Les promoteurs de la Super League ont une "communication très vicieuse", tacle un ancien chargé des compétitions de l'UEFA

William, vous avez longtemps travaillé auprès de l’UEFA. Est-ce qu’il y a quelques années vous avez vu arriver les promoteurs de la Super League?
Oui, Florentino Perez avait en tête de créer une Super League depuis plusieurs années, avec ses déclarations régulières, c’était public. Il y a eu aussi les révélations des "Football Leaks", sur des discussions et des réunions organisés pour créer cette Super League. On savait que c’était toujours là, dans les esprits mais on ne savait pas à quel point c’était concret. C’est une épée Damoclès au-dessus de nos têtes. Tu ne pouvais pas savoir si c’était concret. Soit un vrai projet avec des gens qui menacent de quitter les instances, de faire sécession. Ou si c’était simplement une menace afin d’obtenir les réformes nécessaires par la suite.
Quand l’UEFA réfléchit à sa nouvelle formule pour le cycle 2024-2027, est-ce qu’elle ne se dit pas qu’il faut être plus élitiste afin de répondre aux rumeurs d’une potentielle Super League?
Ça ne part pas de là. Disons que dans le système actuel, il y a pas mal de parties prenantes qui peuvent donner un avis. Sur le format de la compétition, le modèle, etc… Les clubs sont très impliqués avec l’ECA, qui représente une partie des clubs. Dès que les clubs sont chargés de donner leur avis, un process est mis en place à chaque cycle avec une consultation. Pour le dire simplement, l’UEFA demande aux clubs les attentes pour le prochain cycle mis en vente. Pour le cycle actuel (2021-2024), la parole était pour les petits et les moyens clubs avec une chance plus importante de se qualifier pour les Coupes d’Europe. C’était le point central, comment réaliser cette opération tout en créant quelque chose qui est le plus attractif possible. Ça aboutit aux changements : une Europa League à 32 et de la création de la Conférence League. Pour le cycle 2024-2027, les gros clubs avaient la parole et la demande principale était d’augmenter les revenus.
Très vite, dans la discussion, on a vu qu’il n’y avait pas cinquante façons d’augmenter les revenus. Si on a 15 journées de Ligue des Champions et 32 équipes, le format actuel est le meilleur. La seule façon de faire vraiment mieux est d’augmenter le nombre de journées. Au bout d’un moment il faut toucher au volume pour que les droits augmentent. Sauf que dès que tu touches au nombre de journée, quand tu as des systèmes de groupes, soit tu changes le nombre d’équipes par groupes soit il faut inventer une idée plus originale, c’est comme ça que l’UEFA est arrivée avec le système suisse, un système proposé par l'Ajax lors d'une réunion de l'ECA. Ça ne part pas forcément d’une volonté au départ d’avoir un système plus élitiste, les clubs voulaient juste plus d’argent. Ce qui est intéressant, c’est de voir le cycle d’avant (en 2018, ndlr) avec les places qualificatives directes pour les quatre premiers pays. Ça c’était un changement élitiste.
"14 matchs par équipe ça pose question"
Vous êtes très investis contre la Super League sur vos réseaux sociaux, comment juger cette communication importante des promoteurs depuis quelques jours?
Elle est vicieuse cette communication. Je trouve qu’elle est meilleure que celle proposée en avril 2021, où ils avaient des messages difficiles à entendre pour les fans. Cette fois-ci, on voit qu’il y a plus de travail derrière et qu’ils veulent s’intéresser à ce qui n’a pas fonctionné en 2021. Ils veulent corriger la façon dont les fans regardent ce projet. Bon, après je repère quand même très rapidement les contradictions. Ils essayent de plaire à tout le monde. Ce n’est pas possible de voir un projet qui contente les gros et les petits clubs. Je vois les contradictions, mais je m’inquiète que les gens qui s’intéressent à ce sujet n’arrivent pas à détecter ces contradictions. Ils sont toujours flous sur leur format. Au final, on ne sait pas grand-chose. C’est aussi une façon d’éviter que l’on puisse se rendre compte que leur système ça ne marche pas pour tout le monde. C’est une façon d’entretenir le doute, des ligues se disent intéressées, comme la ligue Ecossaise. Les gens sont intéressés, j’essaye juste de montrer qu’ils ne peuvent pas tenir toutes leurs promesses.
Après la lecture des dix points dévoilés par A22 en milieu de semaine, quelle remarque vous a le plus surprise?
Ils n’arrêtent pas de dire qu’ils veulent augmenter les revenus totaux du football européen. Il y a beaucoup plus à perdre en revenu du côté des ligues nationales, qu’à gagner du côté des compétitions européennes. Les ligues nationales génèrent plus de 15 milliards d’euros par saison, les compétitions européennes génèrent plus de 3,6 milliards pour ce cycle de droits. Un peu plus dans le futur format. Même si on arrive à gratter 1 ou 2 milliards du côté européen, mais que dans le même temps on vient bousculer le système de qualification des ligues nationales, ça peut entrainer une diminution de 10 à 20% des droits nationaux. On a beaucoup plus à perdre, il faut s’en rendre compte !
En tant que spécialiste des formats de compétition : 14 matchs par club dans ce nouveau format, c’est tenable?
14 matchs par équipe ça pose question. Très certainement, les promoteurs veulent dire une phase de poules de 14 matchs. Ça veut aussi dire beaucoup de risque d’avoir des matchs sans enjeu sur cette phase de poules avec des équipes déjà qualifiées. On peut avoir des matchs entre des équipes du ventre mou. Ça me fait sourire. Ils passent leur temps à dire que le nouveau format de l’UEFA pour 2024 est pire, ce qui est faux et j’espère qu’on va très rapidement le constater. Et eux, de leur côté, ils proposent quelque chose qui sur le papier est largement pire.
Le projet avec plus d’équipes et un système totalement nouveau pour les relégations, au final, c’est une "Ligue des champions bis"?
Effectivement, ça se rapproche de la Ligue des Champions de l’UEFA. Il y a un point clé, qu’ils ne détaillent pas dans leurs principes mais souvent lors des réunions avec les clubs. C’est qu’ils souhaitent remplacer l’accès actuel basé à 100% sur les championnats par un système de promotions et de relégations. Ils restent volontairement flous là-dessus. On peut imaginer la division 1 de la Super League avec 20 clubs et trois ou quatre clubs relégués et d’autres promus. Ils n’en parlent pas beaucoup parce que c’est à ce moment-là qu’on peut mettre le doigt sur ce que ça va créer en termes d’inégalité et en termes de réduction de la mobilité au sein de la pyramide sportive. A partir du moment, où l’on ne donne plus une seule place qualificative directe au champion de Belgique par exemple, alors on rend plus difficile l’accès au haut de la pyramide pour ces clubs et ces pays. C’est en contradiction directe avec ce qu’ils disent dans les médias concernant leur ouverture.
"Les clubs doivent aussi prendre leur part"
Même si, pour le moment, leur projet est flou, est-ce que vous pensez que des fans peuvent adhérer à cette nouvelle communication et ces nouvelles idées?
Pour l’instant il n’y a pas eu d’étude récente pour répondre de manière objective. Je pense qu’en impliquant plus de clubs, c’est possible. Les supporters des clubs concernés voient en premier les points positifs pour leur club avant de se préoccuper des effets sur l’ensemble du football européen. Avec l’ouverture, ils ont des chances de convaincre plus de monde. Et deuxième élément, sur les fans neutres, ils peuvent se dire ‘ah c’est intéressant, on a envie de voir ce qu’il y a derrière ce projet’.
L’UEFA n’est-elle pas trop molle face aux promoteurs de la Super League?
C’est difficile à dire. J’ai un peu le sentiment que ça pourrait être le rôle de l’UEFA de clarifier et de pointer du doigt les contradictions de ces promoteurs. Ils ne s’attaquent pas directement au projet. Je ne sais pas si c’est impactant aux niveaux des fans. Je me pose la question. L’UEFA est une organisation très politique, ce n’est pas facile pour l’instance aussi d’aller plus loin dans le niveau de détail. Je pense que ce n’est pas seulement à l’UEFA d’en parler. Les clubs doivent aussi prendre leur part. Les promoteurs de la Super League laissent entendre qu’ils dialoguent avec des clubs et que le camp d’en face, celui de l’UEFA, c’est le camp qui interdit le dialogue. Pour le moment, la famille du foot européen, comme dernièrement lors de la réception d’un représentant de A22 en Suisse, s’est affichée unie contre le projet. Dans la communication, on a le président de l’UEFA, de l’ECA et Javier Tebas, président de la Liga. En dehors de ça, ça manque d’autres soutiens qui s’affichent contre cette Super League.
"Il va y avoir une fenêtre de tir pour les promoteurs de la Super League"
Si la décision de justice va dans le sens des promoteurs de la Super League, c’est une révolution rapide qui peut attendre le monde du football…
D’après ce que j’ai compris des conclusions de l’avocat général, ce n’est pas tout blanc ou tout noir au mois de mars. Il va y avoir une fenêtre de tir pour les promoteurs de la Super League. La Cour de Justice ne va pas interdire totalement la Super League. Au mieux, la justice peut autoriser l’UEFA à exclure des ligues nationales les clubs qui vont participer à cette Super League. Ça ne rend pas le projet complètement impossible. C’est l’hypothèse la plus favorable à l’UEFA, donc on voit que c’est encore possible d’avoir ce projet dans quelques mois.
La Super League pourrait aussi arriver dans un moment où le format de la Ligue des Champions est modifié. Un format un peu moins clair que celui actuellement en place. C’est une faiblesse?
C’est un constat que je partage en partie. Ce n’est pas facile pour l’UEFA d’expliquer pourquoi certains changements sont réalisés. Dans les critiques émises par A22 à l’encontre de l’UEFA, il y en beaucoup qui sont vraies. L’énorme paradoxe, c’est que les clubs derrière ce projet sont aussi responsables de ces défauts. Et l’autre paradoxe c’est que le projet de Super League aggrave ces défauts constatés par A22 au lieu d’y répondre. Pour l’UEFA, c’est un moment important. C’est l’occasion de se pencher sur ces questions en apportant des solutions pour rendre le football plus ouvert, plus attractif, etc…