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Coupe du monde: Beauden, Scott et Jordie Barrett, les incroyables frangins All Blacks

Pour la toute première fois, la Nouvelle-Zélande alignera ce mercredi face au Canada (12h15) trois frères lors d'un match de Coupe du monde: les frangins Barrett. Stars au pays, élevés dans une ferme laitière par un père ancien joueur, Beauden, Scott et Jordie pourraient bien devenir la fratrie la plus marquante de l'histoire des All Blacks. A condition, bien sûr, de triompher sur le sol japonais.

En Nouvelle-Zélande, tous les articles ou presque relatant la genèse des frères Barrett commencent par la même anecdote. A la fin des années 1990, lorsque Kevin 'Smiley' Barrett, puissant troisième ligne ayant évolué chez les Wellington Hurricanes, décide de raccrocher ses crampons, un observateur lui demande ce qu’il compte faire du reste de son existence. Réponse du Kiwi: "Je vais élever des All Blacks". Difficile de savoir quelle est la part de vérité dans cette histoire, mais la légende nous rend bien service. Car vingt ans plus tard, Kevin a tenu sa promesse: trois de ses huit enfants, Beauden (28 ans), Scott (25 ans) et Jordie (22 ans), sont internationaux néo-zélandais.

Mieux, ils ont marqué l’histoire de la sélection puisque les Barrett sont devenus en juin 2017 le premier trio de frères à jouer un même match avec le maillot frappé de la célèbre fougère, lors d’un test contre les Samoa. Une première étape avant un nouvel événement, cet été, lorsque la liste des 31 All Blacks retenus pour la Coupe du monde au Japon a été dévoilée. Malgré un immense réservoir à sa disposition, le sélectionneur Steve Hansen a retenu les trois frangins pour la compétition, du jamais-vu. Et ce mercredi, pour le deuxième match de la Nouvelle-Zélande, face au Canada (12h15), le technicien a décidé de titulariser les trois en même temps: Scott en deuxième ligne, Beauden à l’arrière, et Jordie sur une aile.

L’occasion pour la famille Barrett de mettre l’équipe sur un tremplin vers les quarts de finale et de se révéler un peu plus aux yeux de la planète. "Les fratries, de deux d’habitude, ont joué un rôle majeur dans l’histoire des All Blacks, explique Jamie Wall, journaliste néo-zélandais suiveur des hommes en noir et auteur d’un livre sur le sujet (Brothers in Black). Donc tout le monde au pays a grandi avec ses propres héros. Nos grands-pères, par exemple, diraient que les frères Meads ont été les plus grands, et nos pères parleraient sans doute des Whetton ou des Brooke. Mais pour les gens qui ont grandi dans ce nouveau millénaire, les Barrett n’ont pas de rivaux. Pour cette génération, ils peuvent clairement devenir la fratrie la plus emblématique de la sélection nationale."

Une pression supplémentaire? Une fierté, surtout, si l’on en croit Scott. "Quand on était enfants, se souvient le deuxième ligne, on s’amusait dans le jardin en inventant des scénarios du genre: 'Il a la pénalité pour la gagne, pour remporter la Coupe du monde'. On s’en amusait, et maintenant nous y sommes vraiment, ensemble. Il faut se pincer pour y croire…" Le jardin en question, c’est celui de la ferme laitière familiale de Pungarehu, dans la région de Taranaki, sur la côté ouest de l’île du Nord. Là où tout a commencé.

Ferme laitière, herbe verte et gènes d'athlètes

Dans ce coin de Pacifique à la pluie fine et régulière, on dit l’herbe plus grasse et plus verte que partout ailleurs. Idéal pour les bovins, et pour les bambins nourris au ballon ovale. "Avoir des hectares et des hectares de pelouse, un grand terrain avec des poteaux plantés dessus, et plein de frères et de cousins à affronter nous a probablement aidé", confiait Beauden il y a quelques semaines dans une interview à CNN. L’environnement est un plus, la génétique aussi. Chez les Barrett, il y a le papa Kevin, qui a donc goûté aux débuts du rugby professionnel, mais également la maman, Robyn, ancienne joueuse de basket et de netball et ancienne athlète de très bon niveau.

C’est elle, dit-on, qui aurait transmis sa vitesse aux bébés All Blacks. C’est aussi elle qui conseillait à ses fils de rentrer de l’école en courant plutôt que de sauter dans le bus. Il faut croire que ce beau mélange a porté ses fruits, car avant la triplette, Kane, le frère aîné, a failli percer. Troisième ligne de formation, il a même fait quelques apparitions en Super Rugby avec les Auckland Blues mais a dû arrêter sa carrière de manière précoce, à 25 ans, après une violente commotion.

Jordie, Scott et Beauden. Ou l'inverse.
Jordie, Scott et Beauden. Ou l'inverse. © AFP

Les trois suivants ont eu plus de réussite. Notamment Beauden. Elu deux fois meilleur joueur du monde en 2016 et 2017, l’ouvreur – repositionné à l’arrière durant ce Mondial – n’est autre que le successeur de Dan Carter chez les Blacks. Le joueur des Hurricanes, 79 caps au compteur, a goûté à l’équipe nationale dès 2012, à seulement 21 ans, et a depuis poussé ses "rivaux" Colin Slade ou Aaron Cruden à l’exil. "Beauden Barrett est l’une des vedettes du rugby mondial, observe Julien Dupuy, ancien demi de mêlée du Stade Français et des Bleus, consultant pour RMC Sport. Il reste peut-être encore un peu moins connu que Daniel Carter mais c’est quelqu’un qui possède une grande classe. C’est un joueur de rugby extraordinaire. Surtout, il porte en lui ces valeurs que sont le jeu et le mouvement. Voilà pourquoi il est tant apprécié."

Beauden est le plus connu, mais Scott de plus en plus salué

Avis partagé par l’ex-troisième ligne anglais Richard Pool-Jones, même si ce dernier est un peu plus nuancé: "Beauden est un joueur doué et plein de talent. Mais on peut aussi imaginer qu’il souffre de la comparaison avec son prédécesseur, Carter, qui était l’un des plus beaux joueurs avec une gamme de jeu très étendue, estime-t-il. Beauden Barrett est parfois faible dans son jeu au pied. C’est pour ça qu’il a été replacé en quinze. Il fait les différences en un-contre-un mais en terme de gestion au pied et devant les perches, c’est moins bien…"

Cela ne l’a pas empêché de devenir un cadre de la sélection. Et la figure de proue de la famille, même si Scott (32 sélections, joueur des Crusaders) et Jordie (12 sélections, joueur des Hurricanes) ont a priori de beaux jours devant eux. "Beauden a un peu fait de l’ombre à ses frères du fait de sa carrière entamée très tôt, et du fait qu’il évolue au poste le plus glamour, note Jamie Wall. Toutefois, pour les observateurs avisés, il est évident que Scott est lui aussi parti pour faire une très longue carrière avec les All Blacks. Il devrait obtenir sous peu un rôle de leader dans l’équipe, et je ne serais pas surpris qu’il finisse avec plus de sélections que Beauden." "Il a été extraordinaire contre l’Afrique du Sud (23-13), complète Dupuy. C’est un boucher en deuxième-ligne." Quid de Jordie, le dernier arrivé? "Il souffre un peu de la concurrence à son poste, mais il est encore très jeune", souffle Wall.

Des stars et des gendres idéaux

Dans un pays où les All Blacks sont rois, envoyer trois enfants en sélection a forcément dirigé les projecteurs vers la famille Barrett. Et lui a attribué de fait un statut particulier. "En Nouvelle-Zélande, quand on est un All Black, on est forcément reconnu dans la rue, rappelle Richard Pool-Jones. Il n’y a que quatre millions d’habitants et ils sont tous obsédés par le rugby. Le Hollywood de la Nouvelle-Zélande, ce sont les All Blacks." Ce qui peut encore surprendre les intéressés. "L’autre jour, à l’aéroport, d’un seul coup une foule s’est mise à scander le nom de Beauden, confiait en conférence de presse Jordie. Scott et moi nous sommes regardés en nous disant: 'Qu’est-ce que c’est que ça?' Mais en fait c’est plutôt cool. Tout le monde sait qu’il y a plus d’attentes autour de nous…"

D’attentes, de fans, d’objectifs. Si Jamie Wall assure que les média néo-zélandais ne "traquent" pas les Barrett dans leur vie quotidienne, il n’en demeure pas moins que le mariage de Beauden, en janvier dernier, a été couvert par toute la presse, tel un événement national.

Le mariage de Beauden
Le mariage de Beauden © Woman's Day

Mais vous ne lirez pas d’histoires de beuveries et de bagarres dans ce papier. Scrutés de près, les Barrett cultivent une image de gendres idéaux, de garçons éduqués, voire un peu lisses… "On ne va pas les retrouver en boîte de nuit tard le soir, confirme Pool-Jones. Je ne connais pas toute leur famille mais les trois frères sont très sérieux. On le voit dans leurs performances. Mais pour moi, tous les All Blacks sont des joueurs bien élevés, ils nettoient d’ailleurs eux-mêmes les vestiaires après les matches…" Jamie Wall, qui les a côtoyés de près, ne tient pas un discours différent. "Ils sont très bien vus au pays et ont effectivement la réputation d’être bien élevés et courtois. Leurs échanges avec les journalistes sont toujours très pros, ils s’expriment bien."

Un atout pour les All Blacks?

Reste une question au sujet des Barrett. Une interrogation plus rugbystique: avoir trois frères dans une même équipe, comme ce sera le cas ce mercredi, est-il un avantage? "En tout cas, ce n’est pas un désavantage, sourit Dupuy. Je pense qu’ils arrivent à s’épauler, ils se connaissent par cœur. Sur une Coupe du monde, ils doivent être encore plus proches. Il y a plus d’automatismes même s’ils jouent à des postes différents. Le deuxième-ligne ne doit pas beaucoup croiser ses frangins. Mais pour les deux trois-quarts cela peut être important car ils jouent ensemble depuis tout petits. Ils connaissent les qualités et les défauts de chacun."

Les premières étant plus nombreuses que les seconds. "Comme je le disais, il y a eu énormément de frères depuis la création des All Blacks, note Jamie Wall. Et bien qu’il n’existe aucune étude scientifique prouvant que le fait de partager le même sang permet une meilleure association sur le terrain, il est difficile de se dire que ça ne joue pas. Les frères Barrett parlent souvent de leur enfance, de l’époque où ils jouaient ensemble au rugby dans leur ferme du Taranaki… Quand vous voyez Beauden et Jordie combiner en plein match, comme ils ont pu le faire chez les All Blacks, mais aussi chez les Hurricanes, il est évident qu’ils partagent l’un et l’autre une sorte d’intuition, qu’ils ont un truc…" Un truc qui pourrait faire très mal aux modestes Canucks et permettre aux irrésistibles Kiwis de se rapprocher d’un nouveau sacre.

Clément Chaillou avec Jean-Guy Lebreton