"Il va falloir être fort en magie pour nous faire croire qu'il y a du suspense": Pogacar a-t-il assommé le Tour de France ?

Coup de massue sur le Tour de France. Pas tant dû à la chaleur étouffante des Pyrénées ce jeudi qu'à la performance maousse accomplie par un Tadej Pogacar entré en mode rouleur compresseur. À ceux qui questionnaient sa forme après l'avoir vu la veille goûter au bitume toulousain, l'ogre slovène, avec son avant-bras gauche bandé, a répondu par un numéro étourdissant pour s'adjuger la 12e étape à Hautacam - sa 3e sur cette édition - et estourbir la concurrence. Le voilà de retour en jaune et de quelle manière, avec 3 minutes et 31 secondes d'avance sur son pâle dauphin Jonas Vingegaard. Un autre monde. Et un quatrième Tour bientôt dans son escarcelle?
"Il est seul sur sa planète"
"Pogacar avait décidé de se venger par rapport à 2022 quand il avait été humilié par Wout van Aert et Vingegaard à Hautacam. Il voulait taper un grand coup sur la table. La Visma a pris une terrible leçon aujourd'hui. Pour battre Vingegaard, il faudrait que Matteo Jorgenson, Sepp Kuss et Simon Yates soient à leur maximum et ils ne le sont pas du tout", observe l'ancien coureur et consultant pour RMC, Jérôme Pineau. "La seule chose qui pourrait poser souci à Pogacar, c'est de tomber malade ou une violente chute… En ce moment, il est seul sur sa planète. Il est largement au-dessus."
C'est en attaquant à douze kilomètres du sommet que le champion du monde a fait exploser ce qui restait du groupe des favoris. S'il a un temps navigué à une vingtaine de secondes, Vingegaard n'a pu que rendre les armes, comme tous les autres, cédant mètre après mètre. "L'équipe est à un niveau incroyable. Tactiquement, elle est parfaite. Les gars, l'attitude… tout est vraiment bon. Aujourd'hui, c'était parfait", pouvait savourer le directeur sportif espagnol d'UAE Emirates, Joxean Fernandez Matxin, insistant sur la puissance du collectif émirati. Il lui fallait ensuite répondre à la question qui brûle désormais les lèvres des suiveurs et d'un public inquiet à l'idée de trouver le temps long jusqu'au bouquet final sur les Champs-Élysées, le 27 juillet.
UAE veut rester prudent...
"Le Tour est-il fini? Non, non", assurait Matxin. "C'était la première étape de montagne. Le Tour de France est encore long. Ce vendredi, on sera aussi concentrés (pour le contre-la-montre entre Loudenvielle et Peyragudes). Et toutes les Alpes, dans la dernière semaine, seront compliquées." Même discours de prudence chez Andrej Hauptman, autre cacique d'UAE: "On savait que nos adversaires allaient mettre les gaz dès la première montée. C'est pourquoi nous avons placé quelqu'un dans l'échappée (Tim Wellens). Et à partir de là, tout s'est passé nous l'avions prévu. Nous avons attendu la dernière montée et nous avions encore Adam (Yates), Johnny (Narvaez)..."
"Demain, il y a le contre-la-montre, et encore beaucoup d’ascensions derrière… Après-demain, il y aura une autre étape très difficile (Pau - Luchon-Superbagnères), l'une des plus difficiles du Tour, et puis encore les Alpes à venir. Aujourd'hui nous avons eu notre meilleure journée, mais peut-être que nous n'aurons pas de bonnes journées dans les prochaines étapes de montagne. Nous devons donc rester calmes et concentrés jusqu'à la fin", temporisait Hauptman. "Vous savez comment fonctionne le cyclisme. Vous avez vu hier (la chute de Pogacar), vous pouvez avoir un mauvais jour ou quelque chose qui arrive. Ça s’est déjà produit dans le passé, donc je suis sûr que ce Tour n'est pas terminé", insistait le dirigeant slovène.
... mais Sivakov sans pitié avec les Visma
Lieutenant de Pogacar, Pavel Sivakov se montrait lui un peu plus franc face aux médias. Pas encore au point de sabrer le champagne, mais pas loin. "C'est super pour nous, je pense que c'est un pas énorme vers la victoire au général. Malgré sa chute hier, Tadej a confirmé son statut. Ce n'est jamais fini avant Paris, tout peut se passer et il ne faut jamais sous-estimer les adversaires. Mais c'est sûr qu'il a frappé un grand coup sur Vingegaard. Moralement, ça va être très compliqué pour Vingegaard, mais il ne faut jamais se relâcher. On va continuer", soulignait le Français, avant de se permettre un tacle appuyé sur la tactique des frelons néerlandais.
"La Visma a fait le boulot pour nous. (Victor) Campenaerts a mis tout le monde dans le rouge, (Matteo) Jorgenson lui a demandé de ralentir mais il n'a pas ralenti. Au final, je pense qu'ils se sont mis une épine dans le pied. Ils ont manqué de coureurs dans le final… Pour nous c'est une bonne journée, pour eux moins." Chez la concurrence, justement, l'ambiance se voulait terriblement fraîche.
Pour Madiot et Evenepoel, c'est plié
"Jonas était le meilleur des autres, c'est la réalité d'aujourd'hui. J'espère que demain ce sera différent. Je n'ai pas encore parlé aux gars, je n'ai pas d'explication. Matteo, tout d'un coup, a été lâché. Et quand il a été lâché, il l'a dit à la radio. Mais je ne savais pas avant qu'il n'était pas dans un bon jour. Et bien sûr, nous avons dû changer un peu de stratégie et ralentir. Est-ce que le Tour de France est terminé? Le Tour est terminé à Paris", relevait Grischa Niermann, directeur sportif de Visma-Lease a bike, avant de s'éclipser dans son van.
Et les autres, qu'en pensent-ils? "Tadej était encore au-dessus de tout le monde et les gars de Visma lui ont donné un coup de main. Ils doivent arrêter ça. Tadej est juste plus fort que Jonas. Je pense qu'il est assez loin", tranchait le très lucide Remco Evenepoel, 7e de l'étape, et 3e du général... à près de 5 minutes de Pogacar. "Il n'y a pas photo. Il est plus fort, c'est tout", embrayait froidement Marc Madiot, manager de Groupama-FDJ. "Le Tour est plié, sauf incident. Il va falloir être fort en magie pour nous faire croire qu'il y a encore du suspense..."