Uruguay: la fin prématurée d'une génération dorée ?

Une demi-finale en 2010, un huitième en 2014, et un quart en 2018. A défaut de titre, comme en 1930 ou en 1950, l'Uruguay est l'une des sélections qui affiche, sur les trois dernières Coupes du monde, l'un des meilleurs bilans. Un champion de la régularité. Pour un pays de trois millions d'habitants, qui a en plus remporté la Copa America en 2011, c'est franchement pas mal. Mais voilà...
Alors que les deux-tiers des éliminatoires sud-américains pour le Mondial 2022 ont déjà été joués, la Celeste est en fâcheuse posture. Avant son match contre l'Argentine, dans la nuit de vendredi à samedi (0h, heure française), et pour lequel il sera privé d'une dizaine de joueurs (Cavani, Valverde, Nunez...), l'Uruguay n'est que sixième avec 16 points (4V, 4N, 4D).
Certes, les héritiers d'Enzo Francescoli sont à égalité avec le Chili (quatrième) et la Colombie (cinquième). Mais sachant que seul le Top 4 ira au Qatar, et que le cinquième devra passer par un barrage international, ils sont aujourd'hui virtuellement éliminés.
Le sélectionneur a été entendu par la fédération
Pour le moment, rien n'est fini. Après l'Argentine, la Celeste aura encore cinq matchs, dont certains largement abordables (Bolivie, Paraguay, Venezuela). Mais dans ce pays de passionnés, la campagne qualificative de la sélection est vécue comme un traumatisme, un signe avant-coureur d'une sombre époque à venir.
Même le sélectionneur Oscar Washington Tabarez, l'homme du renouveau depuis 2006, a depuis quelques mois les oreilles qui sifflent. Le coach de 74 ans, atteint du syndrome de Guillain-Barré et physiquement diminué, a prévu de raccrocher après le Qatar, en 2022. Mais face aux mauvais résultats, observateurs et supporters se sont demandés si son départ ne devait pas être anticipé. La fédération aussi.
Après les deux lourdes défaite en Argentine (3-0) et au Brésil (4-1) lors du rassemblement d'octobre, Tabarez a été convoqué par ses dirigeants, qui voulaient savoir s'il était toujours l'homme de la situation. Le technicien a dû se montrer convaincant, puisqu'au terme de plusieurs heures de réunion, la fédération l'a conforté dans ses fonctions.

"Le football n'a pas de mémoire", regrette Giménez
L'épisode a en tout cas secoué le vestiaire. Depuis le début du rassemblement de novembre, plusieurs internationaux sont montés au créneau pour soutenir leur entraîneur. "Les exigences sont toujours là, et encore plus en équipe nationale, lâchait ces derniers jours Luis Suarez. Il faut se rappeler combien il a été difficile de construire ce processus..." Agacé par les critiques, l'attaquant de l'Atlético de Madrid a rappelé dans quel état se trouvait l'équipe nationale il y a quinze ans. "Cette génération a mal habitué les Uruguayens", a-t-il grincé...
Son coéquipier José Maria Giménez a donné dans le même registre. "Le football n’a pas de mémoire", a regretté le défenseur des Colchoneros, en trouvant des circonstances atténuantes au sélectionneur: "Pour un entraîneur, diriger une équipe nationale pour trois matchs en dix jours, ce n’est pas facile. Surtout quand vous avez aussi peu de temps pour préparer les rencontres. Les premiers responsables, ce sont les joueurs." Et c'est sans doute le coeur du problème.
Une colonne vertébrale de plus de 34 ans
Si l'Uruguay a retrouvé la lumière dans les années 2010, ce n'est pas uniquement grâce à son sélectionneur. La Celeste a aussi - surtout - profité d'une génération dorée, comme il n'en pousse pas tous les jours. Mais à Montevideo comme ailleurs, les années passent.
Meilleur joueur du Mondial 2010, le charismatique Diego Forlan (42 ans) a rangé les crampons depuis quelques années, comme Diego Lugano (41 ans) ou plus récemment Maxi Pereira (37 ans), toujours joueur de Peñarol mais plus de la Celeste.
Les cadres restants sont eux plus proches de la fin que du début. C'est le cas du gardien Fernando Muslera (35 ans, 129 sélections), du patron de la défense Diego Godin (35 ans, 151 sélections), et bien sûr des enfants de Salto, les serial buteurs Luis Suarez (34 ans, 126 sélections) et Edinson Cavani (34 ans, 126 sélections).
Pour Forlan, le mal est profond
Derrière eux, l'Uruguay n'est pas toute nue. José Maria Giménez n'a "que" 26 ans, Rodrigo Bentancur 24, Federico Valverde 23, alors qu'émergent Ronald Araujo (22 ans) et Darwin Nuñez (22 ans). Mais aucun d'entre eux n'a encore évolué au même niveau que les leaders vieillissants. En clair: le réservoir s'assèche, et certains s'interrogent sur la capacité du pays à le remplir.
"Le Maestro (Tabarez) a fait du bon travail, mais le monde évolue dans un sens, et nous dans l'autre, observait le mois dernier Forlan à la télévision uruguayenne. Vous pouvez le voir au niveau international, mais aussi à l'échelle locale. Ça vient des racines... Si je compare un enfant de 10 ans qui joue ici à un enfant de 10 ans qui joue en Europe, le niveau n'est déjà pas le même. Le fait est que notre formation n'est pas la meilleure, et nos infrastructures, nos terrains non plus. (...) Je ne blâme pas les entraîneurs, mais nous perdons du temps durant les premières années de football. Et les dirigeants ne s'en occupent pas." Et l'ex-buteur d'en revenir à une éventuelle non-qualification: "Si ça devait se finir comme ça, j'en serais triste."