Boxe: "J’ai atteint mon rêve de gamin", Oubaali se raconte après l’annonce de sa retraite

Une longue page de sa vie se tourne. Mais les souvenirs restent, gravés, inoubliables. Début avril, Nordine Oubaali a annoncé sa retraite sportive au terme d’une carrière qui le voit quitter les rings avec un des plus beaux palmarès du noble art tricolore. Un parcours dont le boxeur français d’origine marocaine peut être fier. Très fier. Treizième d’une fratrie de dix-huit enfants, "Nino" se fait vite rattraper par l’amour familial pour la boxe.
Sa carrière amateur? 206 combats pour 187 victoires, le bronze mondial en 2007, l’or aux Jeux de la francophonie 2005 et aux Jeux méditerranéens 2009, cinq titre de champion de France de rang entre 2006 et 2010, mais aussi deux déceptions aux JO avec des défaites plus que controversées (ah, la boxe olympique…) en huitième de finale contre le combattant local futur champion Zou Shiming à Pékin en 2008 et en quart de finale contre l’Irlandais Michael Conlan à Londres en 2012.
"Plus le temps va passer, plus on va se rendre compte de ce qu’il a accompli"
Sa carrière pro, débutée en mars 2014? Un bilan de 17-1, avec 12 KO, un titre de champion de France des coqs à son cinquième combat, la ceinture WBA Inter-Continental au onzième, la ceinture WBC Silver au douzième puis le Graal au quinzième avec le titre mondial WBC des coqs conquis à Las Vegas en janvier 2019 face à un combattant américain, Rau’shee Warren. Il défendra ensuite deux fois victorieusement sa couronne, en juillet 2019 au Kazakhstan face au Philippin Arthur Villanueva et surtout en novembre 2019 au Japon contre le local Takuma Inoue, frère de la terreur de la catégorie Naoya (à qui il avait ensuite proposé un combat, refusé par le clan du Japonais), avant de la céder à la légende philippine Nonito Donaire en concédant la première défaite de sa carrière via un KO au quatrième round en mai 2021 en Californie.
Au passage, il sera devenu le premier Français champion du monde en quinze combats toutes catégories confondues, le premier Français à remporter la célèbre ceinture verte WBC chez les coqs et le premier Français champion du monde dans cette catégorie depuis Alfonse Halimi à la fin des années 50. "Est-ce qu’il mérite le Hall of Fame de la boxe française? Bien sûr, sans hésiter, juge Souleymane Cissokho, médaillé de bronze olympique à Rio, actuel champion WBA Inter-Continental des super-welters et consultant boxe pour RMC Sport. Et plus le temps va passer, plus on va se rendre compte de ce qu’il a accompli. C’est exceptionnel. Nordine est quelqu’un qui m’a toujours inspiré. Même avant de m’entraîner avec lui et son frère Ali au Top Rank Bagnolet. Quand j’étais un petit jeune qui venait de rentrer à l’INSEP, j’avais comme exemple Nordine, qui sortait le dernier de l’entraînement, qui donnait de son temps. Un vrai champion. Je rêverais d’avoir une carrière comme la sienne."
Invité vendredi dernier du RMC Fighter Club, le podcast de RMC Sport consacré aux sports de combat, Oubaali a accepté de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur pour raconter la sienne. "De quoi je suis le plus fier? Avoir été champion du monde et avoir décroché ce titre aux Etats-Unis, au MGM Grand de Las Vegas, face à un Américain. C’est énorme. Quand je décroche ce titre, je vis mon rêve de gamin. Je voulais être champion du monde et j’ai atteint mon rêve ce jour-là." Sur le plan global, sa vision de son parcours est plus nuancée. Car il n’a pas oublié les obstacles sur le chemin.
"Mon bilan est mitigé, estime-t-il. Il y a bien sûr une grande fierté d’avoir accompli tout ce que j’ai accompli et d’avoir représenté mon pays pour décrocher ce titre mondial aux Etats-Unis. Mais il y a aussi de la déception car malheureusement, notre discipline n’est pas assez soutenue en France. On est souvent livrés à nous-mêmes… On représente le pays, les personnes qui nous soutiennent et qui nous donnent de la force, mais arrivé à un certain niveau, on mérite au moins d’avoir un minimum de soutien pour pouvoir continuer à performer. Il faut respecter l’athlète et le champion."
Nordine évoque sans la citer l’approche de son combat contre Donaire, où il a été jusqu’à tenter d’interpeller le président de la République sur les réseaux sociaux pour qu’on lui permette d’obtenir son visa pour combattre aux Etats-Unis. Pas aidé, il devra finalement aller le chercher… au Mexique via l’entremise de Mauricio Sulaiman, président de la WBC, et de l’avocat de cette dernière. "Je ne demandais pas d’argent ou quelque chose comme ça, juste un papier, ce qui n’est rien du tout. J’avais déjà voyagé plusieurs fois aux Etats-Unis et je pense qu’on aurait pu m’accorder ce traitement de faveur. Malheureusement, je l’ai eu par un pays qui n’est pas le mien. Si on avait attendu que les choses se fassent en France, on serait resté bloqué et on aurait perdu la ceinture sur tapis vert. J’ai éprouvé un peu de dégoût. Il y avait déjà eu toute cette période Covid, où on était livrés à nous-mêmes, avec des salles fermées, etc. On a repris les entraînements car je voulais vraiment faire ce combat contre Donaire. Mais quand on voit comment ça s’est passé…"

Tout cela a bien sûr participé à sa décision de dire stop. Tout comme l’absence de perspective de gros combat(s) après la perte de son titre mondial et une envie qui s’étiolait au fil des mois sans monter dans le ring. "C’est un tout", résume-t-il. Sa fin de parcours permet aussi de revenir sur une folie. En octobre 2018, quelques mois avant de devenir champion du monde, Oubaali voit les médecins lui diagnostiquer une diplopie, problème oculaire qui fait voir double et gêne sa vision de face et vers le bas. "C’est quand tu ne vois pas les choses au bon endroit, précise-t-il. Au début, c’était vraiment compliqué de m’entraîner avec mais à force de le faire, j’ai appris à boxer avec ce handicap. Je savais que ce n’était pas dangereux pour ma vue, que je pouvais prétendre à combattre sans la perdre. C’était un gros handicap, surtout en boxe où on a besoin d’être précis et d’avoir un bon coup d’œil, mais je voulais vraiment aller au bout de mon rêve et j’ai rendu l’impossible possible."
Il ira conquérir la ceinture WBC avec ce problème. "C’est dingue, souffle Cissokho. Parfois, on est dur avec nos boxeurs, on leur en demande beaucoup, mais on ne sait pas ce qu’il y a derrière. Quand on apprend ça, on se dit que c’était vraiment un grand champion." Malgré plusieurs opérations qui la limiteront, sa diplopie sera toujours présente pour les trois derniers combats de sa carrière. "Ça allait un peu mieux, car avant Vegas ce n’était vraiment pas bon, mais je n’ai jamais plus été à 100%. Le Nordine avant le championnat du monde WBC était pour moi nettement meilleur que celui qui est devenu champion."
"Cette médaille aurait pu m'aider à faire bien plus"
Avec tout ça, quel est son plus grand regret? Avoir été "volé" pour une médaille olympique ou ne jamais avoir pu défendre son titre mondial chez lui, en France, dans des conditions normales pour lui? "L’un et l’autre, répond Oubaali. Ils se valent. J’ai arrêté la boxe amateur après Londres car j’étais passé à côté de cette médaille que je méritais. En France, le fait d’être médaillé olympique donne plus de visibilité et plus de soutien donc je pense que cette médaille aurait pu m’aider à faire bien plus. Et pouvoir défendre à la maison cette ceinture, que personne n’avait jamais eue dans ma catégorie en France, aurait été historique et génial pour mon public."
Et maintenant, quelle suite pour Nordine? Avec son parcours, on se dit qu’il a le profil pour accompagner des jeunes et redonner à la boxe tout ce qu’elle lui a apporté. "Je suis sur la création d’un site pour aller au contact des structures qui s’occupent d’éducation ou d’insertion par le sport, pour donner des conférences et aller vers le public. Je serai bien sûr toujours autour de la boxe, pour aider s’il y a besoin, mais il faut que les choses se fassent avec respect de la part des athlètes comme de la mienne. Il y a beaucoup de choses à faire." "Si je suis une entreprise, je n’hésite pas à faire appel à Nordine car quelle preuve de résilience, lance Cissokho. Pour booster les employés, pour faire énormément de choses, écouter un message comme ça ne peut être que positif pour toutes les structures avec lesquelles il va travailler."