RMC Sport

Cyclisme: comment va se dérouler la série Netflix sur le Tour de France

placeholder video
Netflix a commencé en mars le tournage d'une série documentaire sur le Tour de France 2022, dans la lignée de celle consacrée à la Formule 1 ("Drive to Survive"). Chez les coureurs et les directeurs sportifs, l'enthousiasme est réel.

Marc Madiot déchaîné sur une victoire à l'Alpe d'Huez de David Gaudu, une gueulante mémorable de Patrick Lefevere après un raté de la Quick-Step ou les secrets dévoilés de la Jumbo-Visma pour tenter de mettre fin au règne de Tadej Pogacar. Voilà ce que l’on pourrait voir l’année prochaine sur Netflix. Dans la veine de celle consacrée à la Formule 1 ("Drive to Survive"), le géant américain du streaming a commencé en mars le tournage d'une série documentaire sur le Tour de France 2022. Les caméras filmeront jusqu'en juillet pour une diffusion prévue à compter du premier semestre 2023, avec au menu huit épisodes de 45 minutes.

L’objectif est simple : permettre au grand public de mettre un pied dans les coulisses du peloton via l'un des événements sportifs les plus suivis au monde. Huit formations ont donné leur accord : AG2R Citroën, Alpecin-Fenix, Bora-Hansgrohe, EF Education-EasyPost, Ineos Grenadiers, Jumbo-Visma, Groupama FDJ et Quick-Step Alpha Vinyl. Les spectateurs pourront donc voir (et entendre) le double champion du monde et chouchou du public Julian Alaphilippe, les phénomènes Wout van Aert et Mathieu van der Poel ou un grand favori pour le général comme Primoz Roglic. UAE Team Emirates a en revanche refusé d’en être. L’équipe émiratie craignait d’être perturbée dans sa préparation par la présence de Netflix.

Pas de crainte d'une ultra-scénarisation

La voir dire oui pour une deuxième saison - s'il y en a une - n’est toutefois pas exclu. "Beaucoup d'équipes participent parce qu'elles doivent être mises en avant, elles doivent être reconnaissables, a récemment expliqué Andrea Agostini, directeur des opérations chez UAE, auprès du site VeloNews. Ce n'est pas un problème pour nous. Si nous pouvons à nouveau concourir pour la victoire sur le Tour, nous n'aurons pas besoin de tout cela. Bien sûr, nous n'avons rien à cacher, mais il est extrêmement important de trouver un certain équilibre au sein d'une équipe." D’autres diront qu’il y a peut-être la crainte de voir Netflix reprendre les mêmes ingrédients que pour sa série sur la F1, qui se voit de plus en plus reprocher une scénarisation poussée à son extrême pour créer de la tension au détriment de la crédibilité.

Chez Groupama-FDJ, le manager Marc Madiot est d’ailleurs lucide. Il ne serait pas surpris qu’une supposée rivalité entre ses leaders David Gaudu et Thibaut Pinot soit mise en scène. "S’ils peuvent mettre en évidence des divergences, ils essaieront de le faire. S’il n’y en a pas, ils seront forcément un peu déçus", dit-il à RMC Sport. Tout en assurant : "Je n’ai pas d’appréhension particulière. Netflix vient chercher autre chose que le résumé de la course. Je ne le prends pas comme un inside par rapport à la compétition mais comme un feuilleton où le fond de la carte postale est le sport. Je ne crains pas que ce soit trop scénarisé. On est là pour faire une course mais si ça peut mettre en valeur des personnages au sein des équipes et attirer un nouveau public, tant mieux. Je ne sais pas comment je vais réagir mais je vais essayer de rester naturel."

L'exemple Movistar

Même promesse du côté de Julien Jurdie, directeur sportif chez AG2R Citroën : "Il faudra gérer les émotions, ça peut vite partir en cacahuètes. Mais c’est aussi ce qui fait le charme de ces séries. Il y a de la tension sur le Tour, ce n’est pas les Bisounours. Il y aura des moments compliqués, avec des coups de gueules et peut-être des pleurs, c'est obligatoire, mais c'est la vie de chaque équipe sportive, et dans le vélo c'est la même chose. Il faudra jouer le jeu." Comme beaucoup d’acteurs du peloton interrogés, il estime que cette aventure avec Netflix est une excellente nouvelle. "C'est une belle opportunité, il y a beaucoup d'excitation. Ça va booster le vélo et on espère donner des frissons aux jeunes pour qu'ils aient envie de faire du vélo après", explique-t-il.

Dans le monde du vélo, Movistar a montré la voie ces dernières années en ouvrant ses portes dans une série documentaire déjà proposée sur Netflix. Les épisodes mis en ligne ne révèlent pas de grands secrets, mais ils proposent parfois des séquences savoureuses. Avec des moments de vie volés, qui donnent envie de s’attacher aux coureurs, des conflits entre leaders loin d’être passés sous silence, et une transparence sur certains loupés tactiques. C’est cette sincérité que recherchera Netflix sur le Tour avec cette nouvelle docu-série produite par Quadbox, une société créée et codétenue par Box to box Films, producteur de... "Drive to Survive". Si le directeur du Tour, Christian Prudhomme, n'a pas été très bavard sur le sujet vendredi dernier, chez les coureurs l’enthousiasme est réel.

Cosnefroy : "Il n'y aura pas de triche"

"Ça va nous apporter un public plus jeune. C'est une super opportunité pour notre sport et notre équipe. Je suis sûr qu'ils vont réussir à retransmettre le stress qu’il peut y avoir dans le peloton, la pression, les conditions extrêmes. Ils nous ont dit que la série ne serait pas scénarisée. Il n’y aura pas de triche, les scènes ne seront pas refaites. Ils vont vraiment montrer notre quotidien, les bons côtés et les moments de souffrance dans ce sport où on gagne rarement", se réjouit Benoît Cosnefroy, le puncheur normand d’AG2R-Citroën. "C’est une grande chance pour le vélo", renchérit le rouleur suisse de la Groupama-FDJ, Stefan Küng. Je crois que les gens ne se rendent pas toujours compte de ce que ça signifie d’être un coureur professionnel, de faire le Tour de France. On est entre quatre et six heures sur le vélo, mais il faut impliquer le public pour qu'il comprenne ce qui s'y passe sur les 18 heures suivantes."

"Avant de commencer le vélo, je n'avais pas envie de regarder Milan-San Remo, je trouvais ça ennuyant parce que je ne comprenais rien. C’était pareil avec la Formule 1. Ça ne m’intéressait pas avant de regarder "Drive to Survive". C’est donc bien de mettre la lumière sur le cyclisme", ajoute-t-il. Concrètement, chaque équipe participant à la série est suivie par un caméraman et un preneur de son. L'idée est évidemment de mettre en avant des personnages, coureurs comme directeurs sportifs. Pour créer un lien de confiance avant le Tour avec l'ensemble des protagonistes, Netflix a envoyé dès la fin de l'hiver ses équipes au sein des formations pour établir un premier contact et notamment s'imprégner des questions logistiques inhérentes au cyclisme.

Madiot "ne fait pas ça pour l'argent"

Un sport qui espère les mêmes retombées que la Formule 1 avec "Drive to Survive". Et qui ne semble pas beaucoup craindre les caméras indiscrètes de Netflix. "On a vu que ça avait redonné un coup de pouce à la F1, qui était un peu sur une pente descendante au niveau des audiences. On est un des sports qui va le plus loin dans la recherche et c'est ça qu'il faut montrer, ça va en surprendre plus d'un. Est-ce qu'on a des craintes ? Non, on a l’habitude, ça ne va pas changer grand-chose", assure Valentin Madouas (Groupama-FDJ), récent troisième du Tour des Flandres. Côté financier, aucun chiffre n'a été officialisé. Selon la presse britannique, les huit équipes présentes dans la série devraient se partager environ 500.000 euros, soit 62.000 euros chacune.

"Ça ne rapportera pas grand-chose, précise Marc Madiot. C'est assez dérisoire par rapport au budget dont nous avons besoin pour faire une saison. On ne fait pas ça pour l'argent sinon on aurait mieux négocié." Pour diffuser ce contenu, Netflix pourrait verser une redevance de 500.000 euros entre l'organisateur ASO et le diffuseur France Télévisions. Et puisque la F1 ne lui suffit visiblement plus, la plateforme a aussi engagé des projets similaires dans le tennis et le golf.

Rodolphe Ryo avec Arnaud Souque