RMC Sport

XV de France: Thibault Giroud, le préparateur des Bleus à l'improbable CV

placeholder video
Du ski, du foot US grâce à George Eddy, du bobsleigh en combinaison moulante avec Albert II de Monaco, et puis bien sûr, du rugby... Arrivé dans le staff des Bleus avec Fabien Galthié, Thibault Giroud, le préparateur physique du XV de France qui a fait suer les Tricolores avant le Mondial japonais, est un homme au parcours passionnant.

Il est désormais le "directeur de la performance du XV de France", mais disons-le tout de suite: ce titre est beaucoup plus pompeux que ne l’est le personnage. En réalité, Thibault Giroud est plutôt du genre baroudeur, une sortie d'aventurier au verbe fleuri. Le préparateur physique en chef des Bleus, puisque c’est de lui qu’il s’agit, l’homme qui a fait suer Guilhem Guirado et ses copains pendant des semaines avant la Coupe du monde, et continue de leur en faire baver au Japon, est arrivé dans le staff tricolore au printemps dernier en compagnie de Fabien Galthié. Avec, dans ses bagages, des méthodes de travail présentées comme novatrices, inspirées de ce qui peut se faire dans les pays anglo-saxons. Des pratiques pensées et repensées au fil de ses expériences passées. Et Dieu sait qu’elles ont été nombreuses…

Le ski comme premier amour

Un crâne luisant, des bras tatoués, et des épaules à faire frissonner chaque couture de son polo frappé du coq: à 45 ans, Thibault Giroud ne dépaillerait pas dans un pack d’avants, ou dans un groupe de guerriers maoris. Pourtant, c’est sur la neige, bien loin du soleil pacifique, que tout a débuté pour lui. Originaire de Grenoble, le golgoth s’est d’abord imaginé faire carrière dans le ski. "Comme tout le monde là-bas, je m’y suis mis gamin, et c’est vrai que ça marchait bien pour moi dans les catégories de jeunes", nous racontait-il il y a deux ans, lorsque nous l’avions rencontré à Toulon.

Mais le ski à haut niveau, ce n’est pas donné. Et assez vite, cela a posé problème… "J’étais pas mal en descente, mais ça devenait un peu compliqué financièrement, concédait-il. Et puis pour passer un cap il fallait forcément aller en sport-étude, à l’époque à Bourg-Saint-Maurice. Et ce n’était pas facile d’y rentrer. J’ai donc un peu virgulé sur autre chose…"

Le foot US et la NFL Europe

Dire que Giroud a un peu "virgulé", c’est un euphémisme. Vers 16 ans, en regardant la NFL commentée par George Eddy sur Canal+, l’Isérois décide de ranger les bâtons et de chausser les crampons, pour se lancer dans le football américain. Il prend une licence dans un club local, les Centaures de Grenoble, et se donne à 200% dans cette nouvelle discipline. "En fait, je me suis tout le temps mis à fond dans tout ce que j’ai tenté, confiait-il. Le ski a été ma première passion, je voulais percer dedans, mais ça a ensuite été la même chose avec le foot US."

Le running-back se donne donc les moyens de réussir. Au-dessus de la mêlée en France, il file d’abord au Cégep de Victoriaville, au Québec, pour se perfectionner à la discipline de l’autre côté de l’Atlantique, et atterrit de fil en aiguille en EFL (European Football League) à Munich, entouré d’Américains. D’Allemagne, il se fait ensuite repérer pour aller à Barcelone et devenir, en 1995, le premier Français à jouer en NFL Europe, défunte "réserve" de la prestigieuse ligue nord-américaine. Giroud rêve d’élite, mais la concurrence est rude, et le milieu sans pitié avec les "petits" européens. "Donc là, bifurcation totale, je pars au bob."

Le bobsleigh avec le Prince Albert II, jusqu’aux Jeux olympiques

Le bob, c’est le bobsleigh. Une discipline mineure en France, que Thibault Giroud découvre par l’intermédiaire… du Prince Albert II de Monaco. Oui, oui. En 1997, alors que Son Altesse s’est pris de passion pour ce sport de glace depuis déjà quelques années, le (futur) préparateur le rencontre sur le Rocher, au détour d’une conférence. A cette époque, Albert cherche un pousseur, autrement dit un gaillard puissant et rapide. Une conversation plus tard, voilà Giroud en train "de pousser une barquette sur la glace avec un prince", selon ses mots. "C’était une super expérience, assure-t-il. En fait je pensais faire ça seulement un an, je cherchais toujours à côté un contrat en football américain à l’étranger, mais j’ai accroché terrible avec le bob. A Monaco avec le Prince, c’était des supers moments." Un Albert II qu’il "apprécie beaucoup", mais qu’il quitte au bout de quelques mois pour changer de pavillon, et partir en équipe de France.

1998-2002, c’est la belle époque du bob tricolore, et Giroud la vit de l’intérieur. "On avait deux bobs dans les cinq meilleurs mondiaux, rappellait-il avec un brin de fierté. Pendant quatre ans, je fais tous les circuits mondiaux, et je finis à Salt Lake City." Aux Jeux olympiques d’hiver, où il se classe 10e en bob à quatre. C’est la fin d’un cycle, son pilote s’en va, et Giroud en a marre de faire un "sport éreintant, où tu as toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête, où tu te dis: 'si je ne performe pas, je ne gagne plus d’argent pour manger'". Il est l’heure d’une reconversion.

Thibault Giroud (à droite) lors des JO 2002
Thibault Giroud (à droite) lors des JO 2002 © AFP

L’athlétisme, comme sparring privilégié du célèbre Frankie Fredericks

Sa nouvelle voie, c’est encore en Principauté qu’il la trouve. Un peu avant les Jeux olympiques 2002, tandis qu’il se prépare toujours à Monaco, et s’intéresse déjà fortement au monde de la préparation physique, Giroud croise le célèbre sprinteur namibien Frankie Fredericks, quadruple médaillé d’argent aux Jeux olympiques sur 100m et 200m (1992 et 1996), et champion du monde du 200m en 1993. Fredericks est en fin de carrière, mais ne veut pas baisser les bras face à la nouvelle vague. "Par rapport à un Ato Boldon ou à un Maurice Green, des mecs hyper explosifs, Frankie était bon sur la fin de course, mais il prenait trop de retard au départ, à la sortie des blocks. Il cherchait un sparring, on a commencé à s’entraîner ensemble."

Le courant passe tellement bien que Fredericks invite son compère tricolore à l’accompagner en Afrique, chez lui à Windhoek, capitale namibienne. Giroud joue alors un rôle hybride, à moitié préparateur, à moitié partenaire d’entraînement, vu qu’il est plus rapide sur les quinze premiers mètres. La collaboration se poursuit quelques mois. Et devinez-quoi? Notre homme fait une nouvelle rencontre.

Un premier plongeon dans le rugby, en terre afrikaner

Cette fois, l’invité mystère se nomme… Andre Markgraaff, ancien sélectionneur des Springboks. Giroud fait sa connaissance par l’intermédiaire de Fredericks. "Il accroche plutôt bien à mon profil, se remémore-t-il. Je ne savais pas trop si je voulais encore être athlète, ou complètement passer de l’autre côté. Mais il me propose de venir chez les Leopards (une équipe de Currie Cup, ndlr), à Potchefstroom. C’était mon premier contrat de préparateur." Et ses premiers pas dans le monde du rugby. Cependant, l’environnement est plus que particulier.

"Potchefstroom, c’est un bon bastion afrikaaner à deux heures de Johannesburg. C’était un peu compliqué, il y avait encore des quotas de joueurs noirs, chacun mangeait de son côté. Même en ville, moi un peu coloré qui me trimballais avec ma femme blonde aux yeux bleus, les gens ne comprenaient pas trop ce qu’on faisait ensemble." Un incident personnel fera office de goutte d’eau. Après 16 mois en poste, Giroud refait sa valise en 2003. Retour en Europe.

Préparateur-joueur chez les Saracens

Retour en Europe, mais première expérience en Angleterre, puisque c’est chez les Saracens que Giroud signe un contrat, à l’époque "où les Français avaient la cote", avec Castaignède, Ibanez, ou Cech. L’ancien bobeur devient préparateur de la formation. Du moins dans un premier temps… "Vu que je m’entraînais beaucoup encore, Rod Kafer, qui était le coach, me dit: ‘Pourquoi tu n’essaies pas de jouer?' Je n’avais jamais joué au rugby, jamais! Ils me foutent à l’aile, je fais quelques matches. Je me rappelle de la fois où je rentre contre Agen, au bout de 45 secondes ça part en générale, Califano se battait avec Andy Goode… C’était mon premier match en équipe A. Après j’ai fait quelques matches avec la réserve, mais je devais aussi m’occuper de la préparation, donc j’ai dit stop, ce n’était plus gérable." Kafer est remercié un petit bout de temps après, Giroud profite du "turnover" pour devenir le nouveau préparateur de Pau.

Thibault Giroud en Equipe de France
Thibault Giroud en Equipe de France © Icon

Une ascension jusqu'aux Bleus

L’expérience avec la Section Paloise (2004-2005) n’est pas très concluante, mais la suite est un peu plus "linéaire". Malgré quelques piges comme consultant dans des grands centres d’entraînement privés aux Etats-Unis, où les athlètes de NFL ou de NHL viennent se préparer individuellement à l’intersaison, Giroud restera principalement dans le monde du ballon ovale, avec un credo selon lequel la préparation physique doit être intégrée pleinement au rugby, pour développer chez un joueur des qualités en adéquation avec ce qu’on lui demande sur le terrain. Giroud officiera dans le rugby à XIII, à Londres puis Cardiff pendant environ quatre ans (2005-2009), puis dans le XV à Biarritz (2009-2014), avant de rebondir à Glasgow (2016-2017), et enfin à Toulon (2017-2019), où il rencontrera Galthié, et où son départ pour le XV de France déclenchera la colère de Patrice Collazo et Mourad Boudjellal.

Depuis le Var, à l’époque où il était encore en poste, ce passionné nous racontait l’importance d’un tel CV au quotidien. "Voyager, découvrir des cultures très différentes, m’aide à comprendre les joueurs, à savoir comment peuvent réagir des Neo-Zélandais, des Sud-Africains, à tel ou tel problème… J’ai aussi essayé de prendre un peu de chaque sport. Le foot US m’a vraiment appris la notion d’abnégation. Le bob m’a appris beaucoup sur la précision de la préparation, sur la notion de chrono, la nutrition, le repos, la programmation et tout. Après, l’athlé avec Frankie m’a apporté sur l’aspect technique. A chaque fois j’ai évolué. Comme préparateur j’essaye de piocher dans tout cela. Je pense que le rugby est le sport pro à l’heure actuelle qui évolue le plus chaque année dans la préparation. C’est un sport qui se cherche, avec l’évolution des gabarits, la vitesse qui ne cesse de s’accroître…" Un nouveau challenge, en somme.

Clément Chaillou