
Quel est le problème du tennis français ? Entre trou générationnel et dysfonctionnements évidents
Aucun Français au 3e tour de Roland-Garros... Le tennis français en grande difficulté, en panne de résultats... Tout le monde le savait mais personne n’y a fait grand-chose. Pour beaucoup, certains cadres de la Fédération française de tennis se sont reposés sur les excellents résultats de la génération des "Mousquetaires". Les Gasquet, Monfils, Tsonga et Simon formaient l’immense arbre qui cachait la forêt. Certains entraîneurs fédéraux sont entrés dans un certain confort, selon Gianni Mina. Ce jeune joueur français avait offert une belle résistance à Rafael Nadal en 2010. Il a passé huit années dans le giron fédéral avant, brisé, de mettre un terme à une carrière qui n'a jamais décollé.
"Il y a peut-être une génération moins bonne mais cela n’explique pas tout, estime Gianni Mina. On était à une période de sur-confiance en France. Il fallait préparer la suite et il n’y a pas eu de remise en question. Il y avait un certain confort des deux côtés, que cela soit les joueurs ou les entraîneurs. Si les coachs n’ont pas la gnaque également, c’est compliqué d’emmener les joueurs vers le haut niveau. Je connais des gars qui avaient le potentiel et qui se sont malheureusement perdus."
Une génération en partie portée disparue
Aujourd'hui, le vide est marqué par la génération née entre 1996 et 1999. A savoir : Ugo Humbert, Corentin Moutet, Benjamin Bonzi, Alexandre Müller, Quentin Halys, Goeffrey Blancaneaux, Maxime Janvier, Johan Tatlot, Corentin Denolly, Laurent Lokoli... A part Ugo Humbert et Corentin Moutet, qui se sont installés dans le Top 100, aucun n'a percé durablement. Pourtant, nombre d’entre eux ont réalisé de bonnes performances en juniors. Quentin Halys s’était hissé en finale de l’US Open 2014 après avoir été sacré champion d’Europe face à Corentin Denolly et avoir gagné les Petits As. Double champion de France 17/18 ans, Johan Tatlot avait atteint le dernier carré à Wimbledon (2014).
Pire, ils ne sont pas dans le timing de leur génération (Zverev, Shapovalov, Rublev, Berrettini…). Et quand on regarde les archives des champions de France Jeunes de cette génération, on trouve des portés disparus comme Clément Larrière ou encore Mandresy Rakotomalala (champion de France 15/16 ans 2013).
Vice-président de la FFT au début des années 2010, avant d'être président de 2017 à 2021, Bernard Giudicelli admet un manque de talent dans la tranche des joueurs âgés aujourd’hui de 22 à 26 ans: "Si je prends l’âge de 14 ans en 2010, 2012, à part Quentin Halys et Geoffrey Blancaneaux, on n’a personne ! Le creux générationnel était déjà là. A l’époque, au comité directeur, on nous parlait du dos de Jo (Tsonga) ou de la cheville de Richard (Gasquet) mais pas de génération".
Des idées arrêtées sur la formation
Sur cette génération, le Directeur technique national était Patrice Hagelauer (2010-2013). Arnaud Di Pasquale avait pris la suite en 2014. Selon Hagelauer, "les pôles espoirs n'étaient pas assez structurés à l’époque, il a fallu tout reconstruire, il y avait des pôles qui n’étaient pas dotés de terre battue. J’ai tenté de recréer un collectif de joueurs, mais qui a été cassé par la suite". A l’époque, la DTN avait notamment beaucoup misé sur Laurent Lokoli (420e ATP aujourd’hui).
Mais le réel problème pour Gianni Mina a été le manque de responsabilisation des joueurs, et aussi les prises position techniques trop radicales des encadrants: "On avait une pensée trop arrêtée pour certains joueurs. Techniquement, ce n’était pas assez bon donc on ne croyait pas vraiment en lui sur des qualités et ses forces". Pire, le mal-être semblait profond à cette époque pour les jeunes joueurs qui arrivaient au Centre national d’entrainement à Paris. "Ils ne restaient pas forcément longtemps, mais tous me disaient 'je me sens vraiment jugé, c’est compliqué, je n’arrive pas à me sentir bien ici'. On ne va pas se le cacher, il y a quand même un petit microcosme, un petit entre-soi à la Fédération", lâche Mina. A cette époque, Bernard Giudicelli assure recevoir un jour un courrier de la DTN expliquant qu’il y avait "un problème avec une joueuse à cause de sa prise de raquette".
L’épée de Damoclès des fameux temps de passage était aussi lourd à porter pour ces jeunes joueurs en formation. Lors de son expérience aux Etats-Unis, Gianni Mina a clairement vu la différence dans l’approche des joueurs: "Là-bas, je ne me sentais pas jugé par rapport à ma technique ou autre, j’étais juste là pour essayer de vraiment progresser et arriver à un niveau grâce au travail mental, tennis, physique sans que l’on me le ressasse dans ma tête".
Des wild-cards trop généreusement accordées
Ces Internationaux de France ont de nouveau posé le problème de la distribution des wild-cards. C'est un cercle vicieux chez les filles. Les joueuses qui ont le niveau des qualifs - entre 105 et 250 au classement WTA - sont invitées dans le grand tableau. Où elles chutent le plus logiquement du monde. Mais la déception est rapidement effacée par le montant du chèque (60.000 euros).
Par effet ricochet, les Françaises bénéficiant d'un sésame en qualifications prennent le bouillon parce qu'elles n'ont tout simplement pas le niveau. Voilà quinze ans qu'une Bleue n'a pas franchi l'écueil des qualifs Porte d'Auteuil ! Une statistique terriblement gênante...
Il y a quelques années, Wimbledon a pris une décision brutale en requérant un niveau décent pour prendre part au "Championships". Si le réservoir n'est pas de qualité, les organisateurs du All England Club rendent leurs invitations et les places disponibles bénéficient aux premiers joueurs non entrants. Des étrangers donc.
La FFT devrait s'en inspirer pour éviter d'être raillée. Il y a quelques années, le DTN de la Fédération de natation avait instauré des quotas de temps à réaliser assez effrayants pour être retenu pour les Jeux olympiqsues. La décision avait été fortement critiquée mais elle incitait les athlètes à être performants, à ne pas attendre l'offrande. Autre suggestion: l'instauration de play-off débouchant sur un carton d'invitation. Les Fédération australienne organise cette compétition en amont du lancement de la saison. Match aux meilleurs des cinq sets: c'est la solution idéale pour couper court aux polémiques et aux soupçons de copinage, toujours en vigueur, il ne faut pas se voiler la face.
Les juniors pour retrouver le sourire ?
Impossible de déterminer combien de temps la gueule de bois va durer. Mais Nicolas Escudé va suivre de près le tournoi juniors, qui débute ce dimanche. "Ça, ça m'intéresse", a souligné le DTN par intérim, Nicolas Escudé. Le cru s'annonce savoureux pour les Bleus qui possèdent quatre joueurs dans le Top 20. Mais il ne faudra trop leur mettre la pression. Car un titre chez les jeunes n’assure rien. Regardez la trajectoire de Geoffrey Blancaneaux, dernier vainqueur tricolore en 2016 face à Felix Auger-Aliassime…
Il ne faudrait pas mettre la pression à ces apprentis champions. N°1 mondiales juniors en 2018 et 2019, Clara Burel et Diane Parry sont en pleine transition vers le monde professionnel. Et la trajectoire de la Bretonne n'est pas un long fleuve tranquille. Accompagnée à Roland-Garros par Alexia Dechaume, Clara Burel vivrait mal le fait d'avoir été "coupée" de Thierry Champion, qui l'avait entraînée en Bretagne durant le premier confinement. Problème: l'ancien responsable du haut niveau a été écarté par la nouvelle équipe dirigeante. Rien d'étonnant à ce choix politique, mais c'est toujours du temps de perdu. Et du temps, le tennis français en manque cruellement.