"Tout le monde le savait, c'était un secret de polichinelle." L'affaire Chenal fait exploser le milieu du ski français

Il y a quelques semaines, deux articles du Journal Le Monde ont eu l’effet d’une bombe dans le milieu du ski. Joël Chenal, ancien médaillé d’argent en géant aux Jeux olympiques de Turin en 2006, est accusé par au moins 12 femmes, mineures au moment des faits, d’harcèlement et d’agression sexuelle. Une plainte a même été déposée fin juillet. Depuis, la carte professionnelle de Chenal a été retirée, il ne peut donc plus exercer en tant qu’entraineur. Face aux témoignages de victimes, et aussi de sa fille qui a reçu des photos dénudées de Chenal, Adrien Duvillard souhaite faire bouger les choses, en créant notamment une association, Piste Libre, avec d’anciens noms du ski français comme Jean-Luc Crétier ou encore Marion Rolland. "C’est une association avec pour objectif, pour but, de pouvoir défendre, écouter, accompagner toutes les personnes, tous les licenciés dans le ski qui subissent du harcèlement sexuel et moral", explique Adrien Duvillard, ancien skieur. Ce dernier pointe du doigt les dirigeants de l’époque, Michel Vion, ancien président de la Fédération Française de ski et Fabien Saguez, ancien Directeur Technique National et actuel président de la FFS. "Le cas Joël Chenal, tout le monde le savait. C'était un secret de polichinelle. Les dirigeants de l'époque, que ce soit Michel Vion ou Fabien Saguez, savaient. Ils savaient très bien ce qui se passait", rétorque Duvillard.
"On n'a rien caché"
En 2009, à la fin de sa carrière professionnelle, Joël Chenal est visé par une enquête de la gendarmerie, qui sera classée sans suite. Il écope en 2016 d'un rappel à la loi pour atteinte sexuelle sur mineure de moins de 15 ans . "Il a été embauché par la fédération française de ski de 2013 à 2017. Donc, il y a un bug quelque part là. Il y a un truc qui ne va pas, explique Duvillard. Moi, j'ai appelé Fabien Saguez. Et il m'a dit "on ne savait pas". Il me dit qu'à l'époque, on n'avait pas les moyens pour réagir. C'est une belle façon politique de botter en touche, alors qu'ils savaient. On ne veut plus qu’il y ait cette omerta. Ce n'est plus possible. À cause de ça, il y a un nombre incroyable de jeunes athlètes, féminins et masculins, qui sont passés à la trappe."
Une thèse réfutée par Michel Vion, actuel secrétaire général de la FIS, (Fédération internationale de ski). "On n’a rien caché. Si on avait su, on n’en serait pas là. Je suis prêt à assumer mes responsabilités." En 2017, quand la Fédération se sépare de Joël Chenal, entraineur à l’époque, cela n’avait rien à voir avec un possible comportement déplacé selon les dirigeants de l’époque. "On avait une stratégie sportive différente, on s’en est séparé pour cela", assure Fabien Saguez. "On ne l’a pas viré, on l’a écarté. Il fallait renouveler les cadres. En 2016, lors de son rappel à la loi, la fédération a été auditionnée, David Loison l’a été à l’époque. Mais nos avocats nous disaient: "ne virez pas ce gars-là, il n’y a rien contre lui", assure Vion.
"Joël Chenal, je l’ai vu trois fois en compétition, moi j’étais dans mon bureau ou dans l’aire d’arrivée mais pas forcément sur la piste à ses côtés. Un président ne peut pas être sur le terrain tous les jours. Je ne veux pas me défausser, j’assumerais tout ce qu’il faut. Quand j'entends dire "Vion et Saguez ont couvert Chenal", on a couvert personne", insiste Michel Vion. Son ancien directeur technique national, Fabien Saguez complète: "Nous n’avons reçu aucun mail de signalement concernant Joël. A l’époque, personne n’est venu me voir dans mon bureau. C’est difficile de se baser sur des bruits. Je comprends qu’un certains nombres de personnes se retournent contre l’institution, on doit l’assumer. On n’a jamais été mis au courant, pour nous dire que cet homme est dangereux."
Un possible manquement de la fédération?
Mais en 2016, après le rappel à la loi de Joël Chenal, Michel Vion reconnait un possible manquement de la part de la fédération. "On n’a pas été assez percutants, on aurait dû creuser un peu plus, être plus vigilants. On s’est bêtement ou logiquement fiés à ça. On aurait dû avoir les yeux dans le dos", regrette-t-il. "J’attends que ça qu’une enquête arrive, que le procureur d’Albertville nous demande ce qu’on savait ou savait pas. On est malheureux de cette situation, c’est terrible pour les familles et les victimes. On dira tout ce que l’on sait", insiste Fabien Saguez, actuel président de la FFS.
Tous les deux se sont réjouis de la création de l’association Piste Libre, "si cela permet la libération de la parole". Fabien Saguez tient à rappeler que la fédération met des choses en place aussi: "on a des dispositifs depuis 2019 et 2020 qui suivent le schéma du ministère et pour lequel on est intransigeants quand il y a des signalements. Quatre personnes, à la fédération, travaillent autour du harcèlement. On fait des formations avec les entraineurs et les bénévoles." En attendant, l’affaire Joël Chenal terni l’image de l’encadrement du ski français. L’affaire est maintenant entre les mains de la justice. Une plainte a été déposée mais pour l’heure aucune enquête n’a été ouverte.