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Tour de France: "Dans un col, tu as mal partout", l'enfer de la montagne raconté par les coureurs

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Si les étapes de montagne sont une délivrance pour certains coureurs du Tour de France, elles sont synonymes pour d'autres de stress intense et de souffrance extrême. Récit.

"Je suis mort !" Il est 18h35 lorsqu’Alexis Renard rejoint le bus de son équipe Cofidis, samedi, le visage et les traits marqués par la chaleur, plus de quatre heures d’efforts et le soulagement d’avoir survécu à la 14e étape du Tour de France. Le Breton de 24 ans, bizuth sur la plus belle course du monde, n’est pas un pur grimpeur. Se farcir une orgie de cols et de longues ascensions, ce n’est pas vraiment son truc. Au moment où il coupe la ligne à Morzine, le champion du jour, l’Espagnol Carlos Rodriguez, enchaîne déjà les interviews depuis une grosse demi-heure. Ce qui ne l’empêche pas de savourer sa propre victoire. "J’arrive avec seulement cinq minutes d’avance sur les délais. Mais c’était l’objectif et c’est fait ! Je suis content d’être encore là", glisse-t-il.

Le cauchemar du hors délai

Avant d’ajouter entre deux gorgées d’eau : "C’était une journée de souffrance. Totalement. On ne s’est jamais arrêté de rouler. On était presque tout le temps à fond. Moi il fallait que je trouve un groupe rapidement pour m’accrocher, c’est ce qui s’est passé dès la première montée. C’est le genre d’étape que j’appréhende énormément. Car il n’y a pas du tout eu de plaisir aujourd’hui. Les journées comme ça, il faut savoir les passer, finir dans les délais et se tourner vers la suite. Pour tenir, je pense juste à Paris." Il le sait, avec cinq ascensions répertoriées jusqu'à l'arrivée au sommet à Saint-Gervais, au pied du Mont-Blanc, la même souffrance l’attend ce dimanche lors de la 15e étape. Lui et tous ceux qui observent de très, très loin la baston entre les gloutons Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar.

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Pour certains, la haute montagne peut tourner à la séance de torture. Avec l’angoisse de plier sous la cadence infernale imposée par les gazelles du Tour. "Beaucoup de coureurs ont peur de ne pas finir dans les délais, confirme le Savoyard d’Arkéa-Samsic, Simon Guglielmi. Quand on est dans une bonne journée, c’est magnifique la montagne. Sinon, ça peut vite faire peur. Ce qui est dur, c’est de devoir faire des efforts à bloc pendant vingt minutes à une heure. Ça fait mal dans les jambes, dans la tête, dans le corps en général, en fait. C’est dur à expliquer mais par moments c’est tout sauf agréable (rires). Et si en plus tu es malade ou blessé, ça devient un enfer." Sentir sur sa nuque le souffle de la voiture-balai, lutter contre le temps, serrer les dents cahin-caha, carburer à l’arrière pour échapper à l’élimination, voilà la vie d’une partie du peloton lorsque le dénivelé vire au positif et que l'air se raréfie.

"Si tu pètes et que tu es seul, t'es foutu"

"C’est un week-end horrible et ce sera aussi dur mercredi", sourit Axel Zingle, une goutte sur le front rien qu’en pensant à l'éprouvant menu de la 17e étape avec le col des Saisies (13,3km à 5,1%), le Cormet de Roselend (20km à 6%), la côte de Longefoy (6,7km à 7,5%) et surtout le col de la Loze (28,1km à 6%), le nouveau géant des Alpes. "Sur des journées où tu sais que tu ne seras pas dans le match pour faire un résultat, c’est difficile de se faire mal mais il faut quand même le faire, confie le sprinteur de Cofidis. Sur une étape avec une seule grosse bosse, tu as le temps, tu peux gérer. Mais sur des étapes de très haute montagne, avec plusieurs cols, il faut tout de suite réussir à être dans un groupe pas trop loin du peloton. Si tu pètes dans la première bosse et que tu es seul, t’es foutu. Et même si t’es avec du monde, t’es obligé de rouler à fond comme si tu jouais la gagne, alors que tu te bats simplement pour rester dans les délais. Ce sont des journées de galère, et c’est encore plus dur si tu prends un coup de chaud ou que tu es moins bien."

Pour les naufragés du gruppetto et les survivants de la montagne, qui ont intérêt à faire front commun pour sauver leur peau, la douleur peut être autant psychologique que physique. "C’est stressant. On a toujours peur d’un départ un peu difficile, de se retrouver loin derrière. Quand c’est comme ça, c’est compliqué. Moi, quand je vois que je suis avec Jasper Philipsen (le maillot vert), qui monte bien, ça me rassure. La clé, c’est de ne pas trop se poser de questions. Parce que ça fait mal dans la tête, dans le coffre au niveau du cardio, dans les jambes aussi bien sûr. Et puis il faut gérer la chaleur. On a vu sur l’étape Vulcania-Issoire que de très bons coureurs ont attaqué avant d’exploser. Il faut ménager sa monture au mieux", détaille l’expérimenté Laurent Pichon, 36 ans.

"Dès le petit-déj, tu te dis : 'Wow !'"

"Je n’ai pas oublié ce qui s’était passé lors de mon premier Tour, en 2017, rembobine le coureur d’Arkéa-Samsic. Sur la 16e étape, qui part du Puy-en-Velay, j’attaque deux-trois fois, mais l’échappée ne se forme pas… et je finis par me faire doubler par les sprinteurs. Je comprends que je me suis mis dans le rouge et que je suis en train d’exploser. Au final, on a passé toute l’étape à trois avec Daniel McLay et Luis Angel Maté. On n’a jamais revu le gruppetto et encore moins le peloton (rires). C’était la veille de mon anniversaire, je ne voulais surtout pas rentrer à la maison ! Cette année, je me dis que c’est sans doute mon dernier Tour, alors j’essaie de savourer même si c’est dur en montagne. J'ai en tête des images positives pour ne pas trop penser à la douleur."

L' After Tour du 15 juillet
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"Quand tu penses à ce qui t’attend avant une étape comme celle de dimanche, tu te dis dès le petit-déj : 'Wow !' Tu commences à réfléchir à ce qui va se passer, à ce que tu dois faire pour t’en sortir. Mais au final ce sont les jambes qui parlent, ça ne sert à rien de stresser. Dans un col, tu as mal partout, et tant que tu ne l’as pas vécu, tu ne peux pas savoir ! Il faut être habitué à souffrir, il faut savoir souffrir, ça demande un apprentissage sur plusieurs années. C’est vraiment la tolérance à la souffrance qui joue sur ces étapes", appuie le Toulousain Anthony Perez, six Tours de France au compteur avec Cofidis. Lilian Calmejane, vainqueur d’étape en solitaire à la Station des Rousses il y a six ans, a également réussi à appréhender ces moments de supplice extrême et même à prendre du plaisir dès que la route s’élève.

Le soutien essentiel du public

"En montagne, il faut se préparer mentalement à avoir mal, quel que soit l’échelon de la course où tu te trouves, témoigne l’Albigeois de la formation Intermarché-Circus-Wanty. C’est la même chose devant, dans le peloton ou derrière. Il faut savoir être en gestion dans les longues ascensions pour ne pas se faire sauter le caisson. Oui, la montagne nous fait souffrir mais c’est aussi là que s’écrit la légende et que se trouve la beauté du Tour. La montagne, c’est à la fois dur et grandiose. Monter un col ce n’est pas forcément ce qui me fait le plus mal, c’est davantage l’intensité qui fait la difficulté de la course. Par contre, ce qui est compliqué, c’est le niveau d'altitude. Quand on est à plus de 1.800 mètres, on a le souffle un peu plus court. Et puis tu as une cadence de pédalage moins élevée en montagne que sur le plat. Ça sollicite les muscles, on a beaucoup plus mal au dos et de douleurs parasites."

Le public peut alors aider à les surmonter. "Les encouragements des supporters nous font tellement de bien, même si on ne peut pas en profiter autant qu’on voudrait. Ça galvanise et parfois on ne sent plus trop nos jambes grâce à eux", confirme le natif de Lyon, Victor Lafay (Cofidis), dont la cote de popularité a grimpé en flèche depuis son numéro de haute voltige réussi dans les rues de Saint-Sébastien le deuxième jour. "Quand tu grimpes un col et que tu as la chance d’être à l’avant, le public apporte un extra de motivation incroyable. Ça donne tellement d’adrénaline ! Pour l’avoir vécu, c’est quelque chose d’assez fou. Le bruit, l’ambiance… c’est magique d’un point de vue sensoriel. On oublie un peu sa fatigue et sa douleur." Bonne nouvelle, le public devrait à nouveau être bouillant pour l’acte II de la bataille des Alpes programmé ce dimanche entre Les Gets et Saint-Gervais.

Rodolphe Ryo, à Morzine