en actant son départ début juin. "Pour moi comme pour les autres joueurs, ça a été dur à accepter, témoigne Gillet. Quand on s’identifie autant à un entraîneur, c’est compliqué... Le club a pris Claudio Ranieri pour lui succéder, une pointure. Mais ce n’était plus du tout la même philosophie." L'Italien tiendra une année, le temps de placer Nantes à la neuvième place. Conceição, lui, sera sacré champion du Portugal dès sa première saison.
Son armoire à trophées s'est depuis bien remplie et il compte maintenant guider Porto vers une nouvelle victoire en C3 après 2003 et 2011. Il faudra commencer par sortir l'OL, une équipe qu'il ne veut surtout pas prendre de haut. Il y a cinq ans, les Gones avaient mis fin aux derniers rêves européens de son FCN avec une victoire 3-2 lors de la 36e journée de Ligue 1. Et ça, Conceição n'a pas pu l'oublier.