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JO 2021: pourquoi la France est-elle si forte au judo?

Avec déjà quatre médailles sur les quatre premiers jours de compétition aux JO 2021 de Tokyo, le judo français se porte bien. Cette bonne santé, entretenue depuis plusieurs décennies, s'explique par un gros travail de la Fédération sur la détection des jeunes mais aussi par la popularité de la discipline, conséquence des résultats des champions nourrie par l'inconscient collectif qui pousse les parents à inscrire leurs enfants dans les clubs.

Clarisse Agbégnénou, Amandine Buchard, Sarah-Léonie Cysique, Luka Mkheidze etMadeleine Malonga ce jeudi, Teddy Riner vendredi. Émilie Andéol, Audrey Tcheuméo, Lucie Décosse, Antomne Pavia, Gévrise Émane, Priscilla Gneto, Cyrille Maret et Ugo Legrand dans les années 2010. Et encore avant: David Douillet, Djamel Bouras, Séverine Vandenhende ou encore Marie-Claire Restoux pour ne citer que les médaillés d'or de l'époque... Ne serait-ce que par ses résultats aux Jeux olympiques et dans les Mondiaux, la France peut assurément se targuer d'être une grande nation de judo. Il y a même une domination historique totale sur le plan continental, avec 195 victoires finales et 561 distinctions dans les championnats d'Europe.

La grandeur française dans cette discipline, chacun peut en avoir un aperçu sans pour autant suivre les compétitions. "Il n'y a pas une ville où il n'y a pas un dojo", fait remarquer Stéphane Traineau, champion du monde 1991 et sextuple champion de France, dans un entretien accordé à RMC Sport.

Des "visionnaires" partis au Japon

Pour que le judo soit aussi développé, il a fallu qu'il vienne à la France, mais que la France aille aussi vers lui. Après la Première Guerre mondiale, le Japon a fait la promotion de son pays en exportant ce dérivé du ju-jitsu, ces techniques de combat des samouraïs. En 1961, Anton Geesink est sacré champion du monde. Ce Néerlandais est le premier non-Japonais à être sacré. La clé de son succès: il s'est entraîné au Japon. Alors des "visionnaires" français, comme le dit Stéphane Traineau, ont suivi le même chemin pour s'imprégner du savoir-faire.

"D'autres formes de judo sont nées sur tous les continents, avec chacun leur style. On a su de la même manière aller chercher les évolutions et les meilleurs éléments qui sont devenus des cadres, c'est-à-dire des entraîneurs nationaux étrangers, ou qui sont venus faire des stages et des échanges", explique de son côté David Douillet à RMC Sport. "Les professeurs de judo étaient de vrais experts", se souvient son ancien coéquipier tricolore.

Le judo a convaincu les parents

La discipline aurait pu rester une niche. Si les excellents résultats des champions ont un effet évident, la culture entourant la pratique sportive a un rôle non négligeable.

"Le judo est devenu un grand sport, à travers les mamans, assure David Douillet. Plus que dans d'autre disciplines, les mères sont sûres que leurs enfants vont apprendre des notions basiques de vie en société: le respect, la considération de l'autre, le fait de respecter l'enseignant et les lieux. Je l'ai vu, quand j'enseignais le judo. J'avais des parents qui inscrivaient leur gamin au judo en me disant: «Je n'en peux plus, il n'écoute rien. Le judo va le calmer, au moins». Jigoro Kano a créé un sport, certes, mais il a surtout créé un système d'éducation à travers une discipline physique. C'est assez étonnant".

Ces valeurs d'éducation morale ne sont pas exclusives au judo. Elles se retrouvent aussi dans d'autres arts martiaux. La boxe peut aussi s'inviter à la table. "Mais une mère, quand elle inscrit le petit, elle a un peu peur des coups de pied et des coups de poing. Au judo, non. On lutte, on prend le kimono, on se roule par terre, tout va bien". Résultat: la fédération dépassait le demi-million de licenciés avant la crise sanitaire. Avec un tel réservoir à écrémer, des pépites attendent forcément leur heure.

"Il faut faire rêver"

"Il m'a très vite paru important de renforcer la détection plus tôt", raconte Stéphane Traineau, directeur des équipes de France dans les années 2000. Avec des compétitions officielles pour les moins de 13 ans, tout est fait pour que les plus jeunes puissent se montrer. Le repérage effectué, la fédération française peut s'appuyer sur l'INSEP (l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance situé près de Paris). C'est le "coeur du réacteur" du judo pour faire la bascule entre la pratique de loisir et celle du plus haut niveau. Teddy Riner, même si son avenir semblait tout tracé, y est quand même entré en 2004. "Il faut dès 15-16 ans les acculturer le plus vite possible, pour qu'ils aiment l'entraînement et le combat", ajoute Stéphane Traineau. Avec un détail fondamental: mélanger les catégories d'âge dans la mesure du possible. "Il faut faire rêver un peu et ne pas freiner les talents. Je m'entraînais avec de grands champions. Le jour où vous leur tenez la dragée haute, vous êtes sur le bon chemin", rajoute le double médaillé de bronze olympique (1996, 2000).

Pour ce qui est du passage au niveau supérieur, les futurs champions peuvent compter sur cette culture de la transmission qui produit des grands entraîneurs de qualité. David Douillet est catégorique: "Ils ont tous été des compétiteurs qui ont fait des championnats d'Europe, des championnats du monde, des Jeux. Ils savent de quoi ils parlent. Ce n'est pas forcément des médaillés, ni de grands champions. Mais ils ont été tous confrontés au très haut niveau. La technique, tout le monde peut la transmettre plus ou moins. Dans le handball, les équipes ne sont jamais à 100% jeunes. Il y a toujours des anciens qui font le tuilage. C'est le même principe".

La France peut-elle donc espérer encore d'autres années fastes? Stéphane Traineau met en garde, compte tenu du niveau international en progression: "Il n'y a plus de petits pays. Il faut rester extrêmement vigilants. Le matelas s'est réduit". À l'heure actuelle, le judo masculin français est d'ailleurs un peu en retrait derrière Teddy Riner. "Il y a des phénomènes générationnels qui font qu'il y a des hauts et des bas, rappelle David Douillet. Mais il y a toujours une bonne moyenne".

https://twitter.com/julien_absalon Julien Absalon Journaliste RMC Sport