Chaos au Stade de France: avant son audition au Sénat, le maire de la métropole de Liverpool livre son récit

Monsieur le Maire, quel est votre état d’esprit avant votre audition par les sénateurs français ?
Ce qui va ressortir, je l’espère, après cette audition, c’est pour les sénateurs une meilleure compréhension des événements avant, pendant et après cette finale de la Ligue des champions à Paris. Je veux que mon témoignage soit entendu, mais ce n’est pas le plus important. Parce que je ne suis qu’un parmi des dizaines de milliers de supporters qui ont vécu une situation horrible cette soirée-là, qui devait être une grande fête avec deux grandes équipes de football. J’encourage tous les concernés à témoigner, pour tirer des leçons de ce qu’il s’est passé. C’est une bonne chose. Beaucoup de questions demeurent. Comprendre comment l’événement a pu dégénérer ainsi, c’est une chose. Mais le plus important dans tout cela, c’est que cela n’arrive plus. Car c’est uniquement grâce au comportement des supporters de Liverpool et à leur historique que personne n’a été sérieusement blessé et qu’il n’y a pas eu de morts. Ce n’est certainement pas grâce aux forces de l’ordre, au contraire. Elles ont plutôt été la source de certains problèmes.
Dans les jours suivants, vous avez parlé de « fake news » prononcées par les ministres français de l’Intérieur et des Sports. Une dizaine de jours après, pensez-vous que les autorités françaises ont pris la mesure de ce qui s’est vraiment passé ?
Je pense que Monsieur Darmanin et Mme Oudéa-Castera ont un petit peu fait machine arrière depuis leurs déclarations initiales. Mais je me demande pourquoi ils sont arrivés avec ces informations horribles et fausses. Ils ont déformé la réalité par rapport à ce que les gens ont vécu ce soir-là pour tenter de protéger l’organisation de ce match qui a été désastreuse.
Comment avez-vous accueilli les excuses du ministre Gérald Darmanin aux supporters victimes du fiasco de cette finale ?
Il s’agissait d’excuses creuses, qu’il a prononcé parce que les preuves de ses mensonges précédents étaient évidentes. Elles n’ont pas vraiment été reçues chaleureusement parmi mes administrés. Sa tentative d’imposer un récit mensonger a rappelé ici ce qui s’était passé après la catastrophe d’Hillsborough en 1989, où 97 personnes ont trouvé la mort. Les autorités anglaises n’avaient pas assumé leur responsabilité. Monsieur Darmanin a tenté d’utiliser la même méthode que les autorités anglaises de l’époque. Cela a pris des décennies pour que les supporters soient exonérés de la responsabilité de la catastrophe à Sheffield. C’est pour cela que les déclarations de Monsieur Darmanin ont eu un tel retentissement et ont été si douloureuses en Angleterre.
Votre téléphone, de l’argent et votre billet de match vous ont été volés dans la foule sur le parvis du Stade de France. Les autorités judiciaires françaises ont mis en place un formulaire de dépôt de plainte depuis lundi, allez-vous envoyer votre plainte ?
J’hésite encore à déposer plainte mais je le ferai probablement, oui. Il y avait des bandes de pickpockets bien organisées qui rodaient et qui ont profité du chaos. Ceux qui m’ont volé étaient de vrais professionnels. J’ai été forcé de grimper par-dessus une grille, et pour y arriver j'ai dû vider mes poches. C’est à ce moment-là qu’ils m’ont volé mes effets personnels. Concernant le formulaire de dépôt de plainte, c’est bien que les gens puissent déclarer ce qui leur est arrivé. Cela permettra surtout de montrer la masse de personnes touchées. Cela représente des centaines de personnes, probablement plus encore. Au-delà de la police et du manque de contrôle, je pense qu’il y avait aussi des bandes très bien organisées. Et la police ne semblait pas vouloir sévir contre elles, en tout cas de ce que j’ai pu voir. Si je dépose plainte, ce n’est pas pour un quelconque dédommagement. Mais certains récits que j’ai entendus sont vraiment effrayants. Il faut que cela serve à éviter aux spectateurs des prochains événements qui auront lieu en France de vivre la même chose.
Le club de Liverpool a reçu 9000 témoignages de supporters, beaucoup d’entre eux ne prendront pas le temps de remplir un dépôt de plainte. Le formulaire des autorités françaises est-il adapté à la situation ? Il n’y a même pas de case « au stade » pour indiquer où a eu lieu le délit en question…
Je pense que les autorités veulent véritablement déterminer les endroits où les faits se sont produits. Moi je pourrais vous dire précisément où j’ai été volé, mais je ne connais pas le nom de la rue par exemple parce que j’étais très conscient que l’endroit où nous avons été obligés de grimper sur les barrières était dangereux. Les autorités françaises feront de leur mieux je l’espère, pour réunir ces preuves et comprendre ce qui est arrivé.
Beaucoup de supporters se demandent aussi ce que les autorités françaises feront de ces plaintes ?
Il y a beaucoup de parallèles entre ce qui est arrivé à Hillsborough en 1989. La police avait interrogé des supporters de Liverpool, et cette banque de preuves n’avait pas été utilisée positivement. Il y avait en fait eu des utilisations contre les supporters, donc ce sont probablement des peurs liées au passé en Angleterre.
Parmi les supporters présents au Stade de France ce soir-là, certains n’imaginent pas revenir en France pour une des grandes compétitions à venir comme la Coupe du Monde de rugby 2023 ou les Jeux olympiques 2024. Allez-vous tenter de les rassurer ?
Parmi les personnes qui ont été traumatisées, beaucoup ne retourneront pas voir de grand match de football avant longtemps, que ce soit en France ou ailleurs. Le vrai danger, c’est le message qui a été envoyé par la réaction immédiate de Monsieur Darmanin pointant les responsabilités sur les mauvaises personnes. Cela pourrait dissuader des spectateurs potentiels de prochains grands événements. C’est pourquoi il faut une enquête indépendante, et que les conclusions en soient tirées avant le prochain grand événement. Je pense que nous sommes passés très près d’un drame, de morts, et la prochaine fois ce ne serait peut-être pas le cas.
Qu’espérez-vous de l’enquête côté UEFA ? Vos échanges avec le président de l’institution Aleksander Čeferin le soir de la finale au Stade de France n’avait pas été un bon signal…
Mon échange avec le président Čeferin a été très décevant parce qu’au lieu d’écouter les préoccupations que j’exprimai sur les scènes dont j’ai été témoin à l’extérieur du stade, il s’est défendu en insistant sur le fait que l’UEFA a fait tout ce qu’elle pouvait faire pour maintenir le match dans un laps de temps court et qu’elle s’était tiré une balle dans le pied en déplaçant cette finale. Je lui ai répondu : « Du moment que vous ne tuez pas de supporters à l’extérieur ». Le but n’était pas d’accuser qui que ce soit, mais d’alerter les autorités sur quelque chose qui aurait pu être une catastrophe. Malheureusement, Monsieur Čeferin était trop concentré à cacher les responsabilités de l’UEFA pour entendre mes préoccupations.