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Boxe: coach, tactique…. comment Joshua a tout changé pour la revanche contre Usyk

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Détrôné par Oleksandr Usyk en septembre pour les titres IBF-WBA-WBO des lourds, Anthony Joshua va tenter de les reconquérir face à l’Ukrainien ce samedi à Jeddah (Arabie Saoudite). Une mission placée sous le signe du changement pour le Britannique, qui travaille avec un nouveau coach et compte aborder cette revanche avec une tactique très différente.

Il peut rejoindre des légendes. S’il bat Oleksandr Usyk ce samedi à Jeddah (Arabie Saoudite) pour les titres IBF-WBA-WBO abandonnés à l’Ukrainien l’année dernière, avec en cerise sur le gâteau la prestigieuse ceinture The Ring lâchée par Tyson Fury, Anthony Joshua rejoindra un cercle fermé: celui des boxeurs sacrés trois fois champions du monde des lourds. La table est occupée par des géants, Muhammad Ali, Lennox Lewis et Evander Holyfield (on ne compte pas Vitali Klitschko ou Michael Moorer, qui l’ont fait avec des titres subsidiaires pour l’époque), mais elle rappelle un constat : il faut avoir perdu son ou ses titres deux fois pour pouvoir prétendre à un troisième règne.

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Pour "AJ" (24-2, 22 KO ; 32 ans), il y a eu Andy Ruiz Jr en 2019, revers surprise vengé quelques mois plus tard... déjà en Arabie Saoudite. Puis Oleksandr Usyk (19-0, 13 KO ; 35 ans). En septembre 2021, à Londres, l’ancien champion incontesté des lourds-légers ne laissait aucun doute sur l’identité du vainqueur après douze rounds. L’Ukrainien était même tout proche de mettre le Britannique KO dans les dernières secondes. Onze mois plus tard, Joshua peut-il trouver un nouveau plan capable de faire tomber le champion? A priori, c’est l’idée.

La première fois, Joshua avait fait une grosse erreur. Jouer au technicien avec un meilleur technicien. "Ça paraît dingue mais je ne vais pas mentir, mon objectif n’était pas de lui faire mal, a-t-il expliqué aux médias. Je voulais faire les douze rounds et prouver que je pouvais boxer aussi bien que lui." Raté. "Il était trop têtu la première fois, estime Eddie Hearn, patron de Matchroom Boxing et promoteur de Joshua, pour ESPN. Quand les gens lui disaient qu’il ne pouvait pas être meilleur boxeur que Oleksandr Usyk, il voulait leur donner tort. C’était une terrible idée." "Je sais où je n’ai pas été bon, les choses sur lesquelles j’ai montré des faiblesses, appuie l’intéressé. Je ne vais pas y aller en croyant que ça va être facile. Je vais faire face à mes manques et m’assurer que je m’ajuste pour redevenir champion."

S’il reproduit la performance du premier combat, aucune raison que le résultat change. Mais depuis, le Britannique a pris une décision forte. Exit Rob McCracken, l’homme qui l’avait mené à l’or olympique en 2012 puis à un règne planétaire chez les pros, comme entraîneur principal. "AJ" est désormais coaché par l’Américain Robert Garcia, avec qui il se prépare en Arabie Saoudite depuis plus d’un mois. Dans l’idée de revenir à ce qui a fait son chemin vers les sommets et qu’il a un peu abandonné depuis sa "guerre" avec Wladimir Klitscho en avril 2017: déglinguer l’adversité sur fond d’agressivité.

Garcia, qui a mené quatorze boxeurs à un titre planétaire dont son petit frère Mikey (champion dans quatre catégories) mais qui n’avait jamais entraîné un lourd de classe mondiale, est connu pour donner à ses combattants un style où ils mettent en permanence la pression sur l’adversaire. "Je lui ai dit: 'Je ne veux pas quelqu’un qui a entraîné des lourds mais quelqu’un qui a entraîné un léger pour qu’il puisse plus me pousser', justifie Joshua. Est-ce que je l’ai choisi pour me faire mettre la pression? Ce n’est pas juste une question de style. Il y a plusieurs variables qui m’ont fait le choisir."

Anthony Joshua (à gauche) lors de son entraînement public avant son deuxième combat contre Oleksandr Usyk en août 2022
Anthony Joshua (à gauche) lors de son entraînement public avant son deuxième combat contre Oleksandr Usyk en août 2022 © AFP

Joshua a beau nuancer, on comprend bien pourquoi Garcia l’accompagne. "Désormais, il a le bon esprit, juge Hearn. Vous allez voir un Joshua plus agressif, plus impitoyable. L’ajout de Robert Garcia dans son coin va mener à ce surplus d’agression et à la capacité de changer de plan en cours de combat si besoin car Usyk est très intelligent et peut s’adapter." "Il doit savoir et croire qu’il est toujours aussi bon, voire meilleur, que quand il mettait tout le monde KO, a lâché son nouveau coach sur sa chaîne YouTube. Perdre un combat peut jouer avec la tête d’un boxeur, qui se demande s’il est toujours au niveau. On travaille aussi là-dessus."

Connu pour ça, Garcia saura aussi intervenir avec passion entre les rounds si les choses ne tournent pas bien, quand McCracken lui avait répété que tout allait bien alors qu’il perdait des rounds lors du premier combat. Avec tout ça, et même si on se demande si ce duo a vraiment eu le temps de bien s’adapter l’un à l’autre, l’objectif est clair, annoncé par l’ancien champion en reconquête qui se définit comme "une éponge qui apprend vite": profiter de ses avantages de taille et de puissance pour envoyer plus de coups lourds et redevenir un prédateur du ring. "Cette fois, on va chercher le KO. L’objectif est de revenir à l’essentiel. L’art de la boxe est de toucher sans être touché, tu dois savoir rester à l’écart, mais ce n’est pas vraiment mon style."

Ce qu’il aurait dû faire la première fois pour espérer gagner, quoi. Vainqueur clair, Usyk avait tout de même terminé le premier combat le visage très marqué. De quoi encourager "AJ" dans sa capacité à éteindre l’Ukrainien. "Je compte mettre plus de puissance derrière ces coups. Je sais que je peux lui faire mal et le mettre KO." Il oublie peut-être, à l’inverse, que son adversaire a pu gagner en confiance en encaissant ses coups lors du premier combat et en le malmenant sur la fin, ce qui pourrait le pousser à accélérer dans ce sens plus tôt. Pour venger sa défaite contre Ruiz, Joshua avait su apprendre de ses erreurs, être patient et ne pas aller à la guerre. Pour son douzième championnat du monde de suite (!), ce samedi, ce sera tout l’inverse.

Mais il devra conjuguer sa motivation et son agressivité à l’intelligence vu la bête en face. Si son nouveau plan ne marche pas, entre la précision et les sorties intelligentes de son adversaire, le Britannique pourrait vite être poussé à revoir sa copie. Bien meilleur combattant, Usyk n’est pas Ruiz, qui avait plus fêté son sacre que préparé son deuxième choc contre Joshua. L’Ukrainien sera prêt. Déterminé comme jamais, aussi, conséquence de la situation dans son pays. Joshua, qui reconnaît vivre "un cauchemar" face aux gauchers comme Usyk et promet qu’il l’aurait battu lors du premier affrontement si l’Ukrainien était droitier (si ma tante en avait…), ce qui a poussé le champion à faire une partie de son entraînement public en droitier, devra donc faire mieux. Et différent, surtout.

Anthony Joshua avant son deuxième combat contre Oleksandr Usyk en août 2022
Anthony Joshua avant son deuxième combat contre Oleksandr Usyk en août 2022 © Icon Sport

Avec des risques: mettre plus de pression et envoyer plus ses poings donneront autant d’occasions à un Usyk si précis et au jeu de jambes fabuleux de le contrer fort. Prudent lors du premier combat, Joshua avait pourtant failli être mis KO dans les dernières secondes. Alors sans prudence… Alors que les deux n’ont plus combattu depuis, Usyk semblait plus massif qu'il y a onze mois sur les photos. Mais il a été pesé à peine 200 grammes plus lourd que lors dupremier combat contre deux kilos en plus pour Joshua, qui confirme sa volonté d'aller chercher l'Ukrainien à la bagarre et sur la puissance. Mais le QI de combat du champion, sa technique d’orfèvre des rings (quelle merveille de jab), sa confiance et sa détermination auraient de toute façon largement compensé.

Pas illogique donc de voir Usyk favori des bookmakers comme des spécialistes – ceux du magazine The Ring le donnent gagnant à 18 voix contre 2 (et un nul). D’autant que le garçon sait à quoi s’attendre. "Il sait que Joshua va être agressif donc il va l’être aussi, estime Hearn. Il ne va pas se faire malmener sans répondre. Anthony ne doit pas laisser ce gars prendre son rythme, ce qu’il a fait trop facilement dans le premier combat. Je ne pense pas que ça va dépasser les six rounds. Et Joshua gagnera par KO." "AJ", qui peut devenir le troisième lourd britannique champion The Ring après Lennox Lewis et Tyson Fury (qui l’a été deux fois), devra peut-être se concentrer sur un point qui peut faire la différence en sa faveur: les coups au corps.

Usyk avait reconnu que son rival lui avait fait mal avec cette arme. Et Fury, qu’on espère tous voir ne pas abandonner sa ceinture WBC pour affronter le vainqueur (Joshua affirme qu’il peut "le sortir de sa retraite à 100%"), a posté ces derniers jours une vidéo où il explique comment son compatriote doit attaquer l’Ukrainien au corps pour s’imposer: "Ce poids moyen gonflé ne peut pas les encaisser". Avec tout ça, on se dit que Joshua risque de démarrer fort. Pied au plancher.

De quoi résoudre l’équation Usyk? Plus mobile, plus agile, meilleur boxeur, l’Ukrainien qui a remporté toutes ses ceintures mondiales sur le terrain de ses adversaires chez les lourds-légers comme chez les lourds n’a aucune raison de ne pas avoir conservé l’avantage de ses qualités, peu importe la stratégie adverse. Et s’il survit à la possible furie de début de combat, la suite pourrait se révéler très longue pour un "AJ" qui aurait vidé son énergie…

"Garcia va mener Joshua dans la bonne direction mais il y a des limites à ce que peut faire un entraîneur, rappelle Marc Ramsay, coach québécois qui s’occupe notamment du boxeur français Christian Mbilli. Je ne pense pas qu’il soit dans la nature de Joshua de livrer le type de combat nécessaire pour battre Usyk." "Ça va être difficile de battre Usyk car il est trop rapide pour Joshua, juge Mike Tyson, plus jeune champion du monde de l’histoire des lourds. Joshua doit mettre beaucoup de pression sur lui, être sur lui tout le combat, car c’est un boxeur puissant. Mais il n’est pas aussi précis que lui. Vous devez être précis contre un gars comme Usyk car il bouge beaucoup. Il a battu Joshua avec son jab, qu’il maîtrise, et il faut espérer que Joshua ait appris à le gérer."

Emanuel Steward, légendaire coach de Wladimir Klitschko aujourd’hui décédé, disait toujours que "le meilleur boxeur gagne la revanche". Usyk, donc. Philosophe, le combattant britannique balaie ce jus de crâne technique: "C’est un combat. Celui qui touchera le plus l’autre gagnera. C’est tout ce qui compte." Au bout, Joshua aura écrit un beau chapitre de son livre en coiffant pour la troisième fois une couronne planétaire: "Si je bas Usyk, on me donnera le crédit que je mérite, l’admiration due à une vraie légende de la boxe". Ou il aura encore été battu, perdant un peu de son statut de superstar de la boxe.

S’il ne quitte pas l’Arabie Saoudite en vainqueur, certains experts – comme Johnny Nelson, ancien champion WBO des lourds-légers aujourd’hui consultant pour Sky Sports – l’imaginent déjà prendre sa retraite. "C’est fou de penser ça, répond-il. Je veux rester dans la compétition. C’est exigeant mais j’adore le défi." Mais Joshua sait qu’il joue très gros, face à celui que certains rangent comme meilleur boxeur de la planète toutes catégories confondues. "Je dois absolument gagner", annonce-t-il comme pour se mettre la pression. "AJ" a rendez-vous avec l’histoire ce samedi. Celle de la boxe comme la sienne.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport