RMC Sport
EXCLU RMC SPORT

"Avant c'était l'OL, aujourd'hui c'est le club de John Textor": le spleen de Sonny Anderson, très inquiet pour l'avenir lyonnais

placeholder video
Après l'officialisation de la mise au pied de Pierre Sage, remplacé par Paulo Fonseca sur le banc lyonnais, les anciens montent au créneau. La légende du club Sonny Anderson, désormais consultant pour beIN Sports, y voit un très mauvais présage pour l'avenir de l'OL.

Sonny Anderson, à l’image de certains anciens de l’OL, vous aviez envie de prendre la parole. L’impression que cela donne, c’est que pour vous comme pour d’autres, la façon dont le club vit aujourd'hui vous prend aux tripes...

Exactement. Ça me prend vraiment aux tripes. Pour le futur, je suis très inquiet et je suis même blessé par la situation. Je suis venu en 1999 de Barcelone avec Jean-Michel Aulas et Bernard Lacombe pour construire quelque chose dans ce club, pour devenir un des grands en Europe. Je pense qu'on a réussi avec d'autres joueurs à le faire, à gagner des titres, à construire une famille au niveau du club. Aujourd'hui, la famille est cassée, il n'y a plus rien. Ça me blesse énormément.

En particulier, ce qui se passe avec l’Académie vous questionne...

Parce qu'on va chercher des joueurs et on ne donne pas la possibilité aux gamins du centre de formation de jouer. Quand on voit des gamins de 18 ans qui sont vendus à Strasbourg (Mamadou Sarr, ndlr) et qu'on prend des joueurs beaucoup plus chers à sa place (Moussa Niakhaté, ndlr), ça veut dire qu'on n’envoie pas le bon message aux joueurs du centre de formation. On ne peut pas dire qu’on pense à la formation quand on prend des joueurs de 17-18 ans à l'étranger. Quand j'entends que l'école de foot va s'arrêter à l'Olympique Lyonnais, ça ne donne pas une bonne image pour inciter les gamins à venir jouer à l'OL et faire une histoire avec ce club. On va chercher ailleurs et on ne fait pas confiance, on ne met pas en place quelque chose.

Vous aviez la possibilité de changer les choses de l’intérieur en étant Conseiller du président Aulas, un poste que vous avez gardé quelques mois après le départ de ce dernier…

John Textor n'a pas voulu entendre ce qu'on avait à lui dire. Je suis parti parce que je pense que ça ne l'intéressait pas de travailler avec un ancien du club. J’ai lu que Sidney (Govou) a dit dans sa tribune régulière dans le quotidien Le Progrès que "John Textor ne veut plus de Lyonnais dans le club". Il a raison... Aujourd'hui, on n'en a plus. Dans le staff, il y avait Rémy Vercoutre qui n'est plus là. Je crois que c'était le dernier rescapé des anciens Lyonnais. C'est dommage parce qu'on doit travailler avec des gens qui aiment le club et qui veulent faire progresser le club. Par amour du club, Lyon a toujours été comme ça. Je comprends très bien qu'il y ait des changements. Il faut faire des changements pour progresser, pour s'améliorer. Il faut aussi compter sur ceux qui connaissent parfaitement ce club, qui connaissent parfaitement la ville, pour intégrer les meilleurs joueurs qui arrivent, les aider à s'adapter, à connaître vraiment cette mentalité. Aujourd'hui, je suis déçu de la situation du club. Je suis très inquiet parce que je sais qu'il faut mettre des Lyonnais pour que ça progresse, pour montrer l'histoire du club à ces jeunes qui arrivent. Il nous en reste encore trois dans l'équipe (Lacazette, Tolisso et Cherki), dans l'effectif. J'espère que ceux-là vont amener beaucoup de choses jusqu'à la fin de la saison, parce que ce sont eux qui ont sauvé le club l'année dernière. C'était des Lyonnais qui ont sauvé le club l'année dernière et j'espère qu'ils vont encore le sauver cette année.

Vous avez décidé de parler juste après l'éviction de Pierre Sage. Que voyez-vous de symptomatique dans son départ?

Pierre, c’est quelqu'un venu dans un contexte qui n'était pas facile, il y a plus d'un an. Quelqu'un qui prend un club, qui met des joueurs, et qui sauve le club de la descente pour finir européen. Cette année, il y a eu quelques matchs qui se sont mal passés, OK. Être éliminé en Coupe de France, oui, c'était très grave, mais ça arrive à tous les clubs. Aujourd'hui, les joueurs sont à 3 points, voire 4 points de la Coupe d'Europe, ils sont 6e en championnat et qualifiés en Coupe d'Europe. Changer un coach qui fait vibrer le public, qui a donné des émotions qu'on n'avait pas vécues à Lyon depuis des années, je trouve ça un petit peu dégueulasse. Pour moi, c'est un manque de respect envers le club, les supporters, les anciens joueurs qui aiment le club, qui ont vécu des choses fortes au club, et qui avaient commencé à avoir une identité avec Pierre Sage, à retrouver le côté humain qu'avait perdu le club. Aujourd'hui, oui, c'est dramatique, parce qu'on ne sait pas ce que ça va donner maintenant. On savait qu'avec Pierre Sage, il y avait peut-être une possibilité, il y avait un groupe qui connaissait le coach, qui avait déjà une dynamique avec lui. Aujourd'hui, si vous perdez deux ou trois matchs, au lieu d'être proche du haut du classement, d'être européen, qu'est-ce qui va se passer? Là, ça peut être dramatique, oui.

En quoi le discours de John Textor vous gêne-t-il?

On ne peut pas dire: "on va prendre un coach qui va gagner la Coupe d'Europe, qui va gagner le championnat". Ça se construit avec le temps. Il y a eu des résultats, il y a aussi eu des résultats dans d'autres clubs, notamment Botafogo, avec un coach qui a gagné la Libertadores, qui a gagné le championnat brésilien. Mais ce coach, il est parti aussi. Il est parti, il n'est plus là. Et moi, je pense que c'est dommage, parce qu'on construit quelque chose, on signe avec un coach, on doit faire confiance, le laisser construire un projet. Sauf que le projet avec John Textor, c'est 4 ou 5 matchs. Si vous ne gagnez pas 4 ou 5 matchs, vous n'êtes plus entraîneur. J'espère que Fonseca va gagner quelque chose, qu'il va vraiment réussir. Parce que je me pose la question: si jamais il n'est pas européen à la fin de saison, s'il ne gagne pas la Coupe d'Europe, comme a dit John Textor, est-ce qu'il va rester? Il vient de signer deux ans et demi. Est-ce qu'il va rester?

Le fonctionnement de la présidence actuelle tranche avec celle que vous avez connue à Lyon mais aussi dans d’autres clubs...

(Il coupe) En fait, la personne qui prend des décisions n'est pas la personne qui gère le quotidien. Il ne sait pas comment vivent ses salariés, comment vit le club. Parce qu'aujourd'hui, je suis aussi triste de voir que le club va mal dans tous les domaines. Vous avez à peu près 94 personnes qui vont partir, qui vont perdre leur emploi dans les jours à venir. Ce sont des gens qui ont travaillé pendant 20 ou 30 ans ici, qui ont de l'amour pour le club, des gens qui ont construit, qui ont vécu des choses fortes. Aujourd'hui, ils vont partir. Il n'y a pas que le côté sportif de l'OL qui m'inquiète. Il y a d'autres choses aussi. Il y a trop de personnes aujourd'hui qui vivent dans le club, mais qui ne l'aiment pas, qui n'aiment que le business. C'est peut-être le modèle actuel du football. On fait du business, on ne fait pas des sentiments, on ne fait pas de l'amour. Moi, je suis de la vieille école. Si on donne de l'amour, on le reçoit et on traite mieux les gens. Aujourd'hui, oui, je me pose la question de la multipropriété. Pour l'instant, entre les joueurs qui vont et qui viennent, les transferts un peu bizarres...

Il y a un phénomène palpable, pour ce match et pour d’autres, de supporteurs qui ne veulent plus venir. Vous en pensez quoi?

Ce qu'a construit Pierre Sage, c'est ce qui faisait que les gens venaient au stade. Parce qu'ils savaient qu'il allait y avoir des émotions à chaque fois, qu'il allait y avoir cet espoir de gagner un match. Ils ont vécu ça. Et heureusement qu'il y a eu ça pendant la saison dernière avec Pierre Sage. Nous, ce qu'on demande aujourd'hui, c'est que ce club revive des émotions, des émotions comme celles qu'on a vécues l'année dernière. Mais aujourd’hui l’OL, ce ne sont que des histoires d'entraîneur qui va partir, de staff qui part, de tel joueur qui a envie de partir... Autour de l’OL, il n'y a aujourd'hui que des problèmes. On ne sait pas vraiment où on va. Et c'est bien dommage parce qu'on est beaucoup d’anciens dans la région. On est beaucoup autour du club. Il y en a beaucoup, beaucoup. Mais il n'y en a aucun dans le club.

Pensez-vous qu'à terme...

(Il coupe) Oui, ça va être problématique. Le fait qu'on prenne nos distances avec le club parce qu'on n'est pas considéré comme on le souhaite par rapport à ce qu'on a construit au club... Parce qu'on ne peut pas effacer ce qu'on a fait au club. Et j'ai l'impression que John Textor veut effacer tout ce qui a été fait, tout ce qui a été construit par nous avant. On n'a plus l'impression que cette équipe-là, ce club-là, c'est celui qu'on a connu. Aujourd'hui, on est en train de détruire quelque chose parce qu'on ne parle plus des émotions lyonnaises.

L’actualité n’est plus sur le terrain...

Non. Tous les six mois, il y a un problème avec la DNCG puis un transfert. Il y a toujours un problème à l'OL. On n'est plus dans le côté sportif, on ne se dit plus "si on gagne ce match, on peut être champions, si on gagne ce match, on peut se qualifier pour la Coupe d'Europe". Non, on est là en train de se dire "si on ne gagne pas, qu'est-ce qui va se passer au mois d'avril?" Parce qu'aujourd'hui, on se dit "qu'est-ce qui va se passer au mois d'avril, au mois de mai?" On ne vit que là-dedans maintenant. On ne vit plus dans le football aujourd'hui, on n'est plus là dans l'aspect sportif. Le seul qui nous a redonné ça, c'est Pierre Sage, et il ne sera plus là. J'espère que Paulo Fonseca va nous amener un peu de ce côté-là, de l'énergie positive dans le club, et qu'on arrête avec ce côté extra-sportif qui est en train de fatiguer tout le monde. Je suis venu une fois au stade cette année, alors que j'y venais souvent avant. La vérité, c'est qu'on n'arrive pas à s'identifier à ce club aujourd'hui, avec les gens qui y sont présents. On s'identifie de moins en moins à ce que le club est devenu aujourd'hui. Le club restera toujours dans notre cœur, ce qu'on a fait restera, les supporteurs resteront toujours, le nom de l'OL sera toujours là, mais on s'identifie de moins en moins à ce qui s'y passe aujourd'hui. C'est vraiment dommage, parce qu'on a appris à l'aimer. Aujourd'hui, on n'apprend plus aux joueurs à aimer ce club, à jouer pour l'amour du club. Parce qu'ils se disent qu'à un moment ou un autre, on va les faire partir du club, qu'ils ne vont pas rester là.

On vous sent ému

Oui, c'est vraiment dommage. J'ai l'impression que l’on fait tout pour détruire ce qu'on a construit. On a construit des belles choses pour ce club. Ça me fait très très mal au cœur de savoir que le club est en train de vivre ces gros problèmes. On ne parle que du problème de la DNCG, que du problème des transferts. Il n'est pas là au quotidien, John Textor. Il vient là pour prendre des décisions, pas pour voir le coach au quotidien, pour savoir comment fonctionne le centre de formation, comment fonctionnent les salariés, comment fonctionne le club. Avant, c'était l'Olympique Lyonnais. Aujourd'hui, c'est le club de John Textor. Et ça, ça me fait peur.

Il peut vous rétorquer qu’il a réussi avec Botafogo...

Oui, il a réussi avec Botafogo. Il y avait une équipe qui était extraordinaire, rien à dire là-dessus, avec des joueurs extraordinaires. Mais le système fonctionne peut-être mieux au Brésil qu'en France. On ne peut pas fonctionner de la même façon ici. On ne peut pas appliquer ce qui fonctionne dans un pays à un autre. Le système n'est pas le même, on doit s'adapter à l'endroit où on vient. Il doit s'adapter à la manière dont les choses fonctionnent en France. Et à partir de là, s'il arrive à comprendre ça, à comprendre comment on fonctionne en France, il ne va pas essayer de faire la même chose qu'aux États-Unis, il ne peut pas faire la même chose que ce qu'il a fait à Botafogo… Le système français n'est pas le même que le système brésilien ou le système américain. S'il arrive à comprendre ça et à travailler avec le système français, je pense qu'il pourra réussir.

Le paradoxe, c’est que vous, un Brésilien, vous avez fait gagner l’OL. L’OL a gagné avec des "non-Lyonnais"…

Oui, nous n’étions pas "Lyonnais". Avec Edmilson, Caçapa, Juninho, des joueurs qui n'étaient pas lyonnais à la base, nous avons appris à aimer ce club, cette ville. Aujourd'hui, on devient lyonnais, on l'est devenu parce qu'on a aimé ce club, parce que comme je disais tout à l'heure, ce club, c'était une famille. On s'est plongé dans le club, il y avait une confiance entre tout le monde. La plupart des joueurs sont revenus vivre à Lyon, pour être proches du club. Mais il n'y en a aucun qui est au club...

Edward Jay