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Guerre en Ukraine: "Je suis totalement dans le flou", le témoignage de Grebennikov, resté en Russie

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Le libéro des Bleus Jenia Grebennikov, né de parents russes, joue cette saison à Saint-Pétersbourg, en Russie, où il comptait s’installer. Mais la guerre déclenchée par la Russie, et les sanctions financières imposées au pays de Vladimir Poutine pourraient changer la donne.

Jenia Grebennikov, vous êtes le plus russe des joueurs français, installé à Saint-Pétersbourg depuis peu. Comment avez-vous vécu le déclenchement des hostilités en Ukraine ?

Mes parents sont juste un peu inquiets. Là, je renvoie mon fils et ma femme en France. Ils partent ce soir. Pour les vols, c’est compliqué, il y en a très, très peu. On a été prévenus tardivement. On a réussi à trouver un vol, mais il passe par Dubaï, c’est un peu long comme voyage... Quant à moi, je suis obligé de rester ici, pour l’instant. Je suis sous contrat, et j’ai un contrat de trois ans. Je ne peux rien faire, je suis obligé de rester ici.

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Avez-vous envie de partir ?

(Il cherche ses mots) Franchement, je ne sais pas. Si je pars et que le conflit s’arrête dans une semaine, je n’ai plus de travail.

Votre cœur vous commanderait-il de partir ?

(Nouvelle hésitation) C’est dur… de voir partir sa femme et son fils, j’aurais préféré rentrer avec eux. D’un autre côté, il faut que je pense aussi à mon futur. Si le conflit s’étale dans le temps, et je ne sais pas combien de temps ça va durer, le club ne pourra pas suivre. Enfin, je pense, je ne sais pas, je suis totalement dans le flou.

Pour quelle raison votre famille part-elle ?

Ils (sa femme et son fils) partent parce que l’ambassade a dit qu’ils devaient partir. Je pense qu’on a été pris dans un vent de panique. On a vu qu’il y avait de moins en moins de vols. On s’est dit que tout serait peut-être fermé dans deux semaines, qu’il n’y aurait peut-être bientôt plus de vols. Je préfère ne pas prendre de risques. Je vais serrer les dents, rester là tout seul, mais c’est pour leur bien. C’est juste pour ne pas qu’il y ait de soucis, si jamais on ne trouvait pas de vols plus tard. On a vu un petit mouvement de foule, de panique, on l’a eu aussi.

Vous attendiez-vous à ce que la guerre éclate, le pressentiez-vous ?

Pas trop non, pas vraiment. Les Russes de mon équipe sont assez choqués par ce qu’il se passe, ils ne contrôlent rien, ils ne peuvent rien faire. Ils sont choqués, comme tout le monde je pense. En plus, avec les réseaux sociaux, les médias, tout est amplifié. Mais bon, c’est très grave ce qu’il se passe. Mais ça se voit, ils sont…. Disons que l'atmosphère n’est pas positive dans l’équipe.

Vos coéquipiers russes, comment se sentent-ils depuis une semaine ?

Ils ont très peur. Ils ont peur. Franchement, ils ont peur, ça se voit. C’est déjà compliqué pour eux en temps normal de voyager à travers le monde, d’obtenir des visas. Mais si là, en plus, ils se mettent le monde entier à dos, ça va devenir compliqué. C’est ce que moi je ressens quand je les vois. Ce n’est pas évident. Nous, on voyage, on peut aller partout. C’est plus compliqué pour eux. Et ça va le devenir encore plus avec cette guerre.

Quand vous dites qu’ils sont choqués, doit-on comprendre qu’ils ne soutiennent pas la guerre menée en Ukraine par le président Poutine ?

Je n’ai pas l'impression qu'ils la soutiennent, d’après ce que je vois, mais pour être tout à fait honnête, je n’en sais rien. Le sujet est assez sensible. On n’en parle pas trop, je préfère ne pas trop en parler. Je ne suis pas là pour les juger. On n’en parle pas trop. Tout le monde se regarde un peu bizarrement. On n’a pas envie que ça devienne gênant. Ce que je peux vous dire c’est qu’on a assisté à des mouvements de panique auprès des banques. J’y suis allé pour faire un simple virement, et j’ai vu énormément de monde qui s’était déplacé et faisait la queue pour retirer des dollars. C’était flippant, pire que le Covid quand les gens allaient faire leurs courses au supermarché. Mais ça a duré deux jours. Je suis retourné à la banque hier, il n’y avait personne.

Quelle est l’atmosphère générale sur place, à Saint-Pétersbourg ?

Ici, il n’y a rien. J’ai juste assisté à une manifestation en centre-ville. Il y avait du monde, mais je n’ai pas été choqué plus que cela par l’ampleur de la manifestation. Il y a un peu plus de police, mais si on ne regarde pas les infos, on a l’impression que tout est normal.

Comment avez-vous choisi de vous informer à titre personnel, via les médias occidentaux ?

Mes proches, mes amis et ma famille, me font suffisamment paniquer. Au bout de deux jours j’avais déjà reçu quantité de messages, nombre de journalistes ont essayé de m’appeler. C’est vrai qu’en ce moment on ne regarde pas trop la télé. On a l’impression que c’est la fin du monde. Déjà qu’on est loin de chez nous, je préfère ne pas en rajouter.

Quelle place occupe le sport dans votre esprit désormais ?

On ne pense pas du tout à la saison. On pense plus à notre sécurité, comment ça va se dérouler. On imagine notre avenir. J’ai un projet ici, c’est compliqué. J’hésite à tout lâcher, mais si ça se termine dans une semaine je vais le regretter. Si le conflit se poursuit, ce que personne ne souhaite, je peut-être aussi regretter de ne pas avoir agi. Je me pose plein de questions, mais je ne peux pas faire grand-chose. Je ne peux pas partir sans risquer la résiliation de mon contrat. Ce n’est pas évident. Je sais que des joueurs de basket sont partis, mais je pense qu’ils avaient leurs raisons. Certains n’avaient plus que deux mois de contrat, d’autres qui n’en avaient peut-être pas besoin. Je ne suis pas dans le besoin, mais il s’agit de mon avenir. Je ne peux pas tout lâcher. Je me suis posé la question. Après, si jamais la situation ne s’améliore pas…

Se battre quotidiennement à l’entraînement pour des compétitions auxquelles on risque de ne plus pouvoir participer, n’est-ce pas frustrant ?

Je pense qu’on va se faire éjecter de la Ligue des champions*. Cela m’étonnerait qu’ils nous laissent poursuivre la compétition. Le foot l’a fait, je pense qu’ils vont le faire aussi dans le volley. Cela fait partie du truc. Encore une fois, ce qu’il se passe actuellement en Ukraine, c’est très grave.

*Comme le redoutait Jenia Grebennikov lorsque nous l'avons joint ce mardi matin, la FIVB a bel et bien écarté les clubs russes des compétitions dans lesquels ils étaient engagés. Ainsi, le Zénith Saint-Pétersbourg n'affrontera pas Pérouse en quarts de finale de la Ligue des champions.

https://twitter.com/qmigliarini Quentin Migliarini Journaliste RMC Sport