UFC 280: Islam Makhachev, le couronnement de l’héritier?

"Islam sera bientôt champion!" Quand Khabib Nurmagomedov a pris sa retraite en octobre 2020, le roi invaincu des légers de l’UFC n’a pas eu à réfléchir longtemps pour adouber son successeur. La légende daghestanaise a désigné "(s)on frère d’une autre mère", Islam Makhachev. Ancien champion des lourds et des lourds-légers qui a côtoyé les deux chez American Kickboxing Academy (AKA), Daniel Cormier raconte cette anecdote: "Immédiatement après son dernier combat, la question de Khabib était: 'Comment est-ce qu’Islam devient champion?' Ce n’était pas à propos de lui, c’était 'Islam doit être le champion' et comment il pouvait l’aider."
Entre Nurmagomedov et Makhachev, qui affronte Charles Oliveira ce samedi soir à Abu Dhabi dans le combat principal de l’UFC 280 pour avec en jeu la ceinture des légers longtemps portée par le premier, un choc intriguant et ultra attendu, il existe bien plus qu’un respect sportif. Les deux potes ont grandi ensemble. Ils s’entraînent ensemble depuis aussi loin qu’ils s’en souviennent, au pays ou à l’AKA quand ils sont aux Etats-Unis. Le retraité est désormais l’entraîneur de l’autre, à ses côtés le long de la cage à chaque combat, ce qui fait parfois son effet (Thiago Moises avait avoué avoir passé du temps à visualiser le fait que Khabib serait dans son coin pour ne pas être intimidé par sa présence!). Et un jour, peut-être, sans doute, ils se raconteront au coin du feu leurs souvenirs d’anciens champions des légers de l’UFC.
Abdulmanap Nurmagomedov, papa de Khabib et coach des deux avant son tragique décès en juillet 2020, imaginait un passage de flambeau. "Avant sa mort, mon père m’avait dit: 'Quand tu finiras ta carrière, Islam doit arriver au sommet, ça doit se passer en même temps'", avait raconté Khabib à ESPN. Et d’enfoncer le clou: "Islam Makhachev était l’élève préféré de mon père. Il était comme son fils. Mon père n’arrêtait pas de dire qu’il était le futur champion. C’est pourquoi je dois être là et finir le travail que mon père a commencé." Une mission facilitée par les armes techniques et physiques du garçon.
Avec une question derrière: le parallèle souvent fait sur ce plan avec Khabib, taiseux et gros travailleur comme lui, est-il vraiment pertinent? Venu du combat sambo comme son pote (les deux ont été champions du monde dans cette discipline), Islam affiche lui aussi une lutte de très haut niveau, étouffante pour l’adversaire. S’il vous met au sol, ce qu’il tente à la première ouverture, votre fin de round va être longue. Mais il y a de grosses différences de style. Un Makhachev plus "propre", plus technique, avec une lutte un peu plus tournée vers la recherche directe de la prise de soumission quand Nurmagomedov vous harcelait de sa pression physique et de ses coups au sol (ground-and-pound) pour vider votre barre d’énergie avant de finir le travail. Pas la même approche.
Mais son jeu debout, en pieds-poings, apparaît meilleur, plus diversifié et plus piquant. "Il y a une différence de striking, confirme Taylor Lapilus, combattant français à l’UFC et consultant RMC Sport. Islam, lui, il boxe. Khabib est plus efficace dans sa lutte et son grappling mais Islam est plus complet." Autre différence, Makhachev ne présente pas l’aura d’invincibilité qui accompagnait son aîné, parti à 29-0 sans jamais être vraiment mis en danger. Il a déjà connu la défaite, sa seule en carrière (22-1), pour son deuxième combat à l’UFC en octobre 2015, mis KO au premier round par Adriano Martins qui l’avait surpris en contre avec un crochet gauche sur une erreur de gestion de la distance et de lancement mal évalué en striking.
"Ça peut arriver aux meilleurs, ça aurait pu arriver à Khabib s’il avait continué à combattre, rappelle Javier Mendez, leur coach chez AKA. Mais Islam a appris de ce combat et a très bien réagi. Il a continué d’apprendre et de travailler sur différents styles de striking. Il a par exemple travaillé avec le coach de l’équipe olympique russe de taekwondo car c’est quelqu’un qui cherche toujours à évoluer." L’héritier annoncé semble progresser de sortie en sortie, aidé par son "frère" de presque pile trois ans de plus. "Je me suis beaucoup amélioré en travaillant avec lui, surtout en lutte", appréciait Islam en mars 2021 dans le Hindustan Times.
Javier Mendez raconte que Makhachev est le seul à avoir gagné des rounds contre Khabib en sparring. Marrant quand on sait qu’il expliquait à tous les micros que Khabib n’avait jamais été surpassé à l’entraînement quand ce dernier était toujours actif... Dans un sourire, Islam relativise: "Je suis content que Khabib soit retraité car on sparre beaucoup moins et plus aussi dur". Leur but commun est clair. Reprendre cette ceinture des légers calée autour de la taille de Nurmagomedov quand il a quitté la cage. Pour respecter la volonté du regretté Abdulmanap, il aurait même dû devenir champion dès l’envol de "The Eagle". Khabib s’en moquait avec bienveillance et sourire: "J’ai dit à Islam: 'Tu es un peu en retard mon frère'. Il doit montrer au monde qui il est." Pour Daniel Cormier, le Daghestanais est" le meilleur léger de la planète".
Javier Mendez va plus loin: "Il est le meilleur combattant à n’avoir jamais gagné une ceinture de l’UFC de l’histoire. Il est tellement complet. C’est mon meilleur combattant dans presque tous les domaines. C’est pour ça que Khabib en dit autant de bien. Khabib n’est pas connu pour dire des choses qu’il ne pense pas. La seule façon de le battre, c’est qu’il fasse une erreur et se fasse attraper. Vous n’allez pas le dominer round après round. C’est un athlète fantastique avec le bon état d’esprit pour faire de grandes choses dans ce sport." Mais comme Nurmadomedov avant lui, Makhachev a dû faire face à des ralentisseurs sur la route.
Des combattants mieux classés ont refusé de l’affronter, question de balance bénéfice-risque, et lui-même a déjà dit non à des combats car pas assez prévenu à l’avance pour bien se préparer. Sans oublier un an et demi sans combattre, de septembre 2019 à mars 2021, avec plusieurs combats annulés en raison de blessures et de la pandémie. Nouveau grain de sel début 2022: Makhachev, quatrième au classement des challengers, devait à la base affronter Beneil Dariush, alors troisième, avec à coup sûr statut de challenger au titre des légers pour le vainqueur. Mais son adversaire, blessé à la jambe, a déclaré forfait. A le croire, plusieurs membre du top 15 ont ensuite refusé de relever le challenge au pied levé avant l’accord de Bobby Green, non classé et qui venait de combattre (et de gagner)… quinze jours avant à l’UFC 271.
Une étape encore passé avec brio par Makhachev, vainqueur par TKO au premier round pour sa quatrième victoire en moins d’un an et son dixième succès de rang à l’UFC. Le Daghestanais réclame alors le champion, Charles Oliveira, mais l’UFC préfère donner à Justin Gaethje le strapontin de futur challenger. Un combat conclu par un succès du Brésilien mais avec la perte de sa ceinture en raison d’une pesée ratée pour quelques grammes. Résultat? L’UFC finit par booker le combat que tout le monde attend, Oliveira-Makhachev, titre vacant en jeu, en feu d’artifice final d’un magistral UFC 280 à Abu Dhabi.
Problème? Certains, dont Oliveira lui-même, affirment que Makhachev ne mérite pas cet honneur alors qu’il n’a jamais battu un membre du top 5 de la catégorie et ne le doit qu’à sa proximité avec Khabib. Il y a sûrement un peu de vrai: l’UFC a longtemps laissé Nurmagomedov en salle d’attente d’une chance pour le titre et n’a sans doute pas voulu reproduire ce schéma avec son compatriote. Mais sur la domination montrée lors de ces derniers combats, Makhachev a bien sa place pour défier celui qui a déjà battu tous les autres pensionnaires du top 5 des légers.
Devant la dernière marche pour la ceinture, le Daghestanais ne cache pas sa confiance. Dans un choc sorte de version modifiée du longtemps attendu Khabib-Tony Ferguson, il promet de soumettre Oliveira, la spécialité du Brésilien, pour ne laisser aucun doute sur l’identité de celui qui mérite le titre. "Ça va être un bon combat car nous avons presque le même style. Il a d’énormes qualités en grappling, un bon striking. Mais je ne pense pas que ça va être difficile pour moi. Je peux l’amener facilement au sol car il n’a pas de super qualités en lutte même si son grappling est de haut niveau."
Longtemps discret au micro, Makhachev commence à mieux maîtriser l’anglais et se lâche un peu plus pour chambrer, sans doute conscient qu’il faut aussi donner sur ce plan pour se vendre et devenir une superstar à l’UFC. Comme Khabib, Makhachev gardera toujours des critiques pour un style goûté par les connaisseurs mais parfois difficile à apprécier pour le grand public. Son dernier adversaire, Bobby Green, l’avait résumé avec ses mots: "Même s’il finit ses adversaires et qu’il a peut-être l’étoffe d’un champion, c’est juste ennuyeux. Personne ne veut le voir. Tout le monde s’en fout. Je m’endors en regardant ses combats."
Dans la force de l’âge à tout juste 31 ans, Makhachev a pourtant bel et bien mérité son moment dans la lumière abandonnée par Khabib il y a deux ans. "C’est le moment parfait pour montrer qu'il est le meilleur, appuie l’ancien roi des légers. J’avais 29 ans lorsque je suis devenu champion. A cet âge, ton mental et ton physique sont à leur meilleur. 31, 32, 33 ans, c’est l’âge parfait. Physiquement, mentalement, en boxe, en grappling, Islam est un cran au-dessus de tous les autres. Il peut écraser Oliveira." Favori des bookmakers face à Oliveira, presque une insulte au Brésilien vu son parcours récent, Makhachev ne sera jamais aussi star que Khabib, propulsé étoile par sa rivalité avec Conor McGregor. Mais il pourrait très bientôt porter la même ceinture.