Matches présumés truqués en Ligue 2 : les vérités de Fortin

Jean-François Fortin - AFP
Le 17 mars dernier, Jean-François Fortin a remporté une première bataille en étant disculpé par la commission de discipline de la LFP dans l’affaire des matches présumés truqués en Ligue 2 la saison passée. Pour rappel, le président du Stade Malherbe de Caen était soupçonné d’avoir arrangé, avec son homologue nîmois Jean-Marc Conrad, le résultat de Caen-Nîmes (1-1), qui permettait à son club de monter et à la formation gardoise de se maintenir. Un épisode que le dirigeant normand, qui reste mis en examen sur le plan pénal, n’est pas près d’oublier. Sa version des faits, ses échanges téléphoniques avec Conrad, les fameuses bouteilles de vins, sa garde à vue, les soutiens du monde du foot… Jean-François Fortin se livre sans retenue.
Soulagé mais…
« Je ne vais pas faire le malin. Je ne sais pas si "soulagement" est le terme, ou si c’est plutôt une confirmation de ce que j’ai toujours affirmé. C’est-à-dire que je ne voyais pas ce que j’avais pu faire de mal dans cette affaire. Je suis très heureux que cela se termine de la sorte. Mais en ce qui me concerne, j’avais besoin de cette confirmation claire et nette. La rétrogradation de Nîmes ? Je connais les problèmes que cela pose à un club en termes de gestion financière, d’hommes… Quant aux décisions de la commission, je n’ai pas les éléments pour avoir un avis quelconque. En ce qui me concerne, j’ai tendance à féliciter Monsieur Jaspard (ancien patron de la police judiciaire) pour cette enquête. Non pas parce que cela confirme ce que j’ai toujours avancé mais parce que j’ai trouvé qu’elle avait été faite sérieusement. »
Ses échanges avec Jean-Marc Conrad
« Je n’ai pas eu de contact téléphonique avec M. Conrad depuis qu’il est président de Nîmes. Je me souviens l’avoir rencontré trois-quatre fois lorsqu’il était à Arles-Avignon, par le biais des rencontres Caen-Arles-Avignon. De mémoire, cela s’est toujours bien passé, on n’a pas eu d’histoire ensemble. Je l’ai complètement perdu de vue après son passage à Arles-Avignon. La preuve, c’est que lorsque j’étais en garde à vue et qu’une policière a pris mon téléphone portable et mon répertoire téléphonique, le numéro de téléphone de Monsieur Conrad n’y était pas. Celui de M. Gazeau, qui était le président de Nîmes (avant Jean-Marc Conrad, ndlr), y était comme tous ceux des autres présidents. Je n’avais pas jugé nécessaire de supprimer celui de M. Gazeau pour mettre celui de M. Conrad. Quand il m’a appelé, de mémoire, il était en voiture. Il était sur l’autoroute entre Paris et Caen le jour du match (Caen-Nîmes). Et il me fait remarquer comme constat que, puisque ce match a lieu entre les deux dernières journées, ce sont des mathématiques de CE1, nous n’avons plus qu’un match à jouer. Je n’ai qu’une seule envie, c’est de gagner 3-0. Au minimum de gagner le match. Donc ce rappel a plutôt tendance à m’agacer un peu. Mais force est de constater qu’un point nous suffit. »
Les palettes de vin offertes par Nîmes
« On ne m’achète pas, j’ai cette éducation-là. Il (Jean-Marc Conrad) peut m’appeler 10 fois, 20 fois… Il peut passer de trois à six cartons de bouteilles. Ma détermination, c’était de gagner. Ce n’est pas de l’agressivité envers M. Conrad ou Nîmes. C’est plus lié au sentiment qu’il y a eu un sentiment d’injustice au Stade Malherbe. Et on se disait que le meilleur moyen de lutter contre cette injustice, c’était de gagner. Je n’ai pas du tout pensé au vin. Le cadeau, je m’en fous. Je ne condamne pas la presse mais quand on voit le buzz que cela a fait, c’étaient des palettes entières qui arrivaient au Stade Malherbe de Caen... Et là j’étais embêté parce que je n’avais pas vu de vin. S’il y a eu plusieurs palettes, comment expliquer que je n’ai pas vu de vin ? Si j’en ai entendu parler ? Même pas. D’ailleurs « la commission Jaspard » est allée au fond des choses pour arriver à la conclusion qu’il y a eu trois cartons de six bouteilles à 1,70€ la bouteille. On est à 40€ (30,60€ en réalité). A la limite, il est même désobligeant de penser que les joueurs, le staff technique et moi-même, ayons été achetés pour 40€. C’est d’une débilité… C’est lamentable. En attendant cela a fait le buzz et c’est parti de tous les côtés. »
L’enquête mettant en cause l’attitude des joueurs
« C’est d’un ridicule… Le type est en train de dire qu’avant même le coup d’envoi, il savait qu’il y aurait match nul. Alors il se rattrape en disant "je ne suis pas capable d’affirmer si c’est 0-0 ou 1-1". Mais on se fout de la gueule de qui ? C’est un torchon. On part déterminés pour gagner. Et d’ailleurs le début du match le démontre, on marque un but. Après je ne suis pas d’accord avec certains rapports qui disent "on n’a jamais vu deux clubs faire de la passe à 10". En amateur, j’en vois tous les samedis. Je crois qu’on a l’habitude, et à tort, de penser que les footballeurs ont tout dans les pieds et rien dans la tête. Je pense que les joueurs de Nîmes et de Caen, à un certain moment du match, vous n’avez pas besoin de leur envoyer un message quelconque. Leur QI est quand même suffisant pour comprendre que si ça se termine sur un match nul, il y en a qui vont monter en Ligue 1 et d’autres qui ne descendront pas. »
L’arrestation à son domicile
« Cela s’est passé précisément à 6h05 parce que le policier me l’a dit à plusieurs reprises. Les policiers étaient cinq, ils arrivent chez moi et m’annoncent que je suis en garde à vue. Il m’a évoqué un certains nombres de villes (Brest, Dijon, Nîmes…). Je me suis demandé s’il parlait de mon entreprise. Et brusquement je lui dis : "Vous êtes en train de citer le nom des villes de clubs que je rencontre au football." A ce moment-là, je suis convaincu de l’erreur. Il me dit qu’ils vont m’emmener à Caen. On me demande de m’habiller. Là, il me fait remarquer que je n’ai pas le temps de prendre ma douche. Là où j’ai commencé à vraiment m’inquiéter, c’est quand il m’a dit qu’il était préférable que je prenne des chaussures sans lacets. Je suis donc allé à Caen pour l’interrogatoire et puis on m’a dit en fin de journée que cela se poursuivait et que je devais rester sur place. J’ai passé la nuit en cellule. Le lendemain matin, on a recommencé l’interrogatoire et on est reparti sur Nanterre. »
La nuit en cellule
« On se sent démonté. Ce que je vais dire n’est pas très correct mais vous êtes une merde. Vous n’êtes plus rien. Vous êtes désemparé, vous ne savez pas ce qui vous arrive. On vous parle de mecs… Je n’ai jamais mis les pieds dans une salle de jeu. On me dit que ce sont des mecs qui ont une salle de jeu… A un certain moment, c’est la honte. Alors en premier, vous pensez à votre femme, à vos enfants et vous commencez à vous demander s’ils ne vont pas penser que j’ai dérapé. Et après vous pensez à l’entreprise, il y a 4 000 personnes dans l’entreprise. J’ai connu une deuxième nuit en cellule, j’ai connu les menottes. Je ne fais pas le beau, je cohabitais avec des gens différents de moi et qui s’en sont rendu compte. Ils me l’ont fait savoir assez rapidement. Et quand je me retrouve à la sortie avec mes avocats, je n’aspire qu’à une chose, c’est rentrer chez moi. Je ne supportais plus le regard des autres, j’avais honte. Et c’est grâce à ma famille et à mes avocats que je n’ai pas tout arrêté, que je n’ai pas démissionné. »
Les erreurs à ne plus commettre
« Il y a des choses que je vais éviter. Les présidents, nous n’arrêtons pas de nous chambrer. Le nombre de fois où j’ai un collègue qui vient jouer à Caen et qui me dit : "J’ai deux suspendus, j’ai trois blessés, je ne suis pas bien, si je peux sortir d’ici avec un match nul…" Cela arrive quasiment à tous les matches. A l’avenir, j’éviterai parce que cela a été trop dur pour moi. Je ne veux pas qu’en chambrant, il y ait un délégué qui reparte pour dire : "J’ai entendu Fortin dire qu’il avait trois blessés et il demandait un match nul à son collègue", et que je me retrouve en garde à vue… Je ne plaisante plus là-dessus. »