Alaphilippe, le Tour de France, Evenepoel... l'entretien intégral de Patrick Lefevere dans Bartoli TIme

Patrick LEFEVERE - Belga / Icon Sport
Patrick Lefevere, avec déjà deux victoires d'étapes, votre Giro est-il déjà réussi?
Je pourrais dire que oui mais tous ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas directement content donc s'il y en a plus, je serai content.
Julian Alaphilippe a mis fin à 346 jours de disette, vous avez retrouvé votre champion?
Le futur va me le dire. En tout cas, j'ai vu un Julian Alaphilippe qui a retrouvé du plaisir sur le vélo, avec sa façon de courir. L'autre jour, il aurait déjà pu gagner sur l'étape "gravel" (la 6e étape où il a terminé 2e, NDLR). L'objectif était de changer de vélo dans le final mais ça n'a pas été possible avec la vitesse de l'échappée. Et dans le sprint, il ne pouvait pas gagner avec son braquet.
Est-ce que vous avez crû à sa victoire jeudi en le voyant à l'avant à 126 kilomètres de l'arrivée?
Non, j'étais dans mon bureau, je regardais d'un œil en faisant des négociations de contrat. Je me suis dit que c'était suicidaire avec un coureur d'une équipe de deuxième division, que je ne connaissais pas. Finalement, il a été jusqu'à l'arrivée et ça appartient à l'histoire.
Il vous a surpris donc avec cette victoire?
Pas dans une telle échappée, c'était plutôt kamikaze.
Alaphilippe a dit que son directeur sportif lui avait demandé de se relever et qu'il n'avait pas voulu, il a eu raison non?
Le vainqueur a toujours raison.
Vous avez beaucoup critiqué votre coureur ces derniers mois, finalement n'est-ce pas un peu grâce à vous?
Je ne vais pas me mettre des plumes sur mon chapeau. J'ai souffert comme lui car je savais qu'il pouvait faire beaucoup mieux et il n'y arrivait pas donc j'étais frustré.
Elle est comment votre relation avec lui aujourd'hui?
Il n'y a pas de problème, on se parle normalement. Sur le Giro, les coureurs sont occupés du matin jusqu'au soir. Cela fait des années que je ne passe plus toutes les 5 minutes dans les chambres ou que je donne des leçons de tactique. Ce n'est pas mon boulot.
En marge de Paris-Nice, Remco Evenepoel disait qu'il désirait voir Julian Alaphilippe sur le Tour de France pour être à ses côtés? Vous aviez dit à l'époque 'pourquoi pas s'il est très bon sur le Giro'. Avez-vous pris votre décision?
Non, on prendra la décision après le Critérium du Dauphiné (à la mi-juin). On a le droit à huit coureurs sur le Tour de France et ça devra être huit costauds, qui méritent chacun leur place. Que ça soit Julian Alaphilippe, Mikel Landa ou Louis Vervaeke, pour nous peu importe, ça doit être les meilleurs coureurs autour de Remco Evenepoel.
Julian Alaphilippe avait dit qu'il ne voulait pas faire le Tour de France. Est-ce qu'il a changé d'avis?
Non. Je l'ai appelé le soir de sa victoire et je ne suis pas convaincu qu'il veuille le faire. Il m'a dit qu'il pourrait le faire si l'équipe lui demande et pour aider Remco Evenepoel, mais ce n'est pas de plein cœur je pense.
Est-ce qu'il serait précieux pour Remco Evenepoel sur le Tour de France?
Remco le pense, oui. Mais si le coureur n'est lui-même pas 100% convaincu, ça ne semble pas une décision intelligente.
Donc pour voir Julian Alaphilippe sur le Tour de France, il faudrait qu'il en manifeste lui-même la volonté?
Oui. En tant que Français et au vu du champion qu'il est, plus le Tour de France va approcher et plus il va avoir l'envie je pense. Mais dans ma conversation avec lui, il n'était pas convaincu.
Julian Alaphilippe est en fin de contrat, voulez-vous qu'il reste? Vous lui avez fait une offre...
Depuis quelques mois, il y a un nouveau CEO (patron) à côté de moi. Il a parlé avec lui et son agent au début du Giro. Mais c'est plus des choses pour lui demander ce qu'il veut et comment il voit le futur, est-ce qu'il veut encore courir longtemps ou non mais il n'était pas vraiment question de chiffres. Les chiffres, on va en discuter après le Giro. On est tous professionnels, nous comme lui, il y a des offres qu'on peut accepter ou non et on verra.
Mais vous avez plutôt envie qu'il reste?
Julian, je l'ai découvert dans un petit cyclo-cross quand il avait 17 ans. On a toujours eu une relation spéciale, il me considérait un petit peu comme son deuxième père disons. Dans son coeur, il n'a pas beaucoup changé. C'est toujours lui, il a juste un peu vieilli. Il est maintenant en ménage (avec Marion Rousse) mais il ne veut pas vraiment changer d'équipe. Mais il y a aussi le côté professionnel.
Comment va Remco Evenepoel après sa chute, à quelques semaines du Tour de France?
Il est en Sierra Nevada avec une partie de l'équipe, où il s'entraîne et se prépare. Au début, il avait encore quelques petits pépins avec les muscles autour de la clavicule et de l'épaule qui n'étaient pas assez souples mais ça va maintenant.
Il va jouer le classement général pour la première fois, ce n'est pas lui le favori désormais avec la blessure de Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar qui perd du jus sur le Giro?
J'espère que Tadej perdra beaucoup de jus (rires). Pour la Belgique, ça sera une folie car ça fait des années qu'il n'y a pas un Belge qui veut lutter pour la victoire. On doit rester les pieds sur terre. J'avais coché l'objectif entre la troisième et la cinquième place. Naturellement, plus il sera haut dans le classement, mieux ça sera. Mais on ne va pas faire des pronostics pour qu'ils nous explosent à la gueule ensuite.