PSG-Inter: la France du foot doit-elle supporter Paris en finale de Ligue des champions?

L’un l’a dit clairement, l’autre a pris plus de pincettes, mais le message est le même. Passés au micro de RMC ces derniers jours, Laurent Tapie, fils de l’ancien président de l’OM Bernard Tapie, et Medhi Benatia, directeur du football du club phocéen, ont bien fait comprendre qu’ils ne seront pas derrière le PSG le 31 mai prochain, lors de la finale de Ligue des champions contre l’Inter Milan.
Une évidence pour beaucoup du côté de Marseille, où la préfecture des Bouches-du-Rhône a identifié (très sérieusement) "un risque de célébration sur la voie publique en fonction du résultat de cette finale", une hérésie pour certains observateurs, ou amateurs plus "modérés" de football, qui invitent eux au patriotisme footballistique.
Disons-le d’emblée: le débat n’est pas nouveau. PSG 2020, OM 2018… À chaque fois qu’un club français s’apprête à disputer une finale de Coupe d’Europe, les sondages fleurissent et chacun se voit demander s’il encouragera, le jour J, le club de son pays. Même Didier Deschamps y a eu droit en conférence de presse ce mercredi – ce qui l’a particulièrement agacé.
"Vous n’êtes pas sérieux de me poser une question comme ça", a-t-il grincé.
"Cette question, il faut la poser sur le Vieux-Port, moi je suis sélectionneur." Une fonction presque politique, qui ne laisse, il est vrai, pas trop le choix à l’ancien capitaine des Bleus. Mais pour les autres? Ces dizaines de millions de Français non-sélectionneurs? Doivent-ils aussi supporter le PSG dans l’intérêt de la nation?
Une histoire très française
"Ce genre de question fait partie du décorum qui précède un grand événement sportif, à la préparation du spectacle", sourit Williams Nuytens, sociologue du sport à l’université d’Artois. "Mais c’est une question généraliste à propos d’une pratique sociale complexe. Si vous posez la question à un supporter de club différent du PSG par exemple, vous prenez en compte sa construction sociale, sa partisanerie, son engagement militant qui remonte à dix, vingt ou quarante ans, et vous l’interrogez sur un évènement très ponctuel. C’est comme si vous faisiez s’affronter deux choses antinomiques."
"On ne prend pas la place du club qu’on aime comme ça, d’un seul coup, parce que le PSG joue la finale de la Ligue des champions", résume Williams Nuytens. "La place est déjà prise."
Pour Ludovic Lestrelin, sociologue, maître de conférences à l’université de Caen et auteur de plusieurs travaux sur le supportérisme, une injonction à encourager le PSG le 31 mai est également une aberration. Et une histoire très française. "Il y a peut-être une sorte de complexe français né de la difficulté à exister sur la scène européenne", observe-t-il. "Et de fait il faudrait que tout le pays soit derrière le seul club représentant la France. (…) Mais si l’on élargit le cadre, on voit qu’en Italie, en Angleterre, en Espagne ou en Allemagne, les logiques de soutien aux clubs sont au-dessus d’une logique de soutien à une équipe de même nation, juste parce qu’elle représenterait le pays. Dès lors que le club que l’on soutient est pris dans des rivalités nationales, c’est cette logique qui supplante très largement le fait qu’une équipe du même pays doive aller loin en compétition européenne. Il suffirait d’aller interpeller des supporters de l’AC Milan, ils ne seront pas derrière l’Inter lors de la finale, c’est sûr et certain. Et si vous alliez au nord de Londres lors de la demi-finale, je peux vous dire que les supporters de Tottenham n’encourageaient pas non plus Arsenal."
Williams Nuytens abonde: "Ça arrive si peu fréquemment qu’un club français arrive à ce stade de la compétition que ce débat existe ici. Dans une nation où les clubs atteignent régulièrement le dernier carré ou la finale, on ne se pose pas cette question. (…) La presse britannique ne va pas demander l’union sacrée derrière Chelsea (en finale de Ligue Conférence). D’une part parce que c’est assez commun (d’avoir un club anglais finaliste), et d’autre part parce qu’on a intégré outre-Manche le fait que le supportérisme est une culture très ancrée territorialement et socialement."
Un impact économique positif pour les autres clubs? Possible, mais...
Les deux sociologues, dans leurs explications, invitent toutefois à bien faire la distinction entre le "vrai" supporter d’un club autre que le PSG, aux pratiques ancrées, et le consommateur plus occasionnel de football, à la partisanerie moins marquée. Un amateur de ballon plus neutre, qui lui se montrerait plus sensible à d’autres arguments.
Car si l’on met de côté toute passion, toute rivalité, il pourrait y avoir un intérêt pour le foot français à soutenir le PSG. On pense par exemple au fameux indice UEFA, et son incidence sur les si convoitées places qualificatives pour la Ligue des champions, mais aussi à l’économie du foot hexagonal dans son ensemble.
"Il y a un intérêt à plusieurs niveaux", indique ainsi Vincent Chaudel, fondateur de l'Observatoire du sport business.
"Plus le club va récupérer de l’argent de l’UEFA avec ses performances, mieux ce sera." Pour le PSG en premier lieu, mais pas que. Vincent Chaudel donne ainsi un exemple concret: "J’ai lu que Maghnes Akliouche aimerait rejoindre le PSG, mais qu’il y a aujourd’hui un écart entre ce que Paris souhaite donner, et ce que Monaco demande. Or, plus le PSG pourra récupérer d’argent via la Ligue des champions, plus il pourra le redistribuer dans les transferts. Parce que le PSG n’est pas embêté par l’argent certes, mais il y a le fair-play financier à respecter. Si on veut qu’il continue à investir dans des joueurs français, peu importe les noms, ça suppose que le PSG ait cette marge de manœuvre."
Et ce n’est pas tout. "Le 31 mai, on ne sera pas encore sortis de la crise des droits TV", poursuit Vincent Chaudel. "Démontrer qu’il y a un intérêt pour le football français avec de belles audiences, c’est important. Arsenal-PSG a fait 2,7 millions de téléspectateurs en France sur Canal+. La veille, Barça-Inter a fait 5,4 millions en Italie. Deux fois plus."

Ce spécialiste de l’économie du sport en France l’admet toutefois: la théorie du ruissellement, selon laquelle l’argent du PSG profiterait à tous les autres clubs professionnels en France, a pris du plomb dans l’aile depuis 2011. "Un PSG fort, en théorie, peut servir l’intérêt du championnat, mais le problème de la Ligue 1 c’est qu’on n’a jamais eu deux ou trois locomotives en même temps. Pour qu’il y ait ruissellement, il faut qu’il y ait une compétition. (…) L’autre point, c’est que la Ligue a fait des erreurs."
Une en particulier: "Elle n'a pas su profiter au niveau des droits TV internationaux de la présence des stars comme Messi, Neymar, Mbappé ou Sergio Ramos", précise Vincent Chaudel. "La LFP a signé un contrat de dix ans avec beIN Sports international avant l’arrivée de ces joueurs, et ne l’a jamais renégocié. À ce moment, le championnat de France valait plus au niveau international. Et maintenant qu’on veut accélérer sur ce point-là, on n’a plus de star. On n’a pas su créer les conditions pour un ruissellement."
Et si tel avait été le cas, pas sûr, selon Ludovic Lestrelin, que cela jouerait sur l’engouement autour du PSG chez les fans d’autres équipes. "D’accord, il y a une situation économique catastrophique pour le football français, il faudrait peut-être montrer une forme de solidarité… Mais c’est très conjoncturel, et ce n’est pas entendable pour un supporter d’un autre club", estime-t-il. "Ça leur passe complètement au-dessus de la tête. Ils ne sont pas les comptables des errements de gouvernance du football français."
L'union sacrée derrière Saint-Étienne dans les années 70
Malgré le vœu pieux d'Ousmane Dembélé lors du media day des Parisiens, à une dizaine de jours de la finale, impossible donc d’imaginer tout un peuple derrière le PSG. Ou plus possible?
"Dans les années 70 avec Saint-Étienne, on pouvait parler d’une sorte de phénomène national, on avait vraiment tout un pays derrière les Verts", rappelle Ludovic Lestrelin.
"Mais c’était une époque très différente, avec une exposition télévisuelle nettement moindre, et des rivalités entre clubs qui existaient certes, mais qui étaient beaucoup moins dures qu’elles ne le sont depuis une vingtaine d’années. Pour les gens qui ont suivi le foot dans les années 70, même s’ils n’étaient pas supporters de l’ASSE, les Verts en finale, c’était quelque chose."
Sauf que Saint-Étienne n’est pas Paris. Et l’on ne parle plus ici seulement de football. "Un autre élément très caractéristique de notre pays, c’est ce rapport capitale/province très structurant et très profond", développe Ludovic Lestrelin. "C’est pourquoi un club comme l’OM a pu incarner la province ou la périphérie contre le centre, la deuxième ville contre la ville la plus riche qui cumule les pouvoirs politique, économique, médiatique… Le PSG est forcément touché par ce rapport Paris/province. Ce n’est pas du tout pareil en Italie ou en Allemagne, qui sont des pays beaucoup moins centralisés et comptent plusieurs puissances urbaines."
Une équipe qui séduit de plus en plus
De l’avis de tous, le vent pourrait toutefois être en train de tourner en faveur du PSG. Notamment grâce au travail de Luis Enrique. Paris, qui a pu être assimilée ces dernières années – par ses détracteurs – à une équipe de divas individualistes, s’appuie aujourd’hui sur un collectif jeune, séduisant, sans leader caractériel. Et Paris, depuis le début de l’année 2025 notamment, joue particulièrement bien.
"J’ai tendance à penser que ce PSG n’est pas le même qu’il y a deux ou trois ans", glisse Vincent Chaudel.
"On entend de plus en plus de supporters d’autres clubs reconnaître que c’est une équipe agréable à voir, qui n'a par ailleurs plus de grande tête de gondole. Dembélé n’est pas un joueur clivant, par exemple. Il y a beaucoup de jeunes qui donnent du plaisir, pas d’affaire extrasportive cette saison autour de l’équipe, pas de bad buzz… Si on divise les supporters en trois groupes, supporters du PSG, amoureux du football, et anti-PSG, je pense que cette équipe va facilement rassembler les deux premiers groupes."
"Ce sentiment est en effet palpable parmi les amateurs de football", convient Ludovic Lestrelin. "Il y a cette idée que le Paris Saint-Germain joue très bien, tout simplement. Le PSG a aussi une popularité grandissante auprès des plus jeunes. Aujourd’hui un petit garçon de 10-12 ans qui aime le foot, un Barcola, un Dembélé, un Doué, ça le fait rêver. Il y a une pénétration plus diffuse du PSG dans le pays qu’il y a encore dix ou quinze ans. Et la stratégie marketing du club pour accueillir un public assez diversifié, qui vient au Parc des Princes pour passer un bon moment, a porté ses fruits. Le PSG a su séduire une partie des gens qui suivent le football de manière très lointaine." Et le sociologue de conclure par un rappel: "Mais ça ne changera rien pour les autres. Le gars qui est supporter du Racing Club de Strasbourg depuis 25 ans, au mieux, cette finale ça sera pour lui de l’indifférence."