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UFC 314: platisme, complotisme et ceintures de sécurité... Bryce Mitchell, ce que l’Amérique fait de pire

Bryce Mitchell, le 7 décembre 2024 à l'UFC

Bryce Mitchell, le 7 décembre 2024 à l'UFC - Steve Marcus / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Bryce Mitchell sera à l'affiche de l'UFC 314 (dimanche à partir de 0h sur RMC Sport 1), avec un choc explosif et attendu contre le Brésilien Jean Silva chez les -66kg. Depuis sa dernière apparition dans la cage en décembre dernier, le combattant de l'Arkansas, symbole d'une Amérique profonde, s'est fait remarquer pour une odieuse tirade sur Adolf Hitler. Une énième sortie de route, pour un homme qui déteste les ceintures de sécurité, et qui demeure persuadé que la Terre est plate, que l'école transforme les enfants en homosexuels et que son adversaire est possédé par le Diable.

Jusque-là, l’évocation de son nom provoquait, parmi les fans de l’UFC, un petit rire moqueur. Bryce Mitchell? Un phénomène de foire. Un égaré. Un illuminé de service dont les prises de position les plus dingues nourrissent depuis des années des pages et des pages de débats sur Reddit, et des compilations sur YouTube.

Ça, c’était avant ce 30 janvier 2024. Avant que le combattant américain de MMA, dans un épisode du podcast ArkanSanity depuis supprimé, ne se fasse l’avocat… d’Adolf Hitler, "un type avec qui [il] aurait pu aller pêcher", qui "s’est battu pour son pays", voulant seulement le "purifier en chassant les Juifs cupides qui le détruisaient et transformaient les gens en homosexuels". "Quand il a commencé à consommer de la méthamphétamine et qu'il s'en est pris à la Russie, je crois que c'est à ce moment-là qu'il est devenu complètement fou", a ensuite cru bon de nuancer Mitchell. Pour en remettre une couche:

"Mais à un moment donné de la vie d'Hitler, je ne pense pas qu'il ait été si mauvais que ça", a-t-il conclu.

Forcément, il n’a fallu que quelques heures pour que le bad buzz devienne mondial, que son nom fasse les gros titres des médias généralistes américains, et ne traverse les frontières. Épinglé par nombre d’historiens (vous imaginez pourquoi), de responsables politiques, religieux, et par un bon paquet d’autres combattants pour cette saillie antisémite et révisionniste, l’athlète de 30 ans a aussi eu droit, quelques heures plus tard, à sa fessée publique par Dana White, le patron de l’UFC.

"J'ai entendu beaucoup de choses stupides et ignorantes dans ma vie, mais celle-ci est probablement la pire", a lancé son employeur, homme de confiance de Donald Trump aux États-Unis. "Je pense qu'il est littéralement l'un des êtres humains les plus stupides qui soit. On ne peut pas réparer les gens stupides."

On peut en revanche les sanctionner. Sauf que Dana White, interrogé sur le sujet, a aussitôt brandi la pancarte "liberté d’expression". Et voilà que deux mois et demi plus tard, ayant échappé à toute suspension ou amende, Bryce Mitchell est de retour sur scène, programmé ce dimanche en carte principale de l’un des événements les plus attendus du début d’année: l’UFC 314 à Miami (à partir de 0h sur RMC Sport 1).

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Autant que son combat contre le Brésilien Jean Silva chez les -66kg, c’est aujourd’hui la fight week de Mitchell, avec son lot d’obligations médiatiques, qui semble attendue et/ou redoutée par les observateurs, chaque prise de parole risquant d’offrir une nouvelle ineptie. L’UFC en a d’ailleurs pleinement conscience et n’hésite pas à jouer dessus. Tellement en colère contre le combattant, Dana White et ses sbires… l’ont invité à la conférence de presse de présentation de l’UFC 314 début mars, ce qui n’est pas vraiment l’usage habituel pour un athlète ne prenant pas part au main event ou au co-main event. Mais une mauvaise publicité reste une publicité. Et Bryce Mitchell est désormais une attraction.

Des débuts de rêve dans l'octogone... et puis le Covid, cette création du gouvernement américain

Si son effondrement intellectuel a dernièrement éclipsé ses performances dans la cage, "Thug Nasty" n’est pourtant pas un mauvais combattant, loin de là. Fier représentant de l’Arkansas, un état rural et conservateur qui a pratiqué la ségrégation jusqu’à la fin des années 1960 et pratique toujours la peine de mort, lutteur de haut niveau au lycée, et diplômé d’économie à l’université d’Harding, Mitchell a disputé ses premiers combats amateurs de MMA en 2013, à 18 ans.

En 2018, il participe au populaire télécrochet de l’UFC, The Ultimate Fighter. Bien que battu par Brad Katona en demi-finale, son niveau au sol et ses redoutables soumissions lui permettent de taper dans l’œil de l’organisation, et de décrocher son premier contrat. Ses débuts sont retardés par un surprenant accident (il se déchire le scrotum à l’été 2018 avec une perceuse), mais ils sont plus que réussis. Bryce Mitchell bat Bobby Moffett en mars 2019 avec un bonus à la clé, puis inflige quelques mois plus tard un "Twister" à Matt Sayles, qui lui vaudra le prix de la soumission de l’année 2019. Il faudra attendre décembre 2022, après quinze victoires en autant de combats pros, pour voir Mitchell concéder sa première défaite, contre le futur roi des -66kg, Ilia Topuria. Entretemps, "Thug Nasty" a intégré le convoité top 15 de la division. Et il s’est aussi fait remarquer hors de l’arène…

Le point de bascule idéologique, publiquement du moins, semble remonter au début de la crise du Covid. En mars 2020, alors que la planète se confine peu à peu, celui qui élève aussi du bétail hors de la cage part en guerre contre le gouvernement américain.

"Je pense que c'est le gouvernement qui a créé ce foutu virus", ose-t-il.

"Je pense qu'ils ont infecté les gens exprès pour provoquer une sorte de chaos. (…) Notre gouvernement va essayer de prendre nos armes. C'est triste, mais c'est ce que je vois arriver. (…) Et cela ne me surprendrait pas qu'un énorme bordel ait lieu. Je parle de tout le monde qui tire sur tout le monde". Le ton est donné.

Une Terre plate? "Faites vos propres recherches"

En 2022, après avoir sorti son album de country rap, Pasture Fire, Mitchell verse dans une autre théorie du complot. Assurant avoir fait ses "recherches", le combattant veut prouver à tous… que la Terre est plate, et recouverte d’un dôme céleste. Si d’autres sportifs américains de renom ont donné dans le platisme, on pense notamment à la star NBA Kyrie Irving, le lutteur est incontestablement l’un des plus insistants sur le sujet.

Il y a quelques semaines encore, en février, Bryce Mitchell dégainait sur Instagram son plus beau schéma – un dessin enfantin – censé nous prouver qu’un hélicoptère faisant du surplace en l’air pendant des heures atterrirait exactement à son point de départ, et donc que la Terre ne tournerait pas.

"Si vous ne comprenez pas la géométrie, les sphères, les cercles, alors ça vous dépasse… Mais ce que je dis fait parfaitement sens. Je suis en fait beaucoup plus intelligent que ce que vous pensez. (…) Faites vos propres recherches", expliquait-il.

Pas totalement convaincu par cette démonstration, et visiblement très excité à l’idée d’accrocher le nom du problématique Mitchell à son tableau de chasse, son futur adversaire Jean Silva lui a promis un contre-argumentaire salé: "Je vais te taper jusqu’à ce que tu voies que la Terre est ronde", a lancé le Brésilien sur X, avant de pousser la vanne jusqu’à venir début mars en conférence de presse armé… d’un globe terrestre.

La petite mise en scène, et les insultes qui ont suivi, n’ont pas du tout amusé Bryce Mitchell. Elles l’auraient même bouleversé. "Chaque nuit depuis la veille de la conférence de presse, je fais des rêves démoniaques", explique-t-il le 17 mars depuis sa voiture. "Des légions de démons m'attaquent à chaque fois que je dors, et pas une seule fois depuis ce jour je n'ai connu un sommeil paisible. (…) Je ne me bats pas seulement contre un homme le 12 avril. Je me bats contre un homme possédé par une légion de démons. (…) Je gagnerai ce combat au nom de Jésus-Christ. Les démons de cet homme seront chassés et il tombera devant moi comme Goliath est tombé devant le roi David."

Son fils n'ira pas à l'école, de peur qu'il devienne "gay ou communiste"

La Bible, son obsession. Fervent chrétien, Bryce Mitchell a fait ces dernières années des textes religieux un bouclier. C’est derrière eux qu’il se cache – littéralement – en septembre 2023, lorsqu’il entre dans l’octogone avant son combat contre Dan Ige, hurlant "Freedom" ("Liberté") comme un forcené.

C’est derrière eux encore qu’il se cache en mai 2024, lorsqu’il explique sur Instagram qu’il ne scolarisera jamais son fils Tucker dans une école, de peur "qu’il devienne gay ou communiste", et "adorateur de Satan". C’est derrière eux enfin qu’il se réfugie en juillet 2024, dans le PBD podcast, lorsqu’il qualifie Elon Musk de "faux prophète" et même "d’Antéchrist". "Elon Musk a ce faux programme spatial appelé Space X, et laissez-moi vous dire qu'il n'a pas dépassé le firmament. Aucun homme n'a jamais dépassé le firmament", argumente-t-il. "C'est l'un des plus grands escrocs que l’humanité ait jamais vus."

Difficile, en revanche, de voir un lien entre les Évangiles et l’une des dernières batailles de Bryce Mitchell: celle contre les ceintures de sécurité. "Personnellement, je ne les aime pas parce que je me dis: ‘Et si tu dois sauter de la voiture et rouler?’ Personne ne pense jamais à cela", déclare-t-il avec le plus grand sérieux du monde en décembre 2024, à 48 heures de son combat (remporté) contre Kron Gracie.

"Ce n'est pas au gouvernement de décider si je dois porter ou non ma ceinture de sécurité", établit-il.

Ce jour-là, "Thug Nasty" s’apprêtait à faire son grand retour dans la cage, un an après un KO terrifiant subi contre Josh Emmett en décembre 2023, et une lourde commotion.

Certains diront que le choc n’a sans doute rien arrangé à la condition de Bryce Mitchell. Mais le problème est évidemment plus profond. Assez proche de lui, le très sulfureux Sean Strickland a sa théorie le concernant. "Bryce est le résultat de quelqu’un qui passe trop de temps sur Internet. Rien de plus, rien de moins", observait-il fin janvier, après l’épisode Hitler. "Il est un pur produit d’Internet."

Et certainement pas un cas isolé, selon Anthony Smith, ancien combattant de l’UFC élevé dans le Nebraska, autre lieu de l'Amérique profonde: "Bryce Mitchell me rappelle beaucoup, beaucoup de gars avec qui j’étais au lycée." Ce qui est sans doute le plus terrifiant.

https://twitter.com/clementchaillou Clément Chaillou Journaliste RMC Sport