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"Proposer les meilleurs contenus possibles": Pourquoi les clubs de Ligue 1 rivalisent d'originalité pour annoncer leurs recrues

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Comme tous les étés, certaines écuries de Ligue 1 font preuve d'une grande imagination pour annoncer leurs nouveaux joueurs. Des stratégies digitales qui prennent du temps, travaillées en amont essentiellement pour une question d'image.

Un stagiaire allongé dans un jacuzzi avant d’annoncer une recrue, le générique des Simpsons revisité, un moment de partage avec les supporters en centre-ville ou des présentations en mode "Série Netflix"… Cet été encore, des clubs de Ligue 1 ont fait preuve d’une grande créativité pour présenter leurs nouvelles recrues. Des renforts souvent attendus, réclamés par les supporters et suiveurs du club, tout heureux lors de l’officialisation des arrivées. Alors quitte à annoncer de bonnes nouvelles, autant mettre le paquet, une touche d’humour ou d’originalité, se disent certaines écuries de notre championnat.

"On voulait un truc un peu sympa, un peu frais, un peu été", explique à RMC Sport Alexandre Alain, chargé de communication à l’AJ Auxerre. "Tu n’es pas tenu par les résultats sportifs encore, donc tu peux faire les choses sur un ton un peu plus léger." Résultat, à l’AJA: les nouveaux arrivants sont annoncés via une fausse série Netflix. Le titre de la saison: "Irréductibles". Et chaque épisode correspond à la signature d’un joueur. Des vidéos de trente à quarante secondes, où un navigateur internet s’ouvre, avant d’arriver sur un portail type Netflix (c’est comme si on y était) et de lancer, à chaque fois, un nouvel épisode en lien avec l’arrivant. A la fin, des photos du joueur incrustées avec en fond la ville d’Auxerre et les caractéristiques de la recrue.

"On est un petit service communication (quatre personnes dont deux alternants), on échange nos idées, poursuit Alexandre Alain. Au début, on était partis sur des présentations un peu en mode téléréalité et finalement on s’est mis en générique d’une série Netflix duplicable. C’était ma condition. On voulait garder l’esprit série qui je trouve fonctionne bien, pour une question éditoriale et aussi une question pratique. Au moins, tu sais à chaque recrue ce que tu as à faire. Certaines années, on essayait de trouver une vidéo pour chaque joueur et ce n’est pas toujours simple de trouver une idée originale."

En plus, le slogan "Irréductibles" a aussi été utilisé pour la campagne d’abonnement et était également le titre d’une vidéo sur la remontée du club en 2023-2024. Mais avoir l’idée, c’est bien. La mettre en place, c’est autre chose. "On travaillait avec une agence de graphisme qui fait notre charte visuelle pour la saison, détaille Alexandre Alain. Ils ont un ‘motion designer’ qui a fait l’introduction des vidéos avec l’interface Netflix. On donne l’idée et on est tout le temps en contact avec eux. En résumé, c’est un peu nos techniciens. On échange avec eux sur le titre de l’épisode, ce qu’on met en petit texte de présentation, ce qu’on met en texte pour la présentation du joueur… On est en collaboration." L’agence en question réalise donc la première partie de la vidéo et le club la termine. "Ça ne nous coûte pas énormément comme c’est dans le package un peu global de notre charte graphique de la saison."

Le carton lensois avec les Simpsons

Lens a peut-être déboursé un peu plus, puisque chaque présentation fait sensation sur Internet. Cet été, le RCL a annoncé chaque nouveau joueur en revisitant le générique des Simpsons ! Des vidéos sous le thème "Les Lensois font leur mercato", d’une quarantaine de secondes, truffées de références que les supporters lensois - et pas que - guettent avec impatience. Le club, qui n’a pas souhaité communiquer avant la fin de la campagne, travaille avec la société "PixMeUp" en association avec La Boule Production, qui lui fournit chaque annonce. Ce concept original a été très relayé et fait suite à d’autres campagnes du club, comme des annonces à la sauce Netflix ou Asterix et Obelix. Un concept qui a bluffé même dans d’autres écuries françaises.

À Rennes aussi, on a scénarisé les arrivées comme des chapitres d’un même livre où "Habib Potter" est apparu comme personnage. Mais arriver à ce résultat n’est pas toujours facile: il faut "sous-traiter" la demande donc (même si certains clubs ont leur propre motion designer) et être en accord avec la société qui produit les contenus. Il est déjà arrivé que des clubs ne donnent pas suite aux entreprises qui créent les annonces, pas satisfaits du résultat.

De toute façon, il n’y a pas toujours besoin de faire du graphisme ou des fausses séries pour séduire. Les vidéos "authentiques" et originales marchent aussi. Cet été, par exemple, le LOSC a préféré miser sur l’identité.

Identité et chaleur

Celle de la ville, de la région, et des ses recrues. L’arrivée d’Olivier Giroud a été particulièrement remarquée. Assis dans un fauteuil en public et en tenue du LOSC sur la place du théâtre, le buteur avait eu droit à un bain de foule spontané, ce qui avait donné une vidéo très sympathique et originale. "L’idée était de faire une séance photo mais on n’avait pas encore annoncé sa venue, rejoue-t-on au club. Il n’y avait pas eu d’annonce aux médias et les gens sont venus naturellement à Giroud."

Ce qui donne un moment à part où des centaines de passants se sont massés derrière la légende des Bleus, de retour en France. "C’est prenant, c’est toute une organisation, sourit-on. Car l’ancien Gunner a aussi été l’acteur principal d’une vidéo tournée dans la citadelle de Lille - dont la forme vue d’en haut est la même que celle du logo du LOSC - où il hisse le drapeau français au milieu de membres de l’armée, toujours dans l’idée de faire le lien avec la ville et l’histoire du club.

Mais ce tournage a nécessité une certaine organisation puisque la citadelle garde une activité militaire et obtenir une autorisation pour filmer n’est pas chose aisée. Même tension quand il faut demander en vitesse des témoignages des anciens Turcs du Losc (Yilmaz, Yazici et Celik) pour l’arrivée du nouveau gardien Berke Özer. Cet été, le Havre et Strasbourg ont également misé sur l’aspect identité de la ville.

Dans un autre style, Toulouse se fait aussi remarquer puisque c’est un… stagiaire (pas un vrai, mais un membre du service communication qui joue le personnage) qui a annoncé les deux dernières arrivées. Un format humoristique ou le jeune employé du Téfécé est dans un jacuzzi avant de se faire tatouer le nom de Vinicius sur le torse, ou raconte ses tourments à un psy nommé… Santiago Hidalgo.

Des semaines de préparation

"Ce personnage du stagiaire, excentrique et naïf, un peu gauche mais bienveillant, drôle et persévérant, est né de notre campagne estivale du mercato 2024", pose Rémi Denjean, social media manager du TFC. A l’époque, le club surfe sur les JO pour ses annonces (Djibril Sidibé annoncé comme une "Alerte Médaille" de Griezmann) ou fait des liens humoristiques (Mc Donalds nouveau partenaire de la Ligue pour la signature de l’américain McKenzie), par exemple. Mais à l’époque, pour l’arrivée du Roumain Umit Akdag en fin de mercato, l’équipe communication patine.

"Alors nous avions écrit un premier scénario autour de ce personnage, une annonce drôle et décalée qui avait été bien accueillie par nos supporters. Cette saison, peu inspirés par les actualités du moment, j’ai proposé à l’équipe une suite aux aventures de ce personnage du stagiaire au moment de le contenu de l’annonce de l’arrivée de Santiago Hidalgo. Je trouvais sympa que les supporters les plus assidus reconnaissent le clin d’œil et identifient certaines références à sa première présence." Une réussite vu les réactions.

Et cela fait toujours plaisir aux services communication, qui y investissent une certaine énergie. "On a du commencer à y penser en avril-mai", se souvient l’Auxerrois Alexandre Alain. À Lille, qui compte douze personnes dans le service communication, "c’est un travail commun. Avec l'ensemble du service, le journaliste reporter d’image, on fait des réunions bien en amont". Le LOSC s’est aussi donné du mal pour le départ de Lucas Chevalier. Sur idée originale du "JRI" et d’un photographe, le gardien a écrit une lettre d’au revoir aux supporters en passant par ses premiers vestiaires, sa vraie chambre du centre de formation qu’il a fallu libérer, en rassemblant tous ses maillots en quelques heures.

À Toulouse, "une fois l’idée finalisée, s’ensuivent l’écriture d’un storyboard, l’organisation du tournage, le tournage, le montage et la diffusion. La création des contenus mercato est totalement internalisée, c’est du fait maison et pour une équipe restreinte comme la nôtre, cela demande beaucoup d’agilité. Tout est fait en 48h, quand nous avons la confirmation de l’arrivée d’un joueur, le sujet devient prioritaire et chamboule nos plannings", détaille Rémi Denjean, qui avait imaginé avec son équipe différents scenarios en amont. Car les services ne savent pas toujours à quelle personnalité ils auront à faire, de quel temps ils bénéficieront et quand.

Question d’image

Il faut parfois chercher des petites références cachées qui plaisent aux supporters, comme pour la présentation de Thauvin où est évoqué son départ express du LOSC, ou quand le Lillois Lucas Chevalier mime sa célébration "pistolet" réalisée à chaque but lillois. Auxerre a précisé lors de la présentation du Marocain Oussama El Azzouzi qu’il avait gagné "autant de médailles de bronze que Léon Marchand à Paris 2024." A la fin, tous avouent une certaine fierté de publier ce contenu recherché, tourné et monté parfois en vitesse.

Mais pourquoi se donner tout ce mal et utiliser du temps pour ces annonces ? C’est avant tout une question d’image, expliquent les clubs interrogés. "Le mercato est l’une des actualités phares chez les fans de foot et les supporters, pose Rémi Denjean. Il y a donc beaucoup d’attente sur les réseaux sociaux, sur la manière dont une arrivée va être communiquée par le club. Et quand on s’interroge sur qui nous suit, qui sont nos cibles et quelles sont leurs attentes en termes de contenus, cela devient très vite évident que ce sujet doit être en haut de la pile".

Au Tef, on veut garder le côté léger, chaleur, proximité en étant "original, surprenant et authentique. Et quand on observe les codes de la communauté sportive, on retrouve certaines habitudes de la vie d’un groupe, d’un vestiaire. Vivant, chambreur…". Et l’été, période où les gens sont plus détendus et ont faim de foot, est très propice à ce genre de contenus, pense Alexandre Alain, de l’AJA: "Je sais que les gens aiment bien que l’annonce soit sympa, déjà de base ils sont contents de l’arrivée d’un nouveau joueur et si la vidéo va avec c’est quand même cool. Ça montre que tu es moderne, que tu te creuses un peu les méninges, que le club est dynamique, propose des choses un peu différentes. Que tu ne fais pas juste deux photos et un communiqué."

"L’idée est aussi de montrer aux fans des autres équipe que ton club est moderne et renvoie une bonne image", ajoute un responsable d’une autre entité de Ligue 1. Chez les interrogés, il n’est jamais officiellement question de business, de faire grimper les réactions sur les réseaux sociaux pour en parler derrière à des sponsors ou entreprises. "On ne fait pas ça pour les vues ou les retweets, mais pour proposer de la qualité", lance un spécialiste d’un club.

"Quand la com est nulle, ils te le disent"

"On n’est pas trop dans le truc de partages, like et vues même si on regarde, avoue Alexandre Alain. Moi je regarde plus les commentaires qui étaient positifs cette année. Les réactions dépendent aussi de ta recrue, son prestige… Au contraire, quand la com est nulle, ils te le disent clairement."

Rémi Denjean, du Toulouse FC, développe: "Notre directeur marketing ne nous challenge pas au début de chaque mercato sur le nombre d’impressions à faire sur les contenus. C’est beaucoup plus naturel que ça. L’équipe social média a tout simplement à cœur de donner le meilleur d’elle-même pour proposer les meilleurs contenus possibles c’est-à-dire originaux, fun, innovants.... C’est l’essence même de nos métiers et cela correspond à l’identité du club dont nous sommes les premiers ambassadeurs sur ces canaux." Même si, dans un second temps, on peut jeter un œil aux chiffres. "Plus un contenu est original, plus il est engageant et partagé, deux critères qui vont accélérer sa visibilité et accroître sa viralité. Et bien sûr, les performances d’un média-club participent à son rayonnement au sein de l’ensemble de son écosystème, dont les partenaires, sponsors et prospects."

Et pendant ces réalisations, il y a parfois quelques révélations… "Nous avons aussi la chance de pouvoir compter sur l’un de nos collaborateurs qui présente, visiblement, de sérieux talents d’acteurs, sourit le Toulousain. Nous ne serions d’ailleurs pas surpris de voir l’industrie du cinéma venir le débaucher de ses missions actuelles dans le digital." Attention, peut-être une future alerte mercato…

Valentin Jamin