"Benzema ? Tuer deux fois, ça ne sert à rien"

Noël Le Graët, comment vous sentez-vous à quelques jours du début de l’Euro ?
Moi, bien. L’organisation aussi. Je crois que tout le monde a fait ce qu’il fallait pour que ça se passe dans de bonnes conditions. Si je regarde nos stades, la sécurité, chacun a fait des efforts vraiment phénoménaux pour que ça se passe dans les meilleures conditions. Et au niveau de l’équipe, Didier (Deschamps) a vraiment les choses en mains, le groupe est serein. On a joué deux matchs amicaux de bonne qualité. On est prêts, on attend avec beaucoup d’espoir le match de vendredi.
Après toutes les affaires qui ont pollué la préparation, vous devez avoir hâte que la compétition débute…
Nous, on n’a parlé que de foot, je ne sais pas qui parle d’autre chose. Lors de mes discussions avec Didier et les joueurs depuis quelque temps, on est complétement obnubilés par l’organisation. Le reste n’a pas d’importance à nos yeux.
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Etes-vous impressionné par la ferveur qui règne autour de l’équipe de France ?
Ça donne des responsabilités. J’ai connu des moments tellement plus difficiles après 2010. Mais avouez que j’ai toujours déclaré que les Français aimaient leur équipe et que les joueurs aimaient le maillot bleu. Après, ce sont les circonstances. Il faut gagner, il faut des résultats, parce que sans résultats, il n’y a pas de ferveur. Les garçons ont beau être bien élevés, polis, bien coiffés, c’est bien, c’est sympathique, mais ce qu’attendent les Français, c’est que notre équipe se comporte bien dans le jeu. Notre équipe a progressé. Elle n’a pas fait une Coupe du monde extraordinaire mais une bonne Coupe du monde. Tous les joueurs alignés sont titulaires dans les grands clubs européens ou français. J’ai absolument confiance en cette équipe. Sans dire qu’on est les meilleurs, on est sortis de cette période difficile où l’équipe de France était soi-disant mal aimée, où les joueurs étaient décriés. Je pense qu’on est revenu dans le bon chemin et j’espère que l’Euro va le confirmer.
« Les grèves ? Il y a peut-être un moment où on doit réfléchir »
Etes-vous sur la même longueur d’ondes que François Hollande, qui appelle à la fin des grèves pour le début de l’Euro ?
C’est ce que je pense. Le foot, même quand il n’y a pas de manifestations, réunit les gens. Tout le monde peut jouer au football, quel que soit son âge, sa religion, sa façon de penser. Le foot est le sport le plus populaire, qui rassemble le plus. Un évènement comme celui-là ne peut pas arrêter la France. On ne peut pas tout décider à la place des autres, mais c’est un moment privilégié, qui ne se reproduira pas en France lors des vingt-cinq années qui viennent. Ça ne veut pas dire qu’il faut oublier toutes les difficultés, ce n’est pas ça, mais je pense qu’il y a peut-être un moment où on doit réfléchir et essayer de donner un beau visage de notre pays.
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L’équipe de France est-elle bien sécurisée ?
Je ne vais pas dire de trop, car ce n’est jamais trop. Et ça vaut pour toutes les équipes. Bernard Cazeneuve (le ministre de l’Intérieur, ndlr) a mis en place une sécurité pour toutes les nations, pas que la France. Je peux vous dire qu’aucun pays n’a fait autant d’efforts que le nôtre. Les vingt-quatre nations peuvent venir en toute tranquillité, tout est prêt. Il y a des garanties de sécurité de très, très haut niveau. La France est capable d’accueillir toutes les supporters sans grosse difficulté.
« Je ne veux pas faire d’anti-Benzema »
N’avez-vous pas été trop clément avec Karim Benzema à la suite de ses propos concernant le racisme et Didier Deschamps ?
Benzema est suspendu. Je suis partisan du « on ne tue jamais personne deux fois ». Je ne suis pas quelqu’un qui aime sanctionner, vous l’avez senti depuis longtemps. Il y a des commissions pour ça. Pour Benzema, je pense que le fait de ne pas être sélectionné est déjà une rude sanction. Je ne veux pas faire d’anti-Benzema, ça ne m’intéresse pas du tout. J’ai toujours dit que j’avais de l’estime pour l’homme. Il doit être un peu contrarié en ce moment. Je ne vais rien dire contre ce Monsieur, qui est un bon joueur. J’espère qu’il redeviendra sélectionnable un jour. Je ne suis pas pour les sanctions à vie, ça n’existe pas, c’est de la méchanceté gratuite.
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Ne pensez-vous pas qu’il aurait quand même pu se passer de cette interview ?
Peut-être, mais c’est fait, on ne peut pas revenir en arrière. Il aurait sûrement préféré être dans le groupe, son absence le gêne très certainement. Je crois aussi avoir dit que ce n’était pas très adroit et qu’il devait beaucoup à Didier, car dans les périodes où il n’était pas bon, il a peut-être joué au Real Madrid parce que Didier le sélectionnait. La France est complètement irréprochable.
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N’avez-vous pas été vexé par ses mots ?
On sait très bien qu’il y a du racisme en France, on ne peut pas le nier. Ça existe. Il y a des gens qui sont totalement intolérants. Ceci dit, si Karim n’y est pas, c’est parce qu’il y a une affaire. Karim a été le joueur le plus sélectionné par Didier lors des trois dernières années. La rancœur ne fait pas partie de mon système. Je pense que je lui serrerai la main dans les délais les plus courts si c’est possible. Chacun sa vie. Il y a des sanctions. Mais tuer deux fois, je n’aime pas, ça ne sert à rien. Il est déjà largement puni, il a une affaire en cours. S’il est condamné, on prendra nous aussi des décisions, on verra bien. Il est suspendu. Je l’ai suspendu, mais je vais le suspendre encore plus ? Ça ne va pas, non ? Je ne sais pas qui peut parler comme ça. Ça sert à quoi ?
« Deschamps n’a pas été marqué longtemps »
On peut penser que Karim Benzema ne reviendra pas en équipe de France avec Didier Deschamps comme sélectionneur…
Ah mais c’est possible, ça, le sélectionneur fera ce qu’il veut. Pour le moment, il est suspendu. Je ne sais pas où vous voulez en venir… Il faudrait l’écarter à vie ? Je vais voir avec l’une de mes commissions, j’ai un avocat sérieux qui va prendre cette décision. Mais en tout cas, je n’y souscrirai pas.
Didier Deschamps a-t-il été marqué par cette affaire ?
Sûrement, mais il n’a pas été marqué longtemps. Et heureusement car quand on est patron, comme c’est le cas, on a le droit de prendre un petit coup de barre de cinq minutes. Ça ne doit pas dépasser cinq minutes. Et Didier est comme ça, il fait partie des gens pragmatiques, que j’estime. Je l’ai vu à Metz, on a discuté dix minutes, il n’y avait pas besoin de plus. Il est bien dans ses baskets, bien dans sa peau. Il est le patron de l’équipe de France et un patron ne peut pas avoir le blues plus de cinq minutes.
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Acceptez-vous les excuses de Jamel Debbouze, qui avait déclaré que « Benzema et Ben Arfa payaient la situation sociale de la France », et qu’avez-vous à lui répondre ?
Rien.
« Deschamps est le sélectionneur idéal »
Quel est l’objectif des Bleus dans cet Euro ?
Déjà, si on est dans le dernier carré, je me dis que l’équipe de France remplit sa mission. Après, on organise, donc il faut gagner si on peut. Je suis assez content que les joueurs aient l’ambition de la gagner, car dans leurs clubs ils gagnent. Ce sont des gagneurs, tous.
Que représente pour vous Didier Deschamps ?
C’est le sélectionneur idéal. Il a ce côté pragmatique que j’aime bien. On ne passe pas des heures à discuter mais on se voit tout le temps, de façon très régulière. Si c’est oui, c’est oui. Si c’est non, c’est non. Il n’y a pas besoin de longs discours, il n’est pas ambigu. C’est pour ça que les joueurs l’apprécient. Quand il dit quelque chose, c’est fait.
Restera-t-il sélectionneur des Bleus après l’Euro ?
J’ai prolongé son contrat avant, jusqu’en 2018. Il a un contrat. Avoir Didier à ce poste-là, ce n’est pas mal pour la France.
Zinedine Zidane, qui vient de gagner la Ligue des champions avec le Real Madrid, sera-t-il un jour le sélectionneur des Bleus ?
Mon successeur décidera. Il est au Real Madrid depuis trois mois (six mois, en fait). Je ne le vois pas quitter le Real Madrid dans quatre ans. Ce n’est pas du tout à l’ordre du jour.
Que ferez-vous en cas de victoire de la France à l’Euro ?
Je dinerai sûrement avec les joueurs ce soir-là, les amis le lendemain, mais je ne vais pas faire le tour du monde à bicyclette. Je ne sais pas faire de vélo.
Didier Deschamps a dit qu’il aimerait continuer l’aventure avec vous. Allez-vous vous représenter à la présidence de la FFF ?
C’est une très bonne question. Je donnerai ma réponse au mois de novembre, je l’ai déjà indiqué. Si je sais ce que je veux ? Bien sûr. Il y a toujours beaucoup de travail. Il faut être dans l’action.