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UFC Paris: "Je viens flinguer la fête", le showman Tai Tuivasa se livre avant le choc contre Gane

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Machine à KO, Tai Tuivasa sera opposé à Ciryl Gane le 3 septembre dans le combat principal de l’UFC Paris, premier événement en France de la grande organisation de MMA. L’occasion de mieux découvrir le poids lourd australien, personnage attachant au passé torturé. RMC Sport est parti à sa rencontre à Dubaï, où le numéro 3 du classement des challengers préparait son choc contre "Bon Gamin". Entretien.

Tai, commençons par votre enfance à Mount Druitt, l’un des quartiers les plus dangereux de Sidney. A quoi ressemble le quotidien là-bas?

Mount Druitt, c’est pour les battants. Des gens forts, avec un grand cœur. Peut-être que ce n’est pas le meilleur endroit pour débuter dans la vie... mais on s’en sort à la fin.

Grandir là-bas veut dire devoir se battre dans la rue. Ça vous arrivait souvent?

Je me suis beaucoup battu dans mon enfance. C’était quelque chose de banal. Chaque semaine probablement… C’est marrant quand tu es enfant. Mais maintenant je suis adulte, et j’ai des enfants à éduquer. Ça fait partie de l’apprentissage. En particulier dans la banlieue d’où je viens.

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Quelle est la chose la plus importante que vous ayez retenue de cet endroit si dur?

L’adversité. Là d’où je viens, on m’a appris à toujours essayer de m’élever.

Parlons de votre ADN. Votre père est samoan, une île où combattre est une tradition. Comment se transmet-elle?

J’ai été éduqué avec des croyances fortes et une grande détermination. On nous apprend à être durs. Se battre, c’est un peu dans notre sang, oui.

Comment vous expliquez que les Samoans soient tous si grands et si forts?

On est tous costauds, oui… On mange bien! (Rires.) Et on a de bons gènes.

Le tatouage samoan "pe’a" signifie le passage à l’âge adulte, et vous avez demandé à le faire quand vous étiez enfant.

Mon oncle m’a dit que je n’étais pas encore assez fort pour le faire. Ma mère m’a expliqué que c’était seulement pour les hommes. Je lui ai dit que je le ferai pour elle. J’ai tenu parole. Pe’a est un tatouage très important dans notre culture. Je suis très fier de l’arborer. Je représente ma culture et ma famille partout dans le monde. Ça compte beaucoup pour moi.

Samoa est une terre paradisiaque, mais il y a beaucoup de pauvreté et de problèmes liés à l’alcoolisme. Comment cela affecte-t-il le quotidien?

C’est comme partout. Tu peux prendre différents chemins. Certains chemins te mènent aux mauvais endroits. Je suis tombé dans l’alcool moi-même avant de me rendre compte que ce n’était pas ce que je voulais. Je voulais mieux que ça pour mes enfants et ma famille.

Votre mère est aborigène, un peuple oppressé historiquement par les Australiens. Comment expliquez-vous le racisme des continentaux à l’encontre des îliens?

L’Australie a une longue histoire. Probablement la plus longue de l’Humanité. Je suis fier d’être aborigène et de faire partie de l’une des plus anciennes ethnies encore présentes sur terre. L’Australie a la mémoire courte, c’est sûr. Elle a une longue histoire mais n’en raconte qu’une petite partie.

Avez-vous tissé des liens avec ces deux cultures issues de vos parents?

Clairement. Je suis un cocktail des deux cultures. Il faut vivre avec ce passé et réussir à le surpasser. Je l’ai assimilé, et ça a plutôt bien marché pour moi.

Entre votre enfance dans ce quartier difficile et votre ADN fait de force, de colères et de violences, vous étiez prêt à vous battre toute votre vie…

Totalement… Je me bats depuis très longtemps, que ce soit physiquement ou mentalement. C’est ce que je fais. J’adore ça. C’est clairement ce qui définit l’homme que je suis aujourd’hui.

Le combat aura déjà pu être une échappatoire vers le succès, mais le rugby a été le premier sport que vous avez choisi. Pourquoi?

Le rugby est très populaire en Australie. Tout le monde y a joué en grandissant, tous les enfants le pratiquent en club. Quand j’étais petit, j’étais plutôt bon mais… il y avait trop de choses à respecter pour moi. J’ai dû trouver une autre voie.

Vos entraîneurs nous ont dit que vous étiez très doué… sur le terrain. Mais aussi indiscipliné et irrespectueux! Que pensez-vous réellement du milieu du rugby?

Au rugby, si tu as un bon entraîneur, ça va. Sinon il faut faire de la lèche pour pouvoir jouer. Je ne suis pas comme ça. Si je joue bien, tu m’alignes ! C’est très simple…. Oui, je n’aime pas vraiment le rugby. (Rires.) Je n’aime pas recevoir des consignes. J’aime faire les choses à ma façon.

Seul?

Avec ou sans les gens… Tant que j’y arrive.

Vingt-quatre heures avant d’arrêter le rugby, vous avez perdu 20.000 dollars au casino. C’était un hobby ou une addiction?

C’était une période de ma vie où je suppose qu’on peut parler d’addictions, oui. Je me suis tourné vers ça pour combler autre chose. Ma famille me manquait, je ne sortais plus de chez moi. Boire et parier est culturel dans le rugby, et ça finit par vous couper du monde. J’ai décidé de rentrer pour me ressourcer et de laisser tout ça derrière moi.

L’alcool aurait-il pu être un gros problème dans votre vie? Pensez-vous qu’il aurait pu mettre en péril votre destin, si vous n’aviez pas trouvé la force de réduire?

L’alcool et la drogue sont très présents là d’où je viens. J’ai grandi au milieu de la drogue et de l’alcool. Mais je pense que ça dépend de chacun, ce sont des choix personnels. Bien sûr que j’aime boire de la bière, je suis connu pour ça. Mais il y a un temps pour travailler et un temps pour s’amuser.

Quand vous avez arrêté le rugby, aviez-vous la moindre idée de ce que vouliez faire pour vivre?

J’ai dit que j'allais combattre. Je suis plutôt bon pour ça. Si je dis quelque chose, je le fais. Je donne le meilleur de moi-même.

En 2012 vous avez fait un combat d’exhibition contre une ancienne gloire du rugby australien, connue pour être un "Bad Boy". Vous aviez 19 ans et lui 38. Pourquoi avoir accepté ce combat?

On me l’a demandé! (Sourire.) Si tu me demandes de me battre, je me bats. J’ai pris ça comme un job. Si tu me payes, je me bats. Je me fiche de savoir contre qui. Tant que tu me donnes mon argent. (Sourire.)

Ce combat s’est passé devant une foule en délire. Vous vous êtes dit: "Ok, je suis bon là-dedans, c’est ce que je veux faire pour vivre!" Vous êtes-vous fixé de grands objectifs?

J’ai toujours été un bon combattant. Dès mon enfance, j’ai combattu un peu partout. Je ne pensais pas prendre ça sérieusement. Je traversais beaucoup d’épreuves à ce moment-là. Quand j’ai quitté le rugby, j’étais dans la rue. Je buvais, je me droguais. Je profitais de la vie comme beaucoup de jeunes. Je n’avais pas de modèle pour me montrer quel chemin emprunter. Je n’en avais pas jusqu’à l’arrivée de mon fils. S’il y a bien une chose que je ne voulais pas, c’était être un père de merde. J’ai dû me sortir les doigts du c** et me mettre au travail.

Y a-t-il une personne qui vous a fait y croire, qui a rendu possible la vie que vous avez aujourd’hui?

J’ai eu la chance de côtoyer Mark Hunt (ancien combattant néo-zélandais de l'UFC et ancien vainqueur du K-1 World Grand Prix, ndlr). Il m’a pris sous son aile et m’a fait découvrir le monde. Il m’a montré que si on fait les choses bien et qu’on travaille dur, on peut avoir une belle vie et voyager dans le monde entier. Je ne m’en étais pas rendu compte avant de vivre ça avec lui. J’étais dans son coin à l’UFC et je disais: "Je peux le faire aussi. Je peux m’offrir une meilleure vie grâce à ça." Cela a probablement été l’une des meilleures décisions de ma vie. J’ai pu traverser le monde, découvrir des endroits et des choses fabuleuses. Tout ça grâce au combat.

Vos débuts en MMA ont été impressionnants: six combats, six KO ou TKO au premier round. Encore un KO rapide pour vos débuts à l’UFC contre Richard Coulter avant d’enchaîner deux autres victoires, une par TKO contre le Français Cyril Asker et une sur décision face à l’ancien champion Andrei Arlovski. À ce moment-là, ça semblait trop facile?

On peut dire ça, oui. Quand les choses sont trop faciles, tu deviens arrogant. Tu penses que ça ne s’arrêtera jamais. C’est exactement ce qui m’est arrivé.

Est-ce pour ça que vous avez enchaîné trois défaites en moins d’un an, entre décembre 2018 et octobre 2019? Que s’est-il passé exactement?

Si tu te dis "c’est moi le boss!"… (Sourire.) Dans la vie, si tu penses que tu es le meilleur, tu commences à te la raconter. C’est ce qui m’est arrivé. J’ai pris ça à la légère, je m’entraînais moins dur... Quand tu te crois au-dessus de tout, la vie te fait redescendre sur terre.

Quelle est la décision la plus importante que vous ayez prise pour retrouver le sommet?

Être honnête avec moi-même. Pour réussir et pour faire les choses bien, il faut être honnête avec soi-même. Je pense l’avoir été après cette série de défaites. J’ai dû tout remettre à plat et penser à ce que je voulais vraiment. J’ai dû me restructurer pour donner une meilleure orientation à ma carrière.

Se restructurer, c’est-à-dire devenir plus professionnel. Dix de vos douze premiers combats se sont déroulés en Australie. Vous avez décidé de vous expatrier aux USA, en Thaïlande et ici à Dubaï. Vous aviez besoin de fuir certaines tentations?

Oui, complètement! (Rires.) Partir m’a aidé à me retrouver, à me recentrer sur le travail. Et quand je suis concentré sur un job, je sais que j’y arriverai. J’avais clairement trop de tentations en Australie... Je donne le meilleur de moi-même quand je quitte ma zone de confort.

L’UFC est un monde impitoyable. Quatre défaites de suite auraient pu mettre fin à votre carrière. Est-ce que vous aviez la pression quand vous êtes retourné dans la cage contre Stefan Struve en octobre 2020?

Je savais évidemment que je risquais d’être "coupé" par l’UFC si je perdais. Mais ça ne m’a pas du tout mis la pression. Avant Struve, j’ai travaillé pour changer beaucoup de choses. J’étais très confiant quant à l’issue du combat. Évidemment, ça trotte dans un coin de ta tête: 'Si je perds, je vais me faire virer'. Ça m’a traversé l’esprit, mais j’avais bien travaillé et j’étais confiant. Je savais que je n’allais pas perdre.

Vous en êtes désormais à cinq victoires consécutives. La dernière, impressionnante, contre Derrick Lewis. Racontez-nous l’incroyable histoire de la signature de ce combat.

J’étais ici, à Dubai, bourré… (Rires.) J’ai signé bourré, je ne m’en souvenais même pas. Je me suis réveillé le lendemain avec plein d’appels manqués…. C’était un signe pour me dire que je devais arrêter de boire! (Rires.) Tant mieux. J’allais faire ce combat de toute façon. Mais je ne me souviens pas l’avoir signé… (Rires.)

Vous avez battu Lewis chez lui, à Houston. Les Américains aiment les KO, les provocations et le show, comme vous faites avec le "shoevasa" (boire une bière dans une chaussure portée après chaque victoire). Vous aimez cette partie du métier?

Bien sûr! C’est plus qu’un simple combat. Le divertissement fait partie de ce business. J’adore combattre et les gens. Mais j’aime encore plus la bière! Je n’aime pas vraiment l'entraînement. Il y a beaucoup de sacrifices. Et quand j’entre dans la cage, devant la foule, je ne pense qu’à la victoire. Avoir le poing levé à la fin est l’une des meilleures sensations du monde.

C’est exactement ce que votre coach nous a dit: "Tai est moyen à l’entrainement. Le vrai Tai Tuivasa est celui qui entre dans la cage". Que ressentez-vous exactement à ce moment-là?

C’est comme une drogue. Si tu n’as jamais combattu, tu ne peux pas comprendre... C’est comme si j’avais quelque chose à prouver. Pas seulement à ma famille ou mes amis, mais surtout à moi-même. Quand tu gagnes, c’est indescriptible. Et tu ne penses qu’à revivre ce moment.

Après avoir battu Lewis vous aviez le choix entre combattre Tom Aspinall, qui était sixième au classement des challengers, et Ciryl Gane, qui est numéro 1. Pourquoi avoir choisi le Français?

Dans la vie, tu veux avancer, pas reculer. Je pense que je mérite ce combat contre Ciryl. J’en suis à cinq victoires consécutives, l’une des plus longues séries dans l’histoire de l’UFC. Je pense que je le mérite. C’est une étape de plus qui me rapproche d’un combat pour la ceinture.

Cette soirée sera un grand événement pour Ciryl mais aussi pour la France, où l’UFC a longtemps été interdite. Vous venez pour gâcher la fête?

Je me sens béni de pouvoir écrire l’histoire. Je sais que c’est le premier UFC en France. Je pense que ça va être un grand moment. Je ne suis d’ailleurs jamais venu à Paris. Malheureusement, c’est ce qu’on fait. C’est mon job, et je ne viens pas pour perdre.

Gane n’a jamais été mis KO, ce qui est votre spécialité. Le mettre KO devant son public aurait une saveur particulière?

Carrément! Si je le mets les gens K.O, je gagne plus d’argent. C’est comme ça que ça marche. C’est mon job.

A propos de vos limites, certains disent que vous n’avez pas de plan B si vous ne finissez pas avec vos poings, que vous n’avez pas l’endurance pour les combats qui durent. Que leur répondez-vous?

Si tu fais dormir, pas besoin d’endurance. Je fais dormir les gars. Ça me va.

Pour atteindre le sommet et y rester, devez-vous devenir plus complet? Plus fort au sol, notamment?

On doit toujours s’améliorer, dans tout ce qu’on fait. Je m’améliore tous les jours. Bon… je ne vais pas me mettre à faire que du jiu-jitsu…. Mon style, c’est de répondre par les coups. Tu peux faire ton jiu-jitsu contre moi, mais si t’en prends une dans la bouche, eh bien t’en prends une dans la bouche! (Sourire.)

A quoi va ressembler ce combat selon vous?

Ça va être un combat distrayant. Ciryl Gane est un super athlète, un bon combattant. Je suis fan de son style. Mais je vais lui imposer une guerre comme il n’en a jamais connue. Je suis un guerrier. Je ne compte pas les points. Je ne suis pas technique. Je suis un guerrier. Et quand c’est la bagarre… tu dois y aller.

Ciryl a perdu pour la première fois contre Francis Ngannou en début d’année. Il a besoin d’une victoire pour rebondir. Devant son public, pensez-vous qu’il aura une pression maximum?

Non. Ciryl n’a perdu qu’une fois, et contre le champion. Il ne doit pas ressasser. Je suis sûr qu’il va revenir, qu’il sera parfaitement préparé et prêt à m’arracher la tête. D’autant qu’il va combattre devant les siens. J’imagine cette flamme en lui, et tout le travail qu’il met en œuvre. J’espère qu’il comprend que moi aussi, je viens faire mon job.

Il sait que le public attendra du spectacle et un KO. Ça peut le pousser à faire des erreurs?

On verra ça! C’est le plus intéressant avec les combats: on écrit ce qu’on veut avant, à quoi ça pourrait ressemblait. Mais quand on entre dans la cage, on efface tout.

Son surnom est "Bon Gamin". Y a-t-il de la place pour les bons gamins dans cet univers UFC?

"Bon gamin", ça veut dire good kid? (Rires.) Comment tu dis bad kid? Bad Boy? Ça, c’est moi ! (Rires.) Je pense que Ciryl et moi sommes très différents. Bien sûr qu’il y a de la place pour les mecs bien à l’UFC. Ça a l’air d’être un gars bien, de ce que je vois, même si je ne le connais pas personnellement. Mais au final, ça reste un job. Je suis payé pour ça. J’aime mon argent et j’aime nourrir ma famille. Et si un mec se dresse entre mon argent et moi, je fais ce qu’il faut pour le récupérer.

Avez-vous un message pour Ciryl?

Bonne chance frérot. J’arrive en France pour flinguer la fête!

AH avec Nathan Franchi