Sa retraite, son fils, les dérives du foot, la finale de la Coupe du monde... Christian Gourcuff se livre

Christian Gourcuff, votre livre est-il une manière de laisser un héritage sur votre style de jeu?
Il y a des aspects techniques et d’autres plus philosophiques et sociologiques sans être pédant sur des choses plus profondes. Si j’avais écrit le bouquin tout seul (le livre est écrit sous forme d'interviews par Julien Gourbeyre du magazine Vestiaires, ndlr) je l’aurais plus axé sur les dérives sociétales du foot, même si on l’aborde dans la fin du bouquin.
Que devenez-vous depuis votre départ de Nantes en décembre 2020?
Je vis une belle retraite, tranquille, paisible, en Bretagne. Je fais tout ce que je n’ai pas pu faire pendant ma vie, que je faisais de façon très accélérée. J’ai le temps de me balader, de faire un peu de vélo, de m’entretenir, de m’occuper de mes chiens, de mon jardin. C’est une vie très simple à laquelle j’aspirais depuis quelques temps puisque j’étais de plus en plus en décalage avec le monde du foot. Ma retraite est venue de façon très naturelle au bon moment.
C‘est une retraite définitive, vous n’envisagez pas de reprendre un poste?
Oui mais déjà, Nantes, c’était une petite prolongation. Des circonstances particulières avaient fait que j’avais signé un an à Nantes (en août 2019, ndlr). J’avais dit que Nantes était mon dernier club, je n’envisageais pas de poursuivre. A un moment, il faut savoir s’arrêter aussi. Quand vous êtes en décalage avec l’environnement général, il vaut mieux s’arrêter. Ce sont des choses difficiles parce que ce n’est pas évident de s’arrêter. Assez peu de gens savent s’arrêter à temps.
Avec votre approche très détaillée du jeu dans le livre, pouvons-nous vous imaginer comme consultant?
Non, pas du tout. Je n’aime pas le jeu de la communication qui est complètement intégré à cette vue de la société, avec du buzz et l’aspect commercial. Je me souviens de Raynald Denoueix qui était consultant pour les clubs espagnols, c’était intéressant. Mais on est tombé dans une surenchère et je trouve ce jeu assez malsain. Il y a un tourbillon avec les réseaux sociaux, le public auquel je refuse de participer.
"L'équipe de France aurait pu gagner, il faut aussi être capable de voir ce qui s’est passé avant"
Suivez-vous toujours le foot?
Je suis l’actualité générale comme celle du foot avec mon œil critique. On ne peut pas vivre reclus du monde. Sur le plan du foot, je me suis désintoxiqué en résiliant mes abonnements. C’est plus facile pour moi de faire l’impasse. C’est une façon thérapeutique de couper avec cette drogue.
Quel regard portez-vous sur le parcours de l’équipe de France et son style de jeu pendant la Coupe du monde?
En Coupe du monde, une hiérarchie s’est resserrée. Arriver en finale, c’est un beau parcours sur le plan des résultats. J’ai lu une interview de Platini dans laquelle je me retrouve complètement. Il y a eu les matchs contre l’Angleterre, le Maroc… c’était toujours un peu poussif même si ce n’était pas immérité. Et la finale, c’est assez significatif du traitement médiatique qu’est devenu le football. J’ai vu le match en différé avec une analyse où on sort de l’émotion. Pendant 80 minutes, l’Argentine est largement supérieure. Après, ça bascule et ça se joue aux dés. Il n’y a pas d’analyse sur le jeu mais pendant 80 minutes, l’Argentine était très supérieure à l’équipe de France et ça, je ne l’ai pas trop lu.
La finale a basculé dans l’irrationnel…
C’est tout à fait significatif de l’époque. L’émotion du résultat avec sa dramatisation enlève toute analyse objective. On peut estimer que l’équipe de France aurait pu gagner, même avant les tirs au but. Il faut aussi être capable de voir ce qui s’est passé avant.
Êtes-vous surpris par l’éclosion soudaine de Randal Kolo Muani, que vous avez entraîné à Nantes, en équipe de France?
Surpris, non. J’ai vu beaucoup de joueurs qui ont progressé assez vite. Il faut leur donner confiance, leur donner l’opportunité de jouer et créer un contexte assez favorable pour développer des qualités. En équipe de France, j’ai eu Kevin Gameiro et André-Pierre Gignac. Randal, à un moment donné, il y a un coup de pouce dans la carrière qui fait que ça bascule. Il revient de prêt de Boulogne (en juin 2020), on est en plein covid, j’ai une discussion avec lui et ses agents. Il aspirait à jouer et fait une préparation très satisfaisante. Dès qu’il a été opérationnel, je l’ai installé et il n’a plus quitté l’équipe. Il a continué sa progression. Il y a beaucoup d’exemples qui ont ces trajectoires qui auraient pu s’inverser. Ça va dans le bon sens à condition, bien sûr, d’avoir des qualités suffisantes.
Votre fils Yoann signe la préface de votre livre, pouvez-vous nous donner de ses nouvelles?
Il est comme moi. Il est un peu plus jeune donc ce n’est tout à fait la même chose. Il s’occupe de ses enfants, il joue au tennis. Il a pris beaucoup de recul par rapport à l’environnement du foot. Il vit une retraite paisible, assez sereine. C’est bien mais il faudra aussi qu’il trouve d’autres centres d’intérêts à un moment donné. Au niveau sport, le tennis lui apporte les sensations qu’il pouvait avoir sur un terrain sur le plan technique.
Son fils Yoann de retour dans le foot? "Ce n’est pas d’actualité immédiate"
Marouane Chamakh évoquait un retour prochain de Yoann dans le foot. En savez-vous plus ou est-ce encore flou?
Oui, c’est très flou. Pour lui, le foot, c’était aussi une passion. C’est justement quand on est passionné qu’on a tendance à prendre du recul par rapport à l’environnement. Il faudrait qu’il trouve déjà un contexte qui lui soit favorable. Educateur… C’est plus une question de circonstance, de trouver un contexte qui soit favorable. Ce n’est pas d’actualité immédiate.
Comment avez-vous vécu les critiques reçues dans sa carrière et le fait d’avoir été son entraîneur à Rennes?
Sur sa carrière, je ne suis pas surpris par l’environnement, par ce qu’il s’est passé, par ses caractéristiques d’éducation et techniques. Compte tenu de cet environnement que je connais bien, ça ne m’a pas véritablement surpris. J’étais capable d’analyser ce que lui ressentait. C’était un accompagnement, je suis toujours resté à ma place. J’avais une analyse de la situation assez précise. Pour le reste, de l’avoir entrainé, j’avais dit à moment donné que c’était impossible mais au moment où je l’ai fait (entre 2016 et 2017), c’est redevenu possible dans un contexte très propice à Rennes où la situation était acceptée par la direction du club, mais aussi globalement par les joueurs. C’est une condition impérative. On était tous les deux en fin de carrière, on n’avait plus rien à prouver.
Vous évoquez les dérives sociétales, que reprochez-vous au football moderne?
On n’est plus dans le sport, c’est l’utilisation du sport à des fins mercantiles, financières, où tout est ramené aux résultats qui, dans le sport, sont importants. Mais on est dans du résultat sur du très court terme, sans aucune analyse, dans l’immédiateté continuelle. La nature du sport, c’est la façon d’arriver à un résultat, c’est l’épanouissement dans la pratique pour arriver à un résultat avec un respect des règles. Et tout ça est complètement dénaturé. Les structures financières des clubs ont complétement modifié les choses avec une dérive économique des investisseurs étrangers où les clubs sont des structures financières, comme dans l’économie avec les dérives sur la mondialisation, la dérégulation, la déshumanisation. Tout est ramené aux résultats sur du très court terme. Les intérêts des joueurs sont considérables avec des lobbies d’agents qui ont une importance capitale. On n’est plus dans un respect sportif qu’on pouvait encore concevoir il y a 20 ans.
"Quand je me voyais, je n’avais pas forcément l’image de quelqu’un de sympathique, relâché"
Parmi vos regrets, il y a vos deux passages à Rennes (en 2001-2002, puis entre août 2016 et novembre 2017). En conservez-vous toujours une amertume aujourd’hui?
Je l’aurai jusqu’à la fin de mes jours. Ce n’est pas un traumatisme mais c’est une illustration des guerres politiques. A Rennes, on m’avait appelé deux fois avec des projets de long terme avec la formation des jeunes, une identité de jeu mais aussi régionale. C’était des choses qui me correspondaient. La deuxième fois, on me connaissait et on me rappelle encore et puis je suis victime d’une "OPA" du club. C’était l’illustration des lobbies, des structures financières et des intérêts divers qui changent la donne au bout d’un an. C’est l’illustration de ce monde que je rejette complètement. La plus dure blessure, c’est mon départ de Lorient (en 2014, sur fond de conflit avec le président Loïc Féry) avec un club qu’on avait construit sur la durée (il en avait été l’entraîneur entre 1991 et 2001) et qui s’est modifié avec une nouvelle structure dirigeante.
Dans votre livre, vous dites regretter d’avoir laissé l’image d’une personne froide. Vous êtes-vous senti incompris au cours de votre carrière?
L’image que je donnais ne correspondait pas à celle que je suis. C’est sûrement de ma faute aussi, j’étais d’une telle exigence que j’avais du mal à me relâcher. Je pouvais paraître très froid. Les gens qui me connaissent et ceux avec qui j’ai travaillé le savent bien. L’image du grand public... quand je me voyais, je n’avais pas forcément l’image de quelqu’un de sympathique, relâché. C’est en ça que je regrette mais c’était aussi le pendant de mon exigence, de la pression que je me mettais. Pour moi, la seule chose qui compte, c’est la reconnaissance des joueurs sur le travail, le plaisir.
Avez-vous encore des amis en activité dans le milieu du football?
De moins en moins parce que je vieillis. Il y a une jeune génération d’entraîneurs, des étrangers. J’ai toujours eu du plaisir à échanger avec Raynald Denoueix, qui est retiré depuis un certain temps. J’étais aussi assez lié avec Lucien Favre. Mais c’est normal compte tenu de la différence d’âge. C’est la vie aussi. On vieillit trop vite mais c’est aussi accéléré par tous les aspects de la société où le facteur temps est complètement modifié. On est dans l’immédiateté, un peu dans l’esbroufe et dans des aspects de communication permanente.