Boxe: Comment la saga Rocky a puisé dans les mythes de la boxe pour en devenir un

Manny Pacquiao qui débarque dans l’arène sur le célèbre Eye of the Tiger. Tyson Fury qui fait son entrée sur le ring dans la tenue bannière étoilée d’un certain Apollo Creed. Andy Ruiz Jr surnommé Rocky quand il détrône Anthony Joshua alors que personne ne s'y attendait. L’influence de Rocky sur les boxeurs modernes a souvent (liste non exhaustive) pris un tour concret. Débutée en 1976, déjà forte de huit films et toujours en cours, la sortie de Creed 3 étant prévue pour fin 2022, la saga cinématographique façonnée par Sylvester Stallone est la plus célèbre de l’histoire du noble art. Et pour créer sa légende, elle a puisé dans cette même histoire.
Enseignant en lettres et histoire-géographie dans un lycée de Poitiers et écrivain spécialisé dans le sport et les littératures de l’imaginaire, Meddy Ligner s’est penché sur ces parallèles dans l’excellent Rocky et les mythes de la boxe (Mareuil Editions) qui plonge dans les liens entre la fiction et la réalité. "En regardant les films de Rocky, on feuillette le grand livre du noble art, peut-on lire dans le résumé du livre. L’épopée du boxeur de Philadelphie est celle, en creux, de la boxe." Invité du RMC Fighter Club, podcast de RMC Sport consacré aux sports de combat, l’auteur est revenu sur les plus belles anecdotes qui truffent son récit.
On y apprend de qui s’est inspiré Stallone pour le personnage de Rocky, mix entre "le vrai Rocky" Chuck Wepner, le "Cinderella Man" James J. Braddock et "L’homme de fer" Joe Grim, mais aussi deux champions américains qui partagent prénom et origines italiennes avec Balboa: Rocky Marciano et Rocky Graziano. Son adversaire, Apollo Creed, trouve lui aussi ses sources d’inspiration dans l’histoire de la boxe avec Jack Johnson, premier champion du monde des lourds noir de l’histoire, et Muhammad Ali pour le côté showman et le style de boxe.
Les deux scènes mythiques de Rocky à l’entraînement, quand il monte les marches du Philadelphia Museum of Art et quand il utilise des morceaux de viande comme sacs de frappe, sont tirées de la carrière de l’ancien champion du monde des lourds Joe Frazier, boxeur de Philadelphie qui sera le premier homme à infliger une défaite à Ali dans le "combat du siècle" en 1971 et qui avait raconté s’être entraîné de la même façon. Il apparaît d’ailleurs en bord de ring avant le premier combat Rocky-Creed.

Le deuxième opus de la saga, sorti en 1979, met en scène la revanche entre Rocky et Creed et fait résonner ce duel parmi les grandes rivalités de la boxe façon (liste non exhaustive une nouvelle fois) Ted Kid Lewis-Jack Britton, Rocky Graziano-Tony Zale, Sugar Ray Robinson-Jack LaMotta ou encore Ali-Frazier. On trouve même un clin d’œil à ce dernier dans les tenues des boxeurs. On plonge aussi dans les exemples de combats où les deux boxeurs ont fini au tapis en même temps, comme Balboa et Creed, et dans la "leçon d’humilité" reçue par Stallone quand il a fallu partager un ring d'entraînement avec le légendaire Roberto Duran.
Le troisième film, débarqué sur les écrans en 1982, met en lumière l’inspiration pour Clubber Lang, féroce, agressif et brutal adversaire de Rocky qui trouve un écho dans l’un des plus grands "méchants" de l’histoire de la boxe, Sonny Liston, passé par la case prison et dont les liens avec la pègre étaient avérés. Pour ce rôle, Stallone espérait même engager Frazier ou le gros puncheur Earnie Shavers avant de se faire malmener par les deux en sparring. "J'ai eu l'impression d'être dans une cage avec un lion", racontera-t-il après sa séance avec le premier. Pas mieux après celle avec le second à qui il demande "quelque chose de réel" avant de recevoir un méchant coup au foie: "Ça m'a presque tué. Je suis allé directement aux toilettes et j'ai vomi!"
Géopolitique, pape Jean XXIII et Bob Dylan
On passe au quatrième opus, sorti en 1985, pur produit de la "guerre froide" entre le bloc de l’Ouest et le bloc de l’Est avec un Rocky qui va venger la mort de Creed en affrontant le terrifiant Ivan Drago chez lui en Union soviétique. L’occasion de rappeler combien boxe et géopolitique ont souvent été liés à l’image des deux affrontements entre l’Allemand Max Schmeling et l’Américain Joe Louis en 1936 et 1938, du boxeur italien fierté du fascisme Primo Carnera, du Cubain qui refusa les dollars américains du professionnalisme Teofilo Stevenson ou encore de l’Irlandais Barry McGuigan, seul homme capable d’unir les deux Irlande chaque fois qu’il combattait dans les années 80.
Ce film permet également un focus sur les nombreux morts suite à des combats dans l’histoire de la boxe, comme celle de l’Américain Davey Moore en 1963 qui poussera le pape Jean XXIII à évoquer la boxe comme "un sport contraire aux principes naturels" et inspirera la chanson Who Killed Davey Moore? de Bob Dylan. Il y a aussi cette merveilleuse anecdote du "J’en vois trois comme lui!" lancé par Rocky dans son coin alors que Drago le malmène et du "Frappe celui du milieu!" répondu par son coin comme Jack Dempsey l’avait lancé à Max Baer lors du combat de ce dernier contre Max Schmeling en juin 1933.

Rocky V, qui date de 1990, permet de s’intéresser aux « Great White Hopes », les grands espoirs blancs des lourds, dont un des derniers représentants, le futur champion du monde WBO Tommy Morrison, interprète le protégé de Balboa, Tommy Gunn, piqué par un promoteur provocateur et sans scrupule, George Washington Duke, copie du célèbre Don King. Avec un rappel sur l’anecdote géniale d’un King cherchant à engager les frères Vitali et Wladimir Klitschko en faisant semblant de jouer un morceau de Mozart sur un piano… qui joue en fait tout seul!
Ce cinquième film offre aussi un clin d’œil à la relation entre Mike Tyson et son entraîneur trop tôt disparu Cus d’Amato avec une scène où Rocky revient dans son ancienne salle et revit un flashback avec son entraîneur décédé Mikey où ce dernier lui dit qu’il est sa raison de vivre et qu’il serait sans doute déjà mort sans lui, presque mot pour mot le discours de D’Amato à "Iron Mike" après son premier combat pro. La fin de ce Rocky V voit Gunn et Rocky s’affronter dans un combat de rue, références à la bagarre entre Mike Tyson et Mitch Green (le premier avait battu le second dans le ring deux ans auparavant) à la sortie d’un magasin de fringues à Harlem en 1988 ou à la légende – a priori fausse – de la rixe dans les rues de New York entre Harry Greb et Mickey Walker juste après leur combat pour le titre des moyens en 1925.
"Combien j'ai de doigts?"
La discussion se conclut sur le sixième film, Rocky Balboa, sorti en 2006, dans lequel le combat virtuel organisé par la presse entre Rocky et le champion impopulaire Mason "The Line" Dixon rappelle un épisode similaire à la bascule entre les années 60 et 70 avec un combat virtuel organisé (suite à un tournoi du même genre) entre Ali et Marciano et sorti au cinéma sous le titre The Superfight. Ce sixième opus, où le retour dans le ring du vieux Rocky face à Dixon – interprété par l’ancien champion du monde des mi-lourds Antonio Tarver – renvoie au titre mondial récupéré par George Foreman en 1994 à 45 ans et a été tourné en conditions réelles en marge du deuxième combat entre Jermain Taylor et Bernard Hopkins en décembre 2005 au Mandalay Bay de Las Vegas, voit également le héros tenir un restaurant dans lequel il raconte ses vieux combats aux clients.
Un rappel du resto monté par Jack Dempsey, où l’ancien champion du monde des lourds faisait pareil, fréquenté par Stallone dans sa jeunesse. Autre boxeur qui s’est lancé dans la restauration après sa carrière? Rocky Marciano. Les deux derniers des huit films produits jusqu’ici, Creed (2015) et Creed 2 (2018), offrent encore de beaux parallèles avec le milieu du noble art entre des histoires de "fils de", la participation des anciens champions du monde Tony Bellew et Andre Ward, la rivalité pugilistique entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ou les nombreuses tentatives infructueuses des champions des mi-lourds à conquérir la couronne des lourds.
Il y a aussi un énième clin d’œil à Chuck Wepner, le "vrai Rocky", qui avait vu son manager lui taper trois fois dans le dos pour lui permettre de répondre à la question "Combien j’ai de doigts?" posée par l’arbitre pour évaluer le niveau de sa vision à la fin de la neuvième reprise de son combat contre Sonny Liston en 1970, scène reproduite pour Adonis Creed (fils d’Apollo) lorsqu’il affronte son rival Ricky Conlan. L’interview avec Meddy Ligner et son livre vous en diront beaucoup plus. De quoi convaincre pour de bon que Sylvester Stallone méritait bien l’honneur qu’il a reçu d’être introduit au Hall of Fame (temple de la renommée) de la boxe pour tout ce qu’il a puisé dans cette discipline et tout ce qu’il lui a apporté en retour.