Vendée Globe: les conseils et stratégies de Le Cléac'h pour Virtual Regatta

Depuis combien de temps jouez-vous à Virtual Regatta et comment vous vous organisez?
Je connaissais le jeu de nom mais je n’avais jamais joué avant le confinement. On nous a proposé une course qui s’appelait "La Grande Evasion", une traversée de l’Atlantique qu’on pouvait faire en ultime. Du coup je me suis inscrit. C’était sympa. En plus, nous les pros, on avait accès à un full pack et ça m’a permis de découvrir un peu le jeu. Ça durait une petite semaine, donc c'était plutôt rapide et comme le confinement a un peu duré, j’ai fait aussi la transat AG2R. Ensuite on a repris le chemin du travail et de la navigation, donc je n’avais pas rejoué depuis.
Le reconfinement vous a donc réorienté vers le jeu...
Comme on est confinés aussi, il y avait cette opportunité. Le début de course m’intéresse particulièrement car il y a une météo très complexe avec des options. Ce n’est pas tout droit jusqu’à l’équateur, donc c’est intéressant de le faire. Après je ne sais pas si j’irai jusqu’au bout car ça prend du temps. Mais au moins les dix premiers jours, avec le confinement, je vais pouvoir faire aller mon bateau où je veux. Même s’il y a des spécialistes du jeu, souvent les mêmes j’ai remarqué, qui utilisent d’autres logiciels pour avoir les routes optimums. Ce ne sont pas forcément les mêmes que nous mais je préfère rester avec mon logiciel à moi, Adrena. Même si ce n’est pas la route idéale virtuelle, ça me paraît plus être ce que j’aurais fait en mer réellement.
D’autres navigateurs comme François Gabart ont une petite équipe autour de leur bateau pour jouer, vous gérez seul le vôtre?
Oui, avec mon fils qui suit un petit peu. On a pas mal de copains qui la font aussi. J’ai 1.800 joueurs qui me suivent (en réalité plus de 2.500, ndlr) et m’envoient énormément de messages. Je n’ai pas eu le temps de tous les lire car ça me prendrait la journée, mais certains me disent qu’ils sont fans, me demandent si c’est bien moi qui joue. C’est assez sympa d’échanger avec les gens qui me suivent d’habitude sur les courses réelles et de faire la course virtuelle avec eux. On est quand même plus de 600.000 aujourd’hui!
Vous ne mettez pas d’alarme la nuit?
Non, non! (rires) J’ai le pilote dans le mode expert qui me permet de programmer la trajectoire pour la nuit. Je ne fais pas ça assidument comme les meilleurs. Je n’ai pas cette assiduité, je le fais pour le plaisir.
Quel est l’objectif et la stratégie que vous avez suivie sur ces premiers jours?
Ce qui m’intéresse c’est de faire une bonne trajectoire en termes de météo. Quand on réussit une bonne option sur 12 heures ou deux-trois jours, on rattrape des places. Ça permet de travailler les trajectoires, les routages. Les classements évoluent très vite car il y a énormément de monde. Il y a trois jours j’étais 300.000e, là je suis 60.000e. En une nuit, on peut gagner 200.000 places, c’est assez rigolo.
Quelle stratégie avez-vous choisie?
J’ai pris une stratégie ouest, pour aller chercher le front. C’est sûr que virtuellement, c’est beaucoup plus facile que ce que vivent les marins. Quand on n’a pas ces contraintes de sauts de vagues ou de matossage, c’était la meilleure route en termes de météo. Les premiers au classement, dans 24 ou 48 heures, sont ceux qui sont placés dans l’ouest, plutôt dans mon secteur. Il y a un petit paquet devant moi mais l’avantage est à cette stratégie-là.
Quels sont les conseils que vous donneriez aux joueurs pour les prochains jours?
Il faut anticiper assez tôt les phénomènes météo. Car la dépression vient vers nous et on va vers elle, donc ça va vite. Il faut toujours essayer de se placer par rapport aux phénomènes, ce qui n’est pas toujours évident. Il faut se projeter dans 24 à 48 heures et pas forcément se dire que c'est le vent qu’on a sur le plan d’eau qu’il faut prendre en compte. J’ai souvent des gens qui m’envoient des messages comme 'pourquoi vous partez dans l’ouest' ou 'pourquoi vous vous éloignez de la route'. C’est comme dans le réel, il faut se placer pour le coup d’après. On se place sur l’échiquier en espérant que l’évolution du vent va correspondre à ce qu’on avait imaginé, pour pouvoir engranger de l’avance ou rattraper du retard.
Et pour les prochains jours?
Dans les jours qui viennent, il y a des petits couloirs de vents portants qu’il va falloir essayer d’attraper pour descendre un maximum vers le sud, pour aller récupérer l’alizé dans quelques jours. Ça va être tout l’enjeu. C’est une situation assez inédite pour un départ de Vendée. En 2008, on avait eu un très fort coup de vent la première nuit mais ensuite, c’était du classique. Et les deux éditions suivantes, on avait eu des conditions assez propices pour aller au niveau des Canaries. Là, pour avoir l’alizé, ce n’est pas pour tout de suite. La première semaine de course n’est pas favorable pour aller prendre de l’avance sur le record. Mais la route est longue et à un moment, ils vont mettre le turbo, en espérant qu’ils soient tous à 100% de leur potentiel.