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Toulouse. Guitoune: "Je viens de très loin, pas grand-monde ne connaît mon histoire"

C’est un des grands artisans de l’incroyable saison du Stade Toulousain qui affronte La Rochelle en demi-finale du Top 14 (samedi à 21h). Joueur le plus utilisé par le staff, Sofiane Guitoune revit après deux années de galère et autant d’opérations à cause d’une pubalgie. Mais derrière son éternel sourire, il cache une envie carnassière d’aller chercher un titre de champion de France. Et cet homme attachant, à l’histoire atypique, n’oublie pas qu’il y a potentiellement une Coupe du Monde à jouer en septembre.

Quelle est la chose que vous préférez chez votre équipe cette saison?

Ce que je préfère, c’est cet état d’esprit. C’est l’envie de jouer, de jouer pour gagner. Ça n’a pas changé, personne ne s’est pris au sérieux, même quand on enchaînait les victoires. Voilà, c’est l’état d’esprit de cette équipe, oui.

Quel est le match où vous avez pris le plus de plaisir cette année?

Contre le Leinster à domicile en phase de poule et le quart de finale ensuite au Racing 92 (deux victoires, 28-27 et 21-22, NDLR). Contre le Leinster, tout le monde nous donnait perdants et tu sors ce match. Tu les fais vraiment douter comme ça faisait bien longtemps qu’ils n’avaient pas douté et tu gagnes par un dernier essai magnifique! Et au Racing, c’est pareil. Déjà, tu n’es pas forcément favori et ensuite, au bout d’un quart d’heure on prend un rouge… donc forcément, tout le monde nous voyait en prendre trente ou quarante. Et c’est là qu’on s’est soudé, qu’on s’est régalé et qu’on n’a pas lâché grâce à notre état d’esprit. Et on gagne. C’était magnifique.

Est-ce que vous jouez un rugby d’instinct?

Ouais! On le travaille beaucoup à l’entraînement, ce jeu de désordre, pour que ce soit un rugby d’instinct. Mais que dans cet instinct et ce désordre, il y ait deux, trois choses qu’on capte entre nous. C’est le feeling qu’on arrive à avoir sur le terrain. Je repense à l’action au Racing en quart de finale de Coupe d’Europe, où Lucas Tauzin sort cette chistera. Outre le geste, qui est magnifique car il le fait à l’aveugle, il sait que je vais redoubler et moi je sais qu’il peut me faire une passe de ce côté-là. Donc, voilà, c’est ça. Il y a de l’instinct, mais aussi des automatismes que l’on travaille toute la semaine dans ce désordre.

Qu’est-ce qui fera que vous pourrez être champions?

Eh bien, qu’on ne change rien (il sourit). Qu’on continue de faire ce qu’on a fait depuis le début de saison. Même dans ces matchs à enjeu, à pression, dans lesquels si tu te trompes, c’est la sortie directe. Je pense qu’on est capable de continuer sur ce rythme-là. On l’a montré au Racing, à 14 contre 15 et par moment au Leinster en demi-finale. Mais si on continue, il n’y a pas de raison.

Vous avez la grosse étiquette du favori, c’est même une pancarte énorme dans le dos…

(il rigole) Non… il y a l’étiquette du favori que certains veulent bien nous donner et celle qui dit "oui, ils ont fait une saison exceptionnelle, ça serait normal". Mais le problème, c’est qu’au rugby il n’y a rien de normal en fait! Si tout devait être normal je ne devais pas être titulaire cette saison. Donc c’est le sport, il n’y a rien d’écrit. Et justement, je pense qu’on l’a montré tout au long de la saison, même si parfois on s’est fait un peu peur, on a su remettre la marche en avant et gagner certains matchs. Je pense que notre force est vraiment là, plus que dans le jeu qu’on fait. Parce que pour avoir ce jeu-là, il faut avoir confiance en nous et en chacun de ses coéquipiers. Et c’est ça qui fait vraiment notre force cette année.

La régularité n’est pas toujours récompensée dans cette formule du Top 14. Sur les dix derniers champions de France, seuls quatre (Perpignan en 2009, Toulouse en 2011 et 2012 et Toulon en 2014) avaient terminé premiers au classement…

C’est sûr que ce n’est pas comme au foot où le premier est champion. Mais c’est la beauté de ce sport. Et tant mieux. Ça me ferait chier d’être champion parce qu’on est premier, sans faire de phases finales! Les phases finales, c’est ça qui te met la boule au ventre. Comme quand tu étais gosse, que tu allais à l’école de rugby, que tu avais des tournois. Où il te fallait dix, quinze minutes pour que cette boule au ventre parte pour te lâcher. C’est ça qui est bon!

Non seulement vous êtes passé de blessé longue durée à titulaire indiscutable au regard de vos statistiques personnelles, mais on a en plus la très nette impression que vous êtes devenu un leader de l’équipe. Comment ça s’est fait?

Ce sont des choses qui sont venues sans se forcer. A un moment donné, pendant la période internationale au mois de novembre, je me suis retourné et quand tu regardes autour de toi, il n’y a plus que des minots. Donc toi, avec ton expérience, même si tu n’as pas été là pendant deux ans, tu ne peux pas laisser les mecs comme ça. C’est à toi de prendre les responsabilités. Ça s’est confirmé pendant le Tournoi des 6 Nations et c’est resté. Autant je n’étais pas leader pendant les deux années où j’étais blessé mais j’étais présent et les mecs me connaissaient depuis longtemps. Donc c’était naturel.

On dit de vous, notamment vos entraîneurs, que vous avez toujours le sourire. D’où cela vous vient?

Je ne sais pas, je pense que je l’ai en moi depuis tout petit. C’est comme ça. Je suis heureux de vivre on va dire. Et même si j’ai eu pas mal de galères, je me rends compte que j’ai beaucoup de chance. Je viens de loin et aujourd’hui j’ai beaucoup de chance de jouer au rugby tous les jours, prendre beaucoup de plaisir. Donc il n’y a pas de raisons de ne pas avoir le sourire.

Des expériences de la vie vous font relativiser?

Bien sûr. Comme je dis, je viens de très, très loin. Il n’y a pas grand-monde qui connaît mon histoire. Je suis né en Algérie, d’une famille nombreuse. Avec mes parents, on vivait à six dans pas beaucoup de mètres carrés. On est arrivé en France et mon père, qui était policier en Algérie, est devenu maçon. Mes parents ont fait beaucoup de sacrifices pour que nous, on puisse avoir un bel avenir. Et je pense qu’aujourd’hui, eux ont réussi leur pari. Donc il ne faut pas oublier tout ça et profiter de la vie.

C’est ce sens du sacrifice que vous voulez mettre en avant?

Oui bien sûr. Mes parents se sont sacrifiés pour nous. Donc je dois essayer d’être le plus droit possible, de leur rendre de la meilleure des façons pour qu’ils soient fiers de nous. Qu’ils n’aient pas fait tout ça pour rien.

D’avoir le sourire, ça aide sur le terrain?

(il rigole) Mes parents et mes amis proches me disent que quand ils me voient sur le terrain, juste avant de rentrer notamment, mon visage change. Même si je ne suis pas le plus méchant de tous, sur le terrain tu es une autre personne. C’est vraiment quelque chose d’autre. Le moment où je redeviens moi on va dire, c’est lorsque je marque un essai. Ça, c’est la joie et le bonheur. Mais c’est vrai que sur le terrain, ou avant de rentrer, dans les vestiaires, je suis une autre personne.

La liste des 65 joueurs pour la Coupe du Monde au Japon, elle vous donne le sourire?

Oui, oui, bien sûr. Ça donne le sourire, mais comme je l’ai dit, c’est beaucoup de noms. Il y a encore la moitié qui ne seront plus dessus. Donc voilà, c’est bien d’y être, mais ce n’est pas une fin en soi. La fin de saison est importante. Si j’ai envie de faire partie des 37, il ne faut pas que mon niveau baisse, qu’il reste comme il a été toute la saison. Jouer mon rugby, comme depuis le début.

Qu’est-ce qui vous manque du maillot bleu?

Qu’est-ce qui me manque du maillot bleu? (il réfléchit) C’est le maillot bleu qui me manque, tout simplement! Après, quand tu as été blessé pendant deux ans, tu te fais tout petit, tu bosses. C’est ce que j’ai fait. Et t’essayes de revenir. Et quand je reviendrai… J’ai les dents qui rayent le parquet! Donc ce sera avec grand plaisir.

Est-ce que vous gardez les galères vécues dans un coin de la tête comme moteur, ou préférez-vous les balayer et regarder devant?

Non, je pense que c’est derrière moi. Je n’y pense pas, je ne suis pas rancunier, amer. C’est des choses de la vie, c’est comme ça. Des épreuves. Il faut savoir les surmonter. Ce serait dommage que tout soit tout lisse et tout rose. J’ai rencontré de superbes personnes pendant cette période. Pour l’anecdote, ce qui est un peu marrant, c’est que quand j’étais à Clairefontaine pour la rééducation de ma pubalgie en 2017, il y avait deux footballeurs, Gaëtan Charbonnier et Thibault Jacques. Cette année avec Brest, Gaëtan Charbonnier est meilleur buteur de Ligue 2 et il monte en Ligue 1. Et Thibault Jacques, avec Chambly, il monte en Ligue 2 et a été élu meilleur défenseur du National. On se parle souvent et eux ont fini leur saison. Et ils me mettent la pression! Ils me disent: "c’est à toi maintenant!". Donc si ça pouvait être une belle histoire. Que nous trois, après des années de galère, ça se passe bien… j’aimerai y voir un signe (il rigole)! 

Wilfried Templier