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Guerre en Ukraine: la détresse du nageur ukrainien Danylo Matokhniuk, qui a encore de la famille sur place

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Le nageur ukrainien Danylo Matokhniuk a encore sa famille au pays, plongé dans l’horreur de la guerre depuis le déclenchement d’une invasion par la Russie. Sans nouvelles de plusieurs de ses amis, il raconte à RMC Sport comment il essaie de surmonter ce déchirement, en essayant d’aider comme il le peut depuis, à distance et en nageant.

Danylo Matokhniuk (22 ans) est le seul nageur ukrainien engagé, présent aux championnats de France de natation, à Limoges. Installé en France depuis 2016, il suit actuellement des études à l’université de Bourgogne, en deuxième année de langues étrangères appliquées (LEA). Le sprinteur licencié au club de Dijon, finaliste en décembre dernier sur les championnats de France hivernaux, à Montpellier, est passé à côté de sa série du 50m papillon (36e en 25"06). Difficile à digérer pour celui qui espérait tant se qualifier pour les championnats du monde ou d’Europe, afin d’y représenter l’Ukraine. S’il ne se cherche pas d’excuse, la situation dans son pays y est certainement pour quelque chose.

Racontez-nous votre parcours, pourquoi êtes-vous venu en France?

Je suis arrivé en France en 2016 avec mes parents et mes deux petites sœurs. Mes parents ont fait le choix de quitter l’Ukraine pour venir en France. C’était des raisons assez personnelles, mais ç’a un lien avec ce qu’il se passe dans le Donbass depuis 2014. Je les en remercie encore plus qu’avant étant donnée la situation actuelle.

Comment vivez-vous ce qu’il se passe là-bas?

Quand j’ai appris qu’il y avait la guerre, j’étais en stage de natation au Portugal. Je me suis réveillé avec cette nouvelle et j’étais en pleurs, toute la matinée. Pendant deux semaines, je n’arrivais pas à m’endormir sans pleurer après avoir regardé les infos. Maintenant je gère ça un peu mieux. Je suis triste, c’est la réalité, mais j’essaie de rester fort, et d’aider les Ukrainiens comme je peux en étant ici.

Est-ce pour vous une façon d’aider, de nager ici avec la bannière ukrainienne?

Oui. Malheureusement je n’ai pas montré les résultats que j’espérais sur le 50m papillon. J’étais très loin de ce que je voulais faire, mais ce n’est pas fini, j’essaye de faire ce que je peux. Je ne veux pas me trouver des excuses, mais ça a forcément un impact, c’est ce que me disent beaucoup de gens. Ce n’est pas juste pour ça mais je pense que ça en fait partie.

Comment se porte votre famille sur place?

J’ai mes grands-parents encore sur place, mon cousin, pas mal d’amis et de la famille éloignée. Je prends des nouvelles tous les jours de mes grands-parents et de mon cousin. Ils sont dans une ville où c’est relativement calme, à Vinnytsia. C’est à 200 km de Kiev. Mes grands-parents sont assez âgés donc ils sont restés chez eux. Mais mon cousin est volontaire donc il essaye de faire ce qu’il peut. Il y a des amis dont je n’ai plus de nouvelles, les autres vont bien. Après, les Ukrainiens sont motivés pour gagner cette guerre. J’ai parfois l’impression qu’ils ont moins peur que moi ici.

Comment te sens-tu ici, à titre personnel?

Je me sens impuissant. Je ne peux rien faire. Je ne peux pas prendre les armes et défendre mon pays. J’essaye de représenter mon pays en natation. Et je suis plus fier que jamais d’être Ukrainien et de représenter le pays en nageant en France. J’ai pas mal de personnes qui m’ont encouragé depuis que ça a commencé à nager. Mon cousin m’envoie des messages tous les jours. Ce matin il m’a envoyé un message d’encouragement avant ma course. Je suis d’autant plus déçu de ne pas avoir réussi à faire ce que je voulais. Je voulais me qualifier pour les championnats du monde et les championnats d’Europe. Il fallait que je nage 23”63 sur 50m papillon. J’’en suis très loin, alors que mon meilleur chrono sur la distance était à 4 dixièmes. Mais je ne lâche pas et je vais essayer pour les futures compétitions.

Quels sont tes souvenirs de ton pays?

J’y suis allé en décembre dernier pour les championnats d’Ukraine. C’est un pays où j’ai beaucoup d’amis et ma famille. C’est mon pays de naissance, j’y ai vécu 16 ans, la plus grosse partie de ma vie. Même si un jour je vais peut-être devenir Français, l’Ukraine restera toujours mon pays. »

Reconnaissez-vous les endroits détruits sur les images?

A Kiev, il y a une entrée de métro que je prenais pour aller à la gare. Elle n’existe plus. Elle s'est effondrée. La place de la liberté à Kharkiv aussi, où l’on passait pour aller de notre hôtel à la piscine. Maintenant tu vois que c’est détruit. Tu vois des humains par terre, des images terrifiantes que l’on ne voit pas d’ailleurs pas assez à la télévision en France. Tu ne les vois que sur les stories de Zelinski ou les chaînes Telegram. Tu ne les vois pas à la télé.

On a vu ces images à Butcha…

Oui c’est vraiment des images, j’ai l’impression que si on les met en noir et blanc, on a l’impression d’être pendant la seconde guerre mondiale…

Cela occupe certainement beaucoup votre esprit...

Oui, ça occupe pas mal mes pensées… Je réfléchis pas mal à ce qu’il se passe.Forcément j’ai beaucoup d’amis qui publient des images sur instagram, qui m’envoient des messages, je vois ce qu’il se passe… C’est dur pour mes parents aussi, ils font ce qu’ils peuvent. Ma mère a fait des tableaux et on a réussi à récolter une belle somme d’argent dans une vente de charité pour pouvoir envoyer du matériel là-bas, comme des gilets pare-balles, des trousses de secours. On fait ce qu’on peut en étant ici.

Les soutiens affichés en France font-ils du bien ou sont-ils insuffisants?

Ça fait plaisir de voir les gens manifester contre la guerre, de voir cette solidarité. Mais honnêtement ça ne changera rien. Tant que les pays ne réagiront pas pour protéger l’Ukraine. Les gens ne peuvent pas se rendre compte de ce que ressent le peuple Ukrainien. Moi en étant ici je ressens plus que les Français, mais je ne ressens pas les choses comme les gens qui vivent là-bas. Quand tu vois des gens écrasés sous les tanks… Imaginez que cela arrive un jour à Paris, ou quelque part en France… C’est dur à imaginer, alors que c’est la réalité pour mon pays.

Il y a des nageurs russes présents, et qui nagent ici, à Limoges. Que ressentez-vous?

Je ne les connais pas personnellement. Je les connais vite fait mais je ne leur ai jamais vraiment parlé. Je n’ai rien contre ces personnes-là. Je pense que quand tu choisis de quitter ton pays pour vivre en France, il y a forcément des raisons et au fond de moi j’espère qu’elle ne supportent pas cette guerre. Mais je ne veux pas rentrer en contact avec elles et leur demander ce qu’elles pensent de ça.

Cela vous choque-t-il de les voir nager ici?

C’est une question très compliquée et je ne peux pas y répondre. Forcément, quand tu vois les sondages en Russie où 75% des russes sont pour cette guerre… On ne sait pas réellement ce qu’il se passe là-bas, avec la propagande. C’est compliqué de comprendre vraiment la situation. Forcément, ça ne me fait pas plaisir de voir des gens de ce pays, parce que je ne peux pas m’empêcher de me dire que son frère est en train de bombarder ma famille… Mais j’essaie de ne pas entrer en contact, je ne cherche pas de conflit, je reste zen de ce côté-là.

Julien Richard