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Boxe: "Notre sport est gangrené", les discours forts de Dovi et Cissokho après le rapport McLaren

Médaillé de bronze à Rio et ancien manager de l’équipe de France olympique, Souleymane Cissokho et John Dovi sont revenus en longueur dans le RMC Fighter Club sur la publication du premier rapport d’enquête du juriste Richard McLaren sur la corruption dans la boxe olympique. Découvrez l’émission pour tout savoir sur cette affaire.

C’est un rapport en forme de pavé dans la mare. Juriste canadien qui a notamment participé à la chute du système de dopage organisé dans le sport russe, Richard McLaren a provoqué un coup de tonnerre sur le monde du noble art avec la publication, jeudi dernier, de son premier rapport d’enquête (deux autres volets suivront en novembre 2021 et mars 2022) sur la corruption dans la boxe olympique. Au programme? Cent cinquante-deux pages où McLaren et ses équipes – mandatés par l’AIBA, Fédération internationale de la boxe amateur, pour tenter de faire le ménage dans cette discipline après avoir vu le CIO lui retirer son agrément et prendre la main sur le tournoi des derniers Jeux de Tokyo – reviennent notamment sur les JO de Rio, en 2016.

Un événement qui avait souri à la boxe tricolore avec un total de six médailles, dont deux en or. Onze combats sont dans le viseur de l’enquêteur, dont la finale des super-lourds entre Tony Yoka (vainqueur) et le Britannique Joe Joyce (qui réclame désormais la médaille d'or). Le huitième de finale désignant l’adversaire du Français en quart est également dans le viseur avec l’idée que le vainqueur aurait été favorisé contre le déroulé du combat pour offrir à Yoka un chemin plus rapide vers la finale, tout comme la demi-finale des légers entre Sofiane Oumiha (futur médaillé d’argent) et le Mongol Otgondalai Dorjnyambuugiin, un combat qui a donné lieu à une incroyable tentative de pot-de-vin en faveur de l’adversaire du Français via un juge-arbitre kazakhe.

Le rapport évoque deux personnages clés dans le système de corruption mis en place: l’ancien président de l’AIBA Wu Ching-Kuo et son ancien directeur exécutif Karim Bouzidi, exclu à trois jours de la fin des Jeux de Rio et accusé d’avoir mis en place un cadre où il a pu s’octroyer des prérogatives qui n’auraient pas dû être les siennes – notamment sur la commission de désignation des juges-arbitres – pour "manipuler les résultats" à l’aide de juges-arbitres "complices" ou "prêts à fermer les yeux pour garder leur place".

Très sérieuse, comme toujours avec McLaren, l’enquête se base sur des interviews de "plus de quarante témoins clés" (beaucoup sont restés anonymes "par peur de représailles, de menaces sur leur propre sécurité ou de perdre des possibilités de travailler dans le milieu") et des analyses de "près de deux millions de documents, des mails, des vidéos et des enregistrements audio", sans oublier une visite et une perquisition informatique dans les locaux de l’AIBA. Elle retrace un système qui existait déjà sous le prédécesseur de Bouzidi, le Sud-Coréen Ho Kim, et pointe une corruption qui remonte à plusieurs décennies dans la boxe olympique.

Il y a l’avidité classique et presque "pieds nickelés", avec un juge-arbitre qui raconte comment un officiel de l’Azerbaïdjan est venu dans sa chambre pendant les JO 2004 à Athènes avec une liasse de billets de 100 dollars. Il y a cette compétition en 2015 où un juge-arbitre en aurait corrompu six autres en leur offrant à chacun 5000 dollars planqués dans des tubes de dentifrice. Il y a une offre à 20.000 dollars pour qu’un boxeur cubain "lâche le combat" et permette à son adversaire chinois d’aller aux Jeux. Mais la dinguerie verse aussi dans la diversité.

Il y a ce juge-arbitre qui raconte comment on est venu l’intimider dans sa chambre, en rentrant tranquillement avec les clés, lors d’une compétition en Bulgarie. Il y a ce "don" de 10 millions de dollars de l’Azerbaïdjan à l’AIBA récompensé via des instructions pour favoriser les combattants de ce pays. Il y a ces "tests" incroyables avant les Jeux de Rio, avec des juges-arbitres corrompus qui passaient les consignes de résultat aux autres via de simples signaux par la main, les yeux ou le corps. Il y a ce tournoi en Roumanie où un juge-arbitre explique avoir été entouré par des collègues plus expérimentés qui lui ont tout simplement indiqué qui faire gagner.

Il y a ces réunions matinales à Rio où les juges-arbitres cinq-étoiles (censés être l’élite du genre mais qui ont participé activement au système) "pointaient la liste des combats du jour et indiquaient quel coin devait gagner si c’était serré". Bref, il y a du lourd, du très lourd même, mais il reste des questions et des zones d’ombre qui seront peut-être éclairées via les prochains rapports (le deuxième volet devrait notamment se pencher sur la période 2011-2012 avec les Jeux de Londres) d’une enquête durant laquelle "les preuves trouvées ne sont que la pointe de l’iceberg".

>> Pour écouter le RMC Fighter Club spécial boxe olympique et rapport McLaren, ça se passe par là

S’il est avéré par des preuves, ce système à vomir ne fera que confirmer ce qu’on ressent depuis longtemps dans la boxe olympique, une discipline "gangrénée" comme le raconte John Dovi. L’ancien manager de l’équipe de France olympique, qui a quitté son poste après Tokyo (il avait pris la décision avant) car dégoûté de tout ça à force, est revenu en long et en large sur ce rapport McLaren pour le RMC Fighter Club, le podcast consacré aux sports de combat de RMC Sport, et sur ce qu’il faut vraiment en tirer alors que la Fédération française de boxe le résume par les mots "allégation" et "supputation". Avec Souleymane Cissokho, médaillé de bronze chez les welters à Rio et qui voit un de ses combats (le quart), ils évoquent également la culture de corruption présente depuis trop longtemps dans cette discipline – "Souley", souvent "volé" dans sa carrière, en témoigne – et qui a fait tant de fois mal aux ambitions françaises, à commencer par celles du regretté Alexis Vastine.

Les révélations de McLaren et ses équipes ne concernent pas les boxeurs et leur entourage, eux aussi victimes d’un système qui les dépassait, et les auteurs de l’enquête ne réclament des sanctions disciplinaires (qui pourront être données par le CIO et/ou l’AIBA) que pour "l’ancien président, l’ancien directeur exécutif et certains juges-arbitres". Pour mieux comprendre toute cette affaire et ses conséquences, le RMC Fighter Club fait le tour de la question en quarante-cinq minutes. Avec un Dovi et un Cissokho qui ne mâchent pas leurs mots. Le légendaire Muhammad Ali avait dit un jour: "La boxe est un sport basique où on veut répondre à une question: qui va gagner?" Pour quelques juges-arbitres et officiels de l’AIBA, à Rio comme ailleurs, la réponse tombait parfois avant le combat.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport