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"Je me sens apaisée": championne olympique 2016 et naufragée au printemps, Charline Picon arrête sa carrière

Charline Picon lors des JO de Paris 2024

Charline Picon lors des JO de Paris 2024 - Icon Sport

La Rochelaise Charline Picon a tiré un trait sur son immense carrière ce vendredi. Championne olympique de planche à voile à Rio de Janeiro en 2016 puis médaille d’argent à Tokyo en 2021, elle avait ajouté le bronze avec Sarah Steyaert en 49er en 2024. Ses projets pour la suite : plus de temps pour sa famille, du coaching et peut-être de la course au large.

Charline Picon, revenons d'abord sur le naufrage de votre catamaran au printemps, au large des îles Marquises. Que reste-t-il de ce moment ?

On a travaillé avec mon préparateur mental sur ce naufrage. On a essayé d’en tirer des bénéfices secondaires. C’est une belle tranche de vie qui se referme, c’était une superbe aventure. On peut être fier de comment on a réagi pendant le naufrage. Lancer un Mayday en pleine nuit, que personne ne réponde, c’est quelque chose d’assez terrible sur l’instant. Quand on décide d’aller dans la survie, on a une balise. Quand elle émet, tu ne sais pas si le message a été reçu. Tout ça avec notre fille. On n’a pas fait d’erreur de navigation, c’est plus facile à accepter. C’est un vrai fait de mer. Le bateau a été retrouvé. Il a parcouru plus de 3000 kilomètres. Il s’est échoué sur un récif aux îles Cook. Là-bas, c’est un don du ciel. Ces gens sont avitaillés peut-être une fois par mois. Un bateau qui s’échoue comme ça, c’est un cadeau. Ils vont tout recycler. On se dit que la page peut se fermer.

C’est pendant ce voyage que la suite de votre carrière a pris forme...

Ce voyage, c’est sept mois dont deux longues périodes de traversées océaniques. Pendant trois semaines dans le Pacifique, il y a de longs moments de solitude. J’ai fait un point de vie. Certains vont parler de crise de la quarantaine (rires). Je voulais faire le point sur ma carrière, où j’en étais. Est-ce que c’était le bon moment de quitter ? Il y a de l’émotion car c’est un gros chapitre de vie que je referme. Je n’ai pas le coup de foudre pour l’IQ Foil. Ce n’est plus le même sport. Je ne fais pas partie de cette génération-là. Mon gabarit aussi. Il faudrait que je prenne 8 kilos. Je suis usée aussi. J’ai l’impression d’avoir un peu moins la flamme. Ce naufrage accentue mon choix. J’ai envie de passer un peu plus de temps à la maison avec ma fille Lou. Avant ça, c’était du mi-temps, j’étais 15 jours par mois loin de la maison. Il y a cette volonté de transmettre, d’aider les plus jeunes à ficeler leur projet. Je ne sais pas encore comment. Je veux être dans le partage.

Vous allez donc vous diriger vers le coaching ?

C’est plus large. J’ai deux projets en mode coaching mais aussi la vision large de l’accompagnement. J’étais passionnée par le corps humain d’où mes études de kiné et de préparation physique. Je suis aussi passionnée par la tête. Je vais aller me former à la méthode qu’utilisait mon préparateur mental pendant mes trois JO. On va voir si je maîtrise le sujet et si je peux aider à mon tour. En compétition, celles qui jouent la médaille ont presque toutes le même niveau technique. La différence se fait sur le mental.

Le monde de la voile est large. Peut-on imaginer vous voir sur de la course au large ?

Pendant la traversée je me disais que je ferais bien de l’équipage. Pas du solitaire, ce serait trop extrême pour moi. J’ai été intriguée par les nouveaux formats comme la Course des Caps où il y a une fille à bord de chaque bateau. Ça m’intrigue. Je ne vais pas faire carrière mais je ne ferme pas les portes.

Ça fait mal d’arrêter la voile olympique ?

Je ne dirais pas que ça fait mal. Je me sens apaisée avec ma carrière. Il y a de l’émotion évidemment. Je vis pour l’émotion. J’adore les émotions dans un sens ou dans l’autre. C’est ça qui est un peu dur. Je sais que je ne vais plus revivre ces émotions intenses de passage d’une ligne d’arrivée. Je vais trouver d’autres moyens.

Que pensez-vous quand vous voyez toutes vos médailles internationales, que vous avez amenées ici au siège de la fédération française ?

La page est un peu lourde à tourner mais c’est le moment. J’ai dit à Guillaume Chielino (DTN) que je pouvais faire la dernière olympiade pour continuer à vivre. Mais aller aux JO et finir 15e ou 20e, ce n’est pas ma marque de fabrique. Mon ancien coach parlait des fonctionnaires de la voile. Il faudrait aussi se sélectionner. Il y a des jeunes à fond. C’est le moment de passer le relais.

Vous avez eu la chance de choisir la fin.

Je termine sur Paris 2024. J’ai eu la chance de finir avec une médaille. Clairement, ça aurait pu mal se terminer. Trois médailles dans deux disciplines de la voile différentes. Je connais l’énergie qu’il faut y mettre. La force mentale qu’il faut avoir. J’en ai tellement mis sur 20-25 ans que je suis usée. Il est temps de fermer le chapitre.

Êtes-vous nostalgique ?

Il n’y a pas de nostalgie. J’ai ramené toutes les médailles aujourd’hui à la fédération. C’est beau de voir le regard qui brille des gens de la fédé, leurs discours aussi. Tu prends conscience de ce que tu as fait. C’est de la fierté. Les médailles marquent des réussites mais la réussite, elle se crée par un chemin qu’on emprunte. J’ai relevé des gros défis. J’en réussis un, il faut que j’en fasse un autre un peu plus complexe. Je suis hyper contente d‘être là où je suis en tant que femme. Si je regarde la petite fille introvertie de 10 ans que j’étais lorsque j'ai commencé la planche, avec des moments très difficiles d’anxio-dépression à 20 ans, et la personne que je suis aujourd’hui, je suis fière du chemin accompli et de la personne que je suis devenue.

Quel est le plus grand kiff de votre carrière et le moment le plus difficile ?

Quand je passe la ligne à Rio ! Juste avant la ligne, je le sais mais je ne m’autorise pas à le savoir. Au moment où je passe la ligne c’est l’émotion, le stress de tout ce qu’il y a eu des mois d’avant qui explose. Je ne peux pas le décrire. Les moments les plus difficiles, c’est l’olympiade en 49er. Quand tu as été au top, sur tous les podiums les années précédentes... Mentalement, on s’est challengé avec Sarah alors qu’on était très liées à terre. Sur l’eau, il y a quelque chose qui coinçait, c’était dur. On s’est mises à nu devant le prépa mental, l’une devant l’autre pour apprendre à mieux se connaître. On a galéré.

Propos recueillis par Jessy Di Liegro et Morgan Maury