UFC Paris: Comment l’UFC va s’implanter à long terme en France (après avoir aidé pour y venir)

L’idée vient de loin. Très loin. Si l’UFC organise son premier événement sur le sol français le 3 septembre à Paris, la principale organisation de MMA n’a pas décidé de débarquer dans notre pays à la seule grâce de la légalisation de la discipline au printemps 2020. Pour l’UFC, dont le premier show date de novembre 1993, venir sur les terres de Ciryl Gane remonte à très longtemps avant les débuts de "Bon Gamin" en MMA en 2018. "Le chemin pour arriver à ce premier événement en France a commencé il y a plus de dix ans, explique Lawrence Epstein, directeur général de l’UFC, au micro de RMC Sport. Nous avons essayé de trouver des moyens de faire ça. Le parcours a été très long mais nous sommes excités d’en voir le bout."
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Depuis son premier événement à l’étranger, en décembre 1997 au Japon, l’organisation américaine a toujours tenté de conquérir de nouveaux territoires. La France, fief de sports de combat et qui a connu un premier "nom" tricolore dans son effectif dès le milieu des années 2000 avec Cheick Kongo, a toujours été une terre à conquérir. Mais Dana White, qui préside aux destinées de l’UFC depuis 2001 et le rachat pour deux millions de dollars par les frères Fertitta (il est resté aux commandes après la vente à WME-IMG pour quatre milliards de dollars en 2016), a toujours prévenu: l’UFC se rend seulement là où elle peut "faire son business sans être embêtée".
Impossible dans notre pays, donc, tant que ce dernier avait banni l’organisation des combats de MMA. La bataille pour changer les choses fut éprouvante. La France avait justifié l’interdiction de la discipline, avec surtout les frappes au sol dans le viseur, par une recommandation datant de 1999 du Conseil de l’Europe estimant que "la violence et les actes barbares et sauvages commis au nom du sport sont dénués de valeur sociale dans une société civilisée qui respecte les droits de l’homme". Jusqu’à empêcher la diffusion de combats par une chaîne émettant depuis l’intérieur de nos frontières, obligeant les diffuseurs à le faire depuis le Luxembourg.
Des améliorations verront le jour, comme la naissance début 2008 de la commission de MMA rattachée à la Fédération française de full contact et disciplines associées qui permettra de faire autoriser les entraînements et les combats amateurs (sans coups au sol). Mais Thierry Braillard, secrétaire d’Etat chargé des Sports, confirmera en octobre 2016 par arrêté l’interdiction de la discipline – des frappes au sol, de la cage et des mitaines, pour être exact – malgré l’organisation d’une soirée "sauvage" au Cirque d’Hiver de Paris en 2015 pour faire bouger les lignes ou encore le rapport parlementaire sur la question remis en novembre 2016 par le député Patrick Vignal et le sénateur Jacques Grosperrin, qui allait dans le sens de la légalisation après avoir consulté de nombreuses voix du milieu, qui permettra de lancer un "observatoire des pratiques du MMA" (qui rendra lui aussi un rapport favorable).
La France reste alors le seul pays en Europe, et presque dans le monde, à interdire les compétitions de MMA professionnel (on peut seulement y pratiquer sa version light, le pancrace)! En coulisses, les jeux d’influence sont nombreux. Jean-Luc Rougé, puissant président de la Fédération française de judo, fait par exemple jouer ses réseaux pour ne pas accélérer une légalisation qui pourrait faire mal au nombre de licenciés dans sa discipline. "S’il pensait vraiment ça, il avait tort, lui répond Lawrence Esptein sept ans plus tard. L’UFC a fait du bien à la popularité de tous les arts martiaux, on l’a vu dans tous les pays. Ça a mis les arts martiaux sur un piédestal. L’exposition que connaît la marque UFC a aidé ces sports olympiques."
En 2015, Rougé n’y va pas par quatre chemins auprès de l’AFP: "Le MMA est un refuge pour jihadistes!" Il nuance quelques mois plus tard, précisant qu’il évoquait "les arts martiaux" de façon globale "y compris le judo", mais son avis sur la discipline reste clair: "Il y a une mode avec le MMA loisir mais ça ne représente pas grand-chose. On dit que ça canalise mais ça ne canalise rien du tout. Au contraire, c’est une expression de la violence qu’on banalise. Je n’en veux pas à la Fédération, ça n’a rien à voir avec notre culture." Mais après plus de quinze ans de bataille pour les anciens, Laura Flessel, qui succède à Braillard en 2017, puis surtout Roxana Maracineanu, qui lui succède à son tour, craquent enfin l’armure jusqu’à la légalisation au printemps 2020 sous l’égide de la Fédération française de boxe – dans un premier temps avant une indépendance espérée après les JO de Paris en 2024.
Avec des remerciements à adresser en partie à l’UFC, qui ne s’est pas tournée les pouces pendant tout ce temps, loin de là. Depuis "plus de dix ans", comme le pointe Epstein, la grande organisation de MMA a fait tout un travail dans l’ombre avec une agence de lobbying-communication pour sensibiliser des décideurs ou personnes influentes (hommes politiques, journalistes, etc) au MMA et à l’importance prise par l’UFC dans le panorama sportif mondial. Un travail d’accompagnement, aussi, à l’image d’une réunion de la "famille" du MMA français en mars 2019 au siège parisien du Racing Club de France pour évoquer l’avancée de la légalisation en présence de Lawrence Epstein et David Shaw, vice-président de l’UFC en charge du développement.
"L’UFC aide l’IMMAF, la Fédération internationale, et les fédérations nationales à se structurer. C’était important de se rencontrer, de se mettre d’accord sur la façon de faire reconnaître ce sport", précise alors Bertrand Amoussou, président de la Commission française de MMA et directeur de l’IMMAF. Le travail de longue haleine finira par payer, contre les préjugés difficiles à effacer. "Dire qu’on a poussé pour la légalisation est un mot fort, estime Lawrence Epstein. Nous avons simplement essayé d’éduquer les gens, de leur expliquer quel était ce sport, quels étaient ces athlètes et ce qu’ils n’étaient pas. Comme dans beaucoup de pays ou d’Etats américains, ce processus a pris du temps. Ça a juste pris un peu plus de temps en France qu’ailleurs. C’était un challenge intéressant. Le modèle sportif français, la façon dont le sport est régulé, est très différent. Ce n’est pas mieux ou moins bien, c’est juste différent. On a dû jouer avec les règles locales mais on a fini par y arriver."
Désormais installée dans notre pays, le onzième visité sur notre continent, l’UFC compte bien y rester. L’UFC Paris, cinquante-deuxième soirée en Europe de l'organisation depuis qu'elle y a fait son entrée en 2002, est une première. Surtout pas une dernière. Et on peut déjà imaginer des soirées dans des cadres plus grands que Bercy ou ailleurs que dans la capitale. "Nous avons fait des événements dans plusieurs stades à travers le monde et si c’est le bon combat, on peut le faire ici aussi, explique Lawrence Epstein. Nous sommes surtout là sur le long terme en France. Nous avons dans l’idée de faire un événement par an à Paris. Et nous voulons aussi aller dans d’autres villes car nous savons que nous avons beaucoup de fans dans tout le pays. Le sud de la France, par exemple, est un gros foyer de MMA donc nous savons que nous ferons des événements là-bas en plus de ceux à Paris."
Marseille ou Nice, où s’entraîne Manon Fiorot (la poids mouche française plus très loin de la ceinture de championne UFC) au Boxing Squad, sont des candidats possibles et même évidents. Avec des dizaines de milliers de pratiquants et la deuxième base de fans en Europe après la Grande-Bretagne (c’est l’UFC qui l’annonce), l’avenir se conjuguera aussi au tricolore pour la grande organisation de MMA. "C’est un sport global, rappelle le directeur général de l’UFC, et notre présence en Europe est primordiale car c’est un gros bassin économique, avec Paris et Londres en haut du panier. La France adore les arts martiaux et sera à la hauteur de cette première." Une arrivée également aidée par le développement des talents français, de plus en plus nombreux à l’UFC ou prêts à l’intégrer à court, moyen ou long terme. "Les fans aiment voir les locaux se battre chez eux, en France comme ailleurs, conclut Lawrence Epstein. Et nous sommes persuadés que des talents vont encore éclore en France dans les années à venir." Avec désormais la plus belle plateforme pour le faire.