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JO 2022: pourquoi la France n’y arrive pas en curling

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La forte médiatisation du curling pendant les Jeux olympiques de Pékin pousse à s’interroger sur les raisons de l’absence d’une équipe de France. Entre manque de licenciés et difficultés pour développer cette discipline dans le pays, les curleurs tricolores n’arrivent pas encore à franchir le palier qui les sépare des JO.

Les finales masculines et féminines de curling se dérouleront samedi et dimanche lors du dernier week-end des Jeux olympiques de Pékin en Chine. Malheureusement pour la délégation tricolore, aucun espoir de médaille dans cette discipline où la France peine à s’affirmer. Dans toute l’histoire des JO d’hiver, les Bleus sont parvenus à monter une seule fois sur le podium pour décrocher le bronze à Chamonix en 1924… il y a 98 ans.

Pire, la France n’arrive plus à se qualifier et pour trouver trace d’une équipe française aux JO, il faut remonter à Vancouver en 2010 avec la septième place (sur dix) de Thomas Dufour, Tony Angiboust, Jan Henri Ducroz, Richard Ducroz et Raphaël Mathieu au Canada.

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Un "trou d’air" générationnel

A l’heure où le curling a bénéficié d’une belle exposition médiatique grâce à une diffusion des rencontres olympiques pendant la journée en France, cela peut faire naître quelques regrets sur l’absence d’équipe tricolore à Pékin. Les représentantants bleus au meilleur niveau sont encore assez jeunes et visent plutôt une participation aux JO en 2030.

"Tout est un peu tout lié (pour expliquer l’absence française). Disons que l’on a eu une ou deux équipes compétitives dans les années 2000 et 2010 mais la Commission nationale sportive de curling (CNS) n’a pas tellement appuyé sur le développement. Quand cette équipe-là, qui était soutenue par la Fédération, a arrêté on s’est pris un trou d’air derrière, analyse Thierry Mercier, l’entraîneur de l’équipe de France de curling auprès de RMC Sport. Après il faut remonter alors que les autres nations, elles, ont toujours continué à développer et à développer. Ce qui fait que quand une de leur équipe arrêtait, il y avait toujours une équipe en place pour prendre le relais. Et puis nous, bah, on est arrivé avec l’équipe actuelle et il n’y avait pas de relais. En gros on est passé des Jeux olympiques à Vancouver au groupe C européen. Pour remonter les échelles et au classement mondial c’est compliqué. Il y a de nouveaux pays qui sont arrivés et puis ensuite c’est compliqué. C’est très très dur."

L'équipe de France de curling lors des Mondiaux 2010
L'équipe de France de curling lors des Mondiaux 2010 © Icon Sport

Des clubs mais pas assez d’infrastructures dédiées

Assez bien fournie en matière de clubs, localisés sur presque tout le territoire national, la France peine pourtant à se laisser prendre au jeu du curling. La faute notamment à un manque d’infrastructures dédiées pour s’entraîner dans de bonnes conditions.

"En France il y a une vingtaine de clubs en région parisienne, en Normandie, dans l’Est ou dans le Sud avec Marseille et Nice ou encore Valence, Lyon, les Alpes et Besançon. Le curling c’est assez national, enfin assez étendu pour la répartition. Cela joue un petit peu partout, estimé encore le technicien tricolore qui est également consultant pendant les JO de Pékin."

Mais avec seulement trois halles dédiées au curling en France (Megève, Saint-Gervais et Pralognan-la-Vanoise), la majorité des clubs s’entraînent sur des patinoires classiques et également utilisées pour le patinage ou le hockey sur glace.

"Il y a beaucoup de clubs qui jouent dans les créneaux horaires des patinoires donc une fois que les hockeyeurs et le patinage sont passés, précise Thierry Mercier. Il ne reste plus grand-chose au niveau des créneaux horaires. C’est aussi pour cela que ces clubs ont du mal à recruter des juniors par exemple."

Un déficit de licenciés

L’entraîneur de l’équipe de France le souligne, la France ne parvient à convaincre les gens de se mettre au curling. Malgré l’un des plus grands domaines skiables au monde et une vraie tradition dans les sports d’hiver, la France n’arrive pas à passer un cap pour le curling avec moins de 500 licenciés. Afin de séduire le plus de personnes et faire adhérer les néo-pratiquants, la Fédération organise même des stages tous les mois avec le groupe tricolore.

"On est 400 licenciés en France, il faut essayer de passer à 800, à 1000 ou à 1500 joueurs. A mon avis cela passe par là si on veut un jour parler de Jeux olympiques, prévient Thierry Mercier. Ce n’est pas en restant à 400 et en ayant deux équipes soit huit joueurs qui veulent faire de la compétition. Cela me parait peu."

Un bon soutien de la Fédé…

Malgré une réelle envie de bien faire pour développer le curling en France, le staff tricolore a besoin du soutien de ses instances. Rattachée à la Fédération des sports de glace, qui gère notamment le patinage artistique et a connu d’importants bouleversements avec l’arrivée de Nathalie Péchalat à sa présidence en 2021.

"On a un bon soutien de la part de la Fédération des sports de glace. On a un bon dialogue avec la Fédération qui nous soutient dans tout ce qui est développement, indique encore le technicien tricolore. De ce côté-là il n’y a pas de souci."

"Je pense qu’au niveau de la Fédé c’est pas mal. Et pour le ministère c’est compréhensible car ils ont pris un axe à médaille. Nous le haut niveau au curling on en fait parce que l’on a quatre jeunes qui ont envie d’aller aux Jeux olympiques donc on va les aider à essayer d’y aller. Mais pour moi le boulot de la Fédé c’est surtout de développer le curling."

… mais un peu moins de la part du ministère des Sports

L’implication de la FFSG constitue une grande aide pour les curleurs français mais c’est un peu plus compliqué du côté du ministère des Sports. Conscient de la réalité de son sport, Thierry Mercier comprend cela mais regrette quand même de ne pas avoir ce coup de pouce des autorités tant que le curling ne constituera pas une vraie chance de médaille aux Jeux olympiques.

"Après, au ministère, ils sont là pour aider les sports de compétition et puis ils ont surtout accès aux sports où l’on peut avoir de médailles. Pour nous c’est un petit peu plus compliqué, concède l’entraîneur des Bleus. Et puis après c’est toujours la grande question. On nous demande si on peut faire une médaille olympique et on répond non donc le ministère ne nous aide pas. Mais s’il ne nous aide pas, on ne pourra jamais faire de médaille. C’est la politique actuelle du ministère. Oui on peut se battre… mais c’est à nous de trouver d’autres solutions pour faire parler de nous en mieux. C’est pour cela qu’on essaye d’instaurer des stages. L’air de rien l’équipe de France actuelle, même si elle est dans le groupe B européen, s’entraîne entre neuf et quinze heures par semaine. Cette équipe, elle fait une dizaine de tournois par an et cela prend quand même beaucoup de temps."

Investir, d’abord à perte, pour préparer les victoires de demain ou attendre les premiers bons résultats pour se lancer à fond dans le curling. Voilà la problématique actuelle d’un sport où la France peine à exister. On reste encore trop loin du Canada ou de l’Ecosse, où le curling fait partie des sports nationaux. En attendant peut-être un jour de s’en rapprocher, les Jeux olympiques restent le rêve d’une poignée de passionnés.

Jean-Guy Lebreton Journaliste RMC Sport